Le Fonds monétaire européen: une fausse bonne idée edit

13 novembre 2017

L’idée de créer un Fonds monétaire européen semble aujourd’hui instopable. Le ministre des Finances allemand sortant, Wolfgang Schäuble, l’a proposé et son successeur pourrait bien y souscrire. Côté français, ayant avancé beaucoup de propositions, Macron pourrait penser malvenu de refuser la seule demande allemande clairement articulée ces jours-ci. La plupart des autres pays sont tentés d’y souscrire, mais pour des raisons diamétralement opposées. Seule la Commission est hostile, mais pour une autre mauvaise raison, la crainte de perdre du pouvoir. C’est ainsi que vogue l’Europe, créant des institutions par opportunisme politique et avec des arrière-pensées discordantes, chaque pays espérant tirer les marrons du feu. Avec le temps, faute de réflexion approfondie au départ, on se rend compte de l’erreur, mais il est alors trop tard car les institutions ne meurent jamais. Voilà comment l’Europe amenuise goutte à goutte son capital de sympathie auprès des citoyens.

Schäuble répond à deux motivations. Tout d’abord, il veut rationaliser le Méchanisme européen de stabilité qu’il a lui même créé en 2012, au plus fort de la crise de la zone euro. La mission du MES est de renflouer les États membres en crise, et il dispose d’un impressionnant pactole de 500 milliards d’euro. Cet argent est emprunté mais garanti par ses actionnaires, qui en sont les propriétaires et qui seraient amenés à partager les pertes si d’aventure un pays emprunteur n’honorait pas sa dette. Ainsi, le plus gros de la dette publique grecque est dû au MES. Conscient de ce risque, Schäuble avait imposé deux exigences. La première est que les prêts du MES ne soient accordés qu’à des pays qui s’engagent à remplir des conditions précises. On a vu comment cela s’est passé avec la Grèce, effectivement mise sous tutelle. La deuxième exigence est que chaque prêt soit approuvé à l’unanimité par tous les actionnaires, dont certains, comme l’Allemagne, doivent obtenir l’accord explicite de leurs parlements. De manière prévisible, ces deux exigences se sont révélées néfastes. Ainsi, lorsque ses banques ont commencé à s’effondrer, l’Espagne a demandé l’aide du MES mais elle refusé toute condition puisque sa situation économique était par ailleurs saine. Pour éviter une nouvelle crise bancaire, qui aurait menacé toute la zone euro, il a fallu trouver une astuce diplomatico-juridique pour prêter à l’Espagne sans condition. Par ailleurs, l’unanimité ne vient pas naturellement aux Européens, surtout lorsqu’il faut s’entraider. On a même vu les Finlandais exiger qu’un pays emprunteur fournisse en gage une partie de son stock d’or. Encore une fois, il a fallu des trésors de diplomatie pour les dissuader. De plus, le Bundestag détient un droit de veto. Schäuble a dû aller au Parlement négocier chaque prêt, et il n’a pas apprécié l’exercice, même si au départ ce fut son idée. Avec l’arrivée au Bundestag de l’extrême droite anti-européenne, l’exercice promet d’être encore plus tortueux.

Réformer le MES est donc très souhaitable. Le problème est qu’il a été créé par un traité européen, et qu’il faudrait un autre traité pour le réformer. Par les temps qui courent, avec des anti-européens au pouvoir ou très influents dans de nombreux pays, l’exercice est risqué. D’où l’idée de repartir de zéro et construire un FME, si possible – mais il n’est pas sûr que ce soit possible – sans passer par la case traité.

Et le FMI?

Tout cela ne constitue que l’explication de texte. Il reste à définir les objectifs du FME et son mode de fonctionnement. Là-dessus, la réflexion en est encore à un stade préliminaire. Mais les mots ont un sens, et la référence au FMI est bien là. Le FMI prête sous condition l’argent que lui confient ses actionnaires. Il intervient lorsqu’un pays est à court de réserves de change. Les décisions sont prises à la majorité, chaque pays ayant des droits de vote qui correspondent à sa taille. Du coup, quelques grands pays y font la pluie et le beau temps. Voilà qui ne serait pas pour déplaire à l’Allemagne et à la France. Par ailleurs, le FMI prête sous condition, comme le MES.

Mais si le modèle est le FMI, qui a le mérite d’exister, pourquoi créer en plus un FME ? Parce que le MSE est mal construit, mais est-ce une raison suffisante ? Par rapport, au FMI, le FME souffrirait de nombreux inconvénients. Premièrement, on fait souvent remarquer que le FMI est politisé, que ses décisions sont souvent colorées par les intérêts nationaux, voire de sombres calculs politiques, de ses membres les plus influents ou les plus capables de tirer les ficelles de l’organisation. Ce n’est pas sans fondement. La situation ne risque-t-elle pas d’être pire au sein du FME ? Non seulement peu de pays auront le contrôle formel du Fonds, mais les intérêts croisés de ses membres seront beaucoup plus intenses du fait de leur haut degré d’imbrication. Il suffit de voir comment fonctionne la Commission pour imaginer que, de ce point de vue, le FME sera comme le FMI, en pire.

Un second avantage du FMI est qu’il est presque toujours engagé dans les quatre coins du monde. Collectivement, ses équipes ont amassé une expérience considérable des crises économiques, expérience constamment remise à jour en fonction des évolutions en cours, que ce soit la mondialisation, l’impact sur la finance des nouvelles technologies de l’information, ou encore l’évolution des connaissances. Il faut espérer qu’en Europe les crises seront rares et espacées dans le temps. Mais justement : comme un petit hôpital de province par rapport aux grands hôpitaux des centres universitaires, les équipes du FME seront considérablement moins aguerries et moins à jour.

Il s’ensuit, et c’est le troisième inconvénient, que le personnel du FME ne sera que rarement sur la brèche. Que fera-t-il durant les années calmes, qui peuvent durer des décennies ? Comme le FMI, il pourrait exercer une surveillance continue des pays membres, pour détecter les dangers et pour être au fait de leur situation si d’aventure il faut rapidement intervenir. Or cette fonction de surveillance est actuellement exercée par la Commission. Sera-t-elle alors délestée de cette responsabilité ? C’est ce que souhaite Schäuble. La Commission aura de nombreux arguments pour que ce ne soit pas le cas, y compris la responsabilité d’évaluer la situation des pays membres que lui confèrent plusieurs traités. On peut imaginer sans peine la résolution de ce qui promet d’être une rude bataille, un jugement salomonien qui résulte en un gros doublon accompagné de querelles entre les deux institutions. Pour les citoyens, cela ressemblera fort à un degré supplémentaire de complexité et à un gaspillage de ressources.

À ce stade, il semble clair que l’intérêt de créer un FME, en plus du FMI, est bien limité, voire nul. Certes, le MES souffre d’importantes imperfections, mais ce n’est pas une raison pour poursuivre une sorte de course en avant. On peut soit réformer les MES, soit mettre un terme à cette expérience une fois ses missions en cours accomplies. Cette logique a peu de chance de prévaloir, cependant, car chaque pays a ses propres raisons de vouloir un FME. On a vu les motivations allemandes, souvent partagées par les pays du Nord. Hormis le souci de ne pas déplaire aux Allemands, la France reste toujours sous l’influence de sa vision jacobine du monde : quoi de plus naturel pour relancer l’Europe que d’en renforcer le centre ? Depuis la crise, l’Italie, soutenue par de nombreux pays du Sud, rêve d’un système de mutualisation des risques, et de sa dette. Elle voit le FME comme une promesse dans cette direction. Tous ces calculs, cependant, ne sont pas la promesse d’une sage décision.