Innovation: la France peut mieux faire edit

5 octobre 2011

Tant du côté des investissements que de celui des résultats, le système d'innovation français est décevant. La part du PIB consacrée à la R&D stagne à environ 2% (dont une large part pour la défense et le spatial), les dépenses d'éducation diminuent. Dans le domaine de l’innovation, la France fait partie des suiveurs, selon le European Innovation Scoreboard qui lui attribue le 11e rang. Des changements radicaux dans les politiques suivies, y compris la création de pôles régionaux, et un crédit d'impôt généreux, n’y ont rien changé. Pourquoi ?

La politique industrielle a beaucoup évolué depuis quelques décennies, passant d'une politique distincte à deux politiques jumelles, l’une d'innovation et l’autre industrielle (avec des liens vers l'éducation, la politique régionale et la politique du marché du travail). La politique industrielle de demain se développera pour devenir une politique industrielle et d'innovation systémique (PIIS), s'insérant dans le système socio-économique d'un pays, en fonction des grands objectifs qu’il s’est donnés en termes de bien-être.

La PIIS repose sur les investissements dans la recherche et l'éducation, intègre les petites et les grandes entreprises, s’appuie sur des relations étroites avec les universités. La politique éducative doit offrir des chances égales au départ ainsi que de promouvoir l'apprentissage tout au long de la vie. Les systèmes d'innovation réussissent s'ils peuvent puiser dans les bassins de connaissances internationaux, via le recrutement de chercheurs internationaux, mais aussi de migrants et de nouveaux arrivants. Le secteur manufacturier reste compétitif si une économie est ouverte aux importations et aux investissements directs étrangers pour jouer sur la division du travail tout au long de la chaîne de valeur.

En Europe, la politique industrielle est passée par différentes phases. Après l'après-guerre marqué par l'intervention et la nationalisation est venue une phase de politique sectorielle (planification sectorielle et aides publiques, notamment par le biais du Plan Marshall), suivie par la domination de la politique de compétitivité, dite « horizontale » (favorisée par les politiques de l'UE, la réduction des tarifs et aides d'État, le développement du marché unique et la politique de déréglementation, les programmes cadres de recherche).

Aujourd'hui, la distinction entre la politique horizontale et verticale perd de sa pertinence. La France a aujourd'hui moins de grands projets et pas de vision claire des secteurs privilégiés. Tous les pays développent et promeuvent aujourd’hui des pôles régionaux. La plupart des pays ont spécifiquement soutenu l'industrie automobile lors de la crise, ont promu les TIC dans les années 90 et ont des stratégies pour la biotechnologie et le secteur de l’énergie. La Commission européenne promeut désormais une approche essentiellement horizontale, mais reconnaît que les mesures générales ont un impact différent selon les secteurs et devraient être complétées par des stratégies sectorielles spécifiques (en qualification, normalisation, etc.) Cette approche matricielle est maintenant étendue à une politique industrielle intégrée se concentrant sur une R&D orientée par mission, c’est-à-dire un financement thématique de l'innovation sur les grands défis comme le changement climatique ou les nanotechnologies.

La France a fait évoluer sa politique industrielle au cours des dernières années, passant d’une focalisation sur les grands projets, les secteurs privilégiés et la défense à une approche plus large de l'innovation, y compris les PME et les politiques régionales ; passant aussi d’une approche « top-down » à une approche « bottom up », avec le soutien aux clusters existants, la mise en concurrence pour l’accès aux fonds publics, la création d’institutions de transfert ; soutenant les initiatives d'excellence et les relations université-entreprise ; réformant les universités, la concurrence, les fusions, les programmes trilatéraux entre universités, laboratoires, entreprises, et surtout en créant un impressionnant crédit d'impôt.

Un état des lieux des investissements dans le système d'innovation est néanmoins décevante pour la France. La part de la R&D dans le PIB est tombée à 2,2% (avec une légère reprise ces derniers temps), loin de l'objectif de Lisbonne. L'objectif français de 3% pour 2020 n’est pas très ambitieux pour un pays riche (même si le saut de la part actuelle de l'objectif est élevé) ; 3% est exactement l'objectif européen pour 2020, alors que la « nationalisation » de la stratégie UE 2020 visait à des objectifs plus élevés dans les pays d'Europe occidentale (en reconnaissant que les pays du sud et les économies en rattrapage ne seront pas en mesure d'investir 2%). Les dépenses de l'éducation sont en baisse par rapport au PIB, les résultats sont inférieurs à la moyenne PISA. L'utilisation d'un spectre plus large d'indicateurs (European Innovation Scoreboard) place la France au onzième rang en matière d’innovation.

