Ecole: des résultats en berne, pourquoi? edit
Nos concitoyens commencent légitimement à s’inquiéter : leur école serait-t-elle en passe de devenir la dernière de la classe ? Il est vrai que depuis que l’école existe, les salles de professeurs bruissent de la baisse du niveau, un refrain bien connu et largement infondé ! Incontestablement, le niveau des élèves français a monté tout au long du XXe siècle, en particulier celui des filles ; les jeunes en savent de nos jours infiniment plus que leurs aînés, notamment dans les domaines scientifiques et techniques. Mais depuis une bonne vingtaine d’années, « Le niveau baisse, et cette fois c’est vrai », constate le célèbre historien de l’éducation, Antoine Prost (Le Monde, 20 février 2013).
Ce constat résulte de toutes les évaluations françaises et internationales : si l’on a pu discuter du caractère scientifique des unes ou des autres – et on n’a pas manqué de le faire – en réalité, leur convergence est impressionnante. Deux traits marquent nos résultats : d’une part le niveau global tend à se dégrader ; d’autre part le fossé se creuse entre les meilleurs élèves et les moins bons, fossé qui correspond en réalité à une fracture sociale : la France est la championne des inégalités scolaires.
Le niveau global tend à se dégrader
Qu’en dit d’abord le ministère de l’Education nationale ? L’enquête « Lire, écrire, compter » réalisée tous les 10 ans depuis 1987 montre que le niveau moyen se détériore régulièrement. Ce qu’observent aussi les enseignants en fin de primaire avec les « évaluations diagnostiques » en classe de CM2 : 15 à 20% des élèves ne maîtrisent pas les compétences de base en français, même chose en maths. En fin de collège, les enquêtes CEDRE (cycle des évaluations disciplinaires) réalisées tous les 6 ans sur échantillon (8000 élèves) depuis 2003 : le score moyen baisse « de façon significative » ou « fortement » en maths, en histoire-géographie, en compétence langagières et littératie (production de textes), en langues vivantes…
Pour leur part, les évaluations internationales sont inquiétantes. Les enquêtes PIRLS (Progress in international reading literacy study) sur les élèves de 9 à 10 ans dans 54 pays, TIMSS (Trends in international mathematics and science study) à laquelle les élèves français de CM1 participaient pour le première fois en 2015 et ceux de terminale scientifique pour la deuxième fois (1995 et 2015), PISA (Programme international de suivi des acquis des élèves) conduite par l’OCDE tous les trois ans depuis 2000 sur les compétences des jeunes de 15 ans dans 65 pays, toutes ces enquêtes convergent : la dégradation des résultats des élèves français se poursuit d’année en année, en particulier en sciences et en maths. Depuis 2003, le score de la France en maths a baissé de 16 points dans PISA ; par exemple, seuls 59% des élèves de CM1 sont capables de poursuivre la suite chiffrée « 6, 13, 20, 27… » par « 34 » et seulement 15% peuvent identifier parmi les « camemberts » divisés en parts celui correspondant à la fraction « 3/8 » (TIMSS 2015). Le décrochage est patent pour les élèves de terminale S dont les scores chutent en 20 ans de 569 à 463 en maths et de 469 à 373 en physique. Par conséquent, le rang de notre pays est tout juste moyen (après avoir été au-dessus) dans PISA, et dans TIMMS (élèves de CM1), nous sommes 35° sur 49 en maths, 34° sur 47 en sciences. Sans être encore en faillite, le système français se détériore inexorablement.
La France, championne des inégalités scolaires
Selon les enquêtes PISA, la France compte davantage d’élèves très performants et performants (29%) que la moyenne de l’OCDE, et en revanche, davantage d’élèves en difficulté (22% en 2015). Comme l’écrit la ministre de l’Éducation nationale elle-même en décembre 2014 dans Hors les murs, la revue de l’ENA, « sur 28 pays, la France est en 26e position en matière d’inégalités scolaires. Ces difficultés s’accentuent encore pour les élèves issus de l’immigration ». Seules la Bulgarie et la Slovaquie font pire…
Prenons l’exemple des ZEP, qui scolarisent massivement des enfants de milieux populaires, les écarts de résultats avec les établissements hors ZEP sont importants : maîtrise de la langue française en CE1 et CM2 (18 et 19 points d’écart), maîtrise des principaux éléments des mathématiques en CE2 (17,5 points) aggravés en CM2 (26 points) ; en fin de collège, les élèves possédant les compétences de base en français ne sont plus que 54% en éducation prioritaire contre 81% au dehors (chiffres de 2014 fournis par le ministère de l’Education nationale dans le cadre du projet de loi de finances pour 2015). Certains chercheurs estiment que finalement l’éducation prioritaire produit une « discrimination négative » (Inégalités sociales et migratoires, comment l’école française amplifie-t-elle les inégalités, rapport du Conseil national d’évaluation du système scolaire, septembre 2016).
Cette inégalité est particulièrement marquée à l’égard des enfants issus de l’immigration. Sur ce point, à nouveau, les études françaises et internationales sont unanimes : « En France, les élèves issus de l’immigration accusent des scores inférieurs de 37 points à ceux des élèves autochtones, soit presque l’équivalent d’une année d’études, contre 27 points en moyenne dans les autres pays de l’OCDE », peut-on lire dans l’Enquête PISA 2012. Ce constat est confirmé par l’INED (Trajectoires et origines. Enquête sur la diversité des populations en France, 2016).
Et pourquoi donc ?
Il y a évidemment une série de raisons : par exemple, le rétrécissement de la durée d’enseignement (une année perdue sur la scolarité primaire en 40 ans), la concentration des difficultés dans une partie des établissements faute de mixité sociale (produit des phénomènes urbains et sociaux et des possibilités offertes par l’existence du public et du privé) ou encore la distance sociale qui s’accentue entre les maîtres, qui sont de moins en moins issus des milieux populaires, et leurs élèves : dans beaucoup de cas, on ne parle plus le même langage, au figuré et parfois au propre.
Mais l’essentiel réside dans la gestion calamiteuse des enseignants. Le recrutement reste opéré sur des épreuves académiques et, après le concours, on tente de donner aux reçus une formation professionnelle pendant un an. Une formation dite « consécutive », l’inverse du bon sens. Presque partout dans le monde, la formation des enseignants commence dès le début des études supérieures et elle est « simultanée », elle allie les connaissances et la pratique professionnelle – comme le faisaient autrefois les écoles normales d’instituteurs, fondues en 1989 dans les IUFM (instituts universitaires de formation de maîtres, devenus en 2013 Ecoles supérieures du professorat de l’éducation, après que toute formation initiale a été supprimée en 2009). Quant à la formation continue, elle est très pauvre et elle rencontre un obstacle de taille : les syndicats ont obtenu que celle-ci ait lieu sur le temps de travail et non pendant les congés – et il faut donc remplacer, si l’on peut. Pourquoi ne pas favoriser la carrière de ceux qui se formeraient sur leur temps libre ? Ne nous étonnons donc pas si, abandonnant pour une fois sa langue de bois, l’Inspection générale diagnostiquait une « panne didactique » des professeurs des écoles, un « niveau de maîtrise très hétérogène des outils conceptuels et didactiques », un « manque de connaissances et de formation » (Bilan de la mise en œuvre des programmes issus de la réforme de l’école primaire de 2008, Rapport de juin 2013).
Autre cause : ce sont les professeurs les moins titrés et les moins expérimentés qui sont expédiés devant les élèves les plus difficiles. Dans le second degré, chaque année, la moitié de nouveaux enseignants de toute la France (en grande majorité des enseignantes) sont envoyés dans deux académies, Créteil et Versailles, où ils sont affectés sur les postes désertés par les anciens. Inutile de dire que ces « malgré nous » y vont en traînant les pieds, qu’ils subissent un « choc culturel » avec son cortège de désarroi, de déprimes et d’absences et qu’ils n’ont qu’une idée, retourner au plus vite au pays. Et pour pallier les absences et manques d’enseignants, on recrute des contractuels, de bonne volonté mais sans formation. Tous les gouvernements savent que