Hollande et les jeunes: quel bilan? edit

May 7, 2015

François Hollande a voulu faire de la jeunesse un des marqueurs de son quinquennat. L’ambition était louable car la situation de la jeunesse française méritait qu’on en fasse un axe fort des politiques publiques. Mais le diagnostic devait être bien posé. Or pour des raisons électorales François Hollande a voulu adresser un message simple et global à la jeunesse et lui proposer des solutions qui semblaient répondre immédiatement à ses difficultés : essentiellement les emplois aidés dans le secteur non marchand. Or tous les experts savent – et les conseillers de François Hollande ne devaient pas l’ignorer – que cet instrument n’est pas efficace en termes de retour à l’emploi dans le secteur marchand. Au mieux cette solution n’était qu’un palliatif en attendant un hypothétique retournement de la conjoncture, au pire elle risquait d’éloigner encore plus les jeunes bénéficiaires du marché du travail réel (si on ne lui associe pas un solide programme de formation, ce qui semble malheureusement rarement le cas).

En réalité, le fait que la stabilisation dans l’emploi soit en France plus lente et plus difficile que dans beaucoup d’autres pays développés tient a des causes bien connues dont l’identification aurait dû orienter les propositions du candidat socialiste. Tout d’abord, même si elle est lente, cette stabilisation finit, heureusement, par se faire pour la plupart des jeunes. Il est malsain, comme on a souvent tendance à le faire dans notre pays, de noircir le tableau à l’excès en amalgamant dans un même destin calamiteux l’ensemble des jeunes Français. C’est l’antienne bien connue de la génération sacrifiée. En procédant à cet amalgame douteux, on estompe dans un brouillard compassionnel général les difficultés réelles que rencontrent les jeunes les plus défavorisés.

Le fonctionnement de l’école et du marché du travail sont les deux causes structurelles majeures des difficultés spécifiques que rencontrent les jeunes Français pour accéder à l’emploi en gardant bien sûr à l’esprit qu’on raisonne ainsi à état donné de la conjoncture. Sans croissance le taux de chômage restera élevé. Mais le point fondamental est que, quelle que soit la conjoncture, le taux de chômage des jeunes Français reste plus élevé que celui d’autres jeunes Européens et deux fois et demi à trois fois plus élevé que celui des adultes. Les appels incantatoires à la croissance qu’on entend si souvent ne servent à rien pour réduire ce handicap structurel dont souffrent les jeunes Français.

Un programme en faveur des jeunes aurait donc dû s’attaquer de front à ces deux questions qui freinent l’accès des jeunes à l’emploi et maintiennent les plus défavorisés dans des trappes à chômage et à pauvreté : l’échec scolaire et le fonctionnement dual du marché du travail. Concernant ce dernier point, majeur, le programme du candidat socialiste était muet et, malgré les exhortations du dernier prix Nobel d’économie en faveur du contrat de travail unique on voit bien que rien ne sera fait en ce sens. Sur ce plan, et sous réserve d’inventaire, Mateo Renzi a été plus courageux.

L’éradication de l’échec scolaire aurait dû être portée au rang de grande cause nationale par un programme socialiste en faveur des jeunes. 140 000 d’entre eux, près d’un sur cinq, sortent chaque année du système éducatif initial sans diplôme. Dans un pays comme la France qui fétichise la certification scolaire, cela représente pour ces jeunes un terrible handicap et un stigmate qui en fait des parias de la République. Au lieu d’inscrire cet objectif en tête de son agenda politique, le candidat socialiste a préféré adhérer à la rhétorique conservatrice des moyens (plus de postes) pour donner satisfaction aux syndicats d’enseignants. Sur le plan des réformes, le ministre de l’Education Nationale nommé en 2012, Vincent Peillon, s’est engagé sur la question, relativement mineure, des rythmes scolaires, qui a fini par épuiser toute son énergie réformatrice. Un beau gâchis.

Semblant avoir pris conscience de l’urgence de la question de l’échec scolaire et de la dégradation des performances des élèves les plus faibles qu’attestent, à chaque livraison, les enquêtes PISA menées sous l’égide de l’OCDE, la nouvelle ministre, Najat Vallaud-Belkacem, a engagé une action sur deux fronts.

Elle a voulu tout d’abord revisiter la politique des ZEP (Zones d’Education Prioritaires) en réaffectant les moyens en fonction d’indicateurs censés mieux identifier les difficultés économiques et sociales des zones et des populations concernées. Il est vrai que cette politique a été globalement un échec comme l’ont montré les travaux de Francis Kramarz, des moyens supplémentaires étant attribués, pour des raisons politiques, à un trop grand nombre de zones, et perdant du fait de cette dilution une grande partie de leur efficacité. Mais, dans la réforme envisagée par Najat Vallaud-Belkacem, le nombre de zones est à  peu près identique et, à budget constant, l’effort supplémentaire pour chaque territoire ne sera donc pas significatif.

Surtout, à elles seules, ces politiques territoriales n’ont qu’un effet limité pour une double raison. Tout d’abord les difficultés scolaires sont certes surreprésentées dans ces zones particulièrement défavorisées mais elles sont loin d’y être uniquement concentrées. Comme l’avait montré un rapport du Conseil d’Analyse Economique sur les NEET (Not in Education, Employment or Training), ces derniers sont très présents dans les Zones urbaines sensibles, mais les jeunes des Zones urbaines sensibles ne représentent qu’une petite minorité de l’ensemble des NEET. Autrement dit, le phénomène est relativement diffus sur une large partie du territoire. Vouloir le circonscrire, dans son traitement, à des zones bien délimitées conduit certainement à laisser de côté une grande partie des jeunes potentiellement concernés.

En second lieu, une politique de lutte contre l’échec scolaire ne peut se contenter d’affecter des moyens supplémentaires sans réfléchir au rôle spécifique de l’école dans la genèse des difficultés scolaires. L’école est censée réduire les inégalités initiales qui tiennent à l’environnement familial et social des élèves. Elle n’y parvient pas ou fort mal. Mais, plus grave, ne contribue-t-elle pas à les entretenir ou même à les amplifier ? C’est une interrogation ancienne de la sociologie de l’éducation depuis Basil Bernstein et Pierre Bourdieu. Des travaux plus récents, moins imprégnés d’idéologie, semblent montrer que le curriculum et les méthodes d’enseignement du système éducatif français ne favorisent pas la réussite des plus faibles. Les enquêtes PISA montrent d’ailleurs que les écarts d’acquis scolaires s’accroissent entre ces derniers et les meilleurs. Si l’on tient ces résultats pour acquis, une politique de lutte contre l’échec scolaire ne peut faire l’économie d’une réflexion approfondie sur les principes fondamentaux de « l’élitisme républicain » à la française en mettant notamment au cœur de cette réflexion deux questions : la formation pédagogique des enseignants (enseigner est un métier qui s’apprend) et la question d’une plus grande autonomie des établissements scolaires dans la gestion de leurs équipes et de leurs programmes.

Il faut reconnaître à Najat Vallaud-Belkacem le courage d’avoir engagé un front de réforme sur ce terrain, même si les intentions restent très timides. Sa réforme du collège propose en effet d’accroître, modestement, l’autonomie des établissements dans la gestion des programmes. A côté d’un tronc disciplinaire commun, 20% des heures pourront être consacrées par chaque établissement à du travail en petits groupes, de l’accompagnement personnalisé ou des EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires) pour les faire travailler sur des projets transversaux. Ces idées s’inspirent des pratiques des pays nordiques dont les performances éducatives sont reconnues. Leurs principes sont simples : l’échelon national du système éducatif fixe le cadre général du curriculum scolaire et l’échelon local (au niveau de l’équivalent du département, de la commune ou de l’établissement lui-même) adapte ces principes à la réalité locale en choisissant les moyens et les méthodes les mieux appropriés, y compris dans les choix de recrutement des enseignants. Cette autonomie se conjugue à une plus grande responsabilité des établissements dans le suivi des élèves : elles sont comptables des « décrocheurs » et doivent tout mettre en œuvre, au niveau local, et avec l’aide des municipalités et des services sociaux, pour prévenir l’abandon précoce de la scolarité.

On est évidemment très loin, avec la réforme du collège actuellement débattue, d’une telle ambition. Mais la philosophie du projet est bien celle-là, même si il reste très limité et gâché par beaucoup de scories : un jargon technocratique dans l’énoncé des réformes et des programmes souvent abscons et ridicule (dont la presse a fait ses choux gras), un nivellement égalitariste (la suppression des classes bilangues et européennes) qui vise sans doute à donner des gages à gauche, une démagogie « jeuniste » (ériger Jamel Debbouze en modèle pédagogique, sans compter le soupçon de complicité politique) qui finalement dessert les partisans de l’autonomie et du renouveau pédagogique.

Mais le plus difficile sera la mise en œuvre. Le socle de compétences lancé par François Fillon et qui partait d’idées assez proches, s’est ainsi heurtée à une telle réticence de la « machine » Education nationale qu’il est resté en grande partie encalminé. Or force est de constater que le front du refus syndical à la réforme du collège va du FO au Snalc, en passant par le puissant Snes-FSU ou la CGT, organisations représentant 80% des enseignants du second degré. Il est malheureusement trop tard au deux-tiers du quinquennat pour renverser la table de l’Education nationale, surtout après n’avoir dit à ces mêmes syndicats, durant la campagne électorale, que ce qu’ils avaient envie d’entendre.

Ce dernier constat résume à lui seul la politique jeunesse du quinquennat Hollande. En ses débuts la politique socialiste en faveur des jeunes a surtout consisté en de l’affichage politique sous la bannière formelle de la justice sociale en affectant des moyens supplémentaires plutôt qu’en menant des réformes structurelles. Mais ces politiques à courte vue ratent triplement leur but ; elles ne corrigent en aucune manière les mécanismes économiques et sociaux qui sont à la racine des inégalités ; leur effet compensatoire est limité et n’est pas durable ; dans bien des cas enfin elles conduisent à une stigmatisation des publics bénéficiaires qui accentue plutôt que de réduire leur handicap initial. Sans doute conscient de ces limites, le gouvernement cherche à corriger le tir (réforme du collège, prime d’activité) mais sans renoncer à son lourd dispositif initial ce qui rend l’ensemble difficilement lisible. Et surtout ces réformes ne bénéficient plus de l’élan politique qui suit une élection présidentielle. Elles restent relativement modestes et leur succès très incertain.