Les résultats macroéconomiques de la France sont dans la moyenne ; mais en termes de performance industrielle, ils sont décevants. La part du secteur manufacturier est en baisse plus rapide que la moyenne de l'UE, passant de 22% en 1960 à 10% en 2010. La France a maintenant l’avant-dernière place en termes de pourcentage de l’industrie dans le PIB (UE-15 : 13,7%, Allemagne : 18,6%), et l’externalisation des activités de service n’explique pas tout. Si ses résultats restent au-dessus de la moyenne quand on considère la part des activités à fort contenu technologique dans la valeur ajoutée et les exportations ; mais la balance commerciale reste négative sur ces activités puisque les importations sont plus élevées et croissent plus rapidement que les exportations.

Les résultats du système d'innovation sont quant à eux franchement décevants. Ce résultat peut provenir de trois raisons. La première serait que les réformes en cours n’ont pas encore eu le temps de produire leurs effets, et qu’un éventuel succès n’apparaît pas encore dans les statistiques. La deuxième explication pourrait être que les changements ne sont pas assez ambitieux ou qu'ils ne rentrent pas dans le système d'innovation français. Les mesures prises attestent sur certain points un changement systémique (PME, incitations fiscales), mais ils conservent aussi des éléments de la « vieille » approche française (pôles de compétitivité). La troisième explication pourrait être que le système d'innovation au sens étroit n'est pas suffisant, car il n’est pas suffisamment poussé ou tiré par l'ensemble du système socio-économique.

Trois obstacles notamment apparaissent, qui sont bien connus. Tout d’abord la mondialisation n'est pas considérée en France comme une opportunité à saisir, mais comme une menace qui nécessite une protection publique. L'éducation est concentrée sur la première phase de la vie, les réseaux sont construits dans les écoles et universités d'élite. La mondialisation n’est perçue comme bonne que pour les grandes entreprises, mais pas les citoyens, avec une sous-estimation fréquente à la fois de son effet sur les prix des importations et de la pression de l'innovation provenant de nouveaux concurrents.

La France est une économie dans laquelle la concurrence n'est pas considérée comme un facteur très important d'innovation et de croissance. Les marchés du travail sont fortement réglementées, ceux du transport et de l'énergie sont concentrées et partiellement abrités de la concurrence. L'innovation est concentrée dans les grandes entreprises. Les droits de formation ne peuvent guère être transférés si les salariés changent d’emploi, et la mobilité ascendante est faible.

La France, par ailleurs, ne semble pas pressée d’affronter les défis posés à son modèle socio-économiques par les changements sociaux et l'écologie. Le modèle de production est construit sur une énergie bon marché, fournis par des grandes entreprises en partie protégées de la concurrence (même si elles investissent à l'étranger), et l'énergie nucléaire est considérée comme une source d'énergie fiable et bon marché. D’où une tendance à négliger les possibilités offertes par les ressources alternatives et la production décentralisée, tendance qui freine l'innovation. L'ouverture de l'économie, mesurée par la somme des exportations et des importations (« l'ouverture commerciale »), est plus faible qu’ailleurs, et la différence tend à s’accroître.

Les documents officiels ont tendance à nier ces problèmes, en se référant à des succès spécifiques et à la quantité absolue de chercheurs et de dépenses («quatrième» dans le monde). Mais il ne sert à rien de se voiler la face. Le déficit français d'innovation est un problème pour l'Europe, au même titre que les déficits publics des pays périphériques. On peut pointer une concurrence insuffisante, mais aussi la réticence à accepter les défis de la mondialisation et du développement durable. Les systèmes d'innovation ont besoin de ces ressorts pour fonctionner.

La PIIS ne peut combattre seule les défaillances du marché. Elle aura une composante de dynamique d'avenir et devra faire des différences entre secteurs. Cette dimension sectorielle devrait toutefois s'appuyer sur les avantages actuels ou futurs attendus des avantages concurrentiels, elle doit se développer dans une certaine pression concurrentielle (domestique et internationale), et devrait concerner les secteurs où le gouvernement a des intérêts et établit des priorités (santé, environnement, énergies nouvelles).

Les enquêtes empiriques internationales suggèrent aujourd’hui que l'innovation et la politique industrielle sont en mesure d'exploiter les avantages des investissements dans le système d'innovation et d'éducation si et seulement si la société est prête pour le changement, si elle cherche activement à trouver sa place dans une économie mondiale sans frontières. Les investissements dans l'innovation augmenteront si la pression concurrentielle existe, et si le secteur de l'innovation est activement utilisé pour servir des objectifs sociétaux, notamment l'excellence écologique. Les pays nordiques européens pourraient à cet égard être un modèle. L'Europe devrait aller pour un nouveau modèle de croissance avec une grande efficacité, la cohésion sociale et l'excellence en matière de durabilité. Une telle économie a besoin d'une base solide dans le secteur manufacturier, la concurrence et l'ouverture, et enfin d'une politique industrielle et d'innovation systémique.

Une version allemande de cet article est publiée sur le site de notre partenaire Oekonomenstimme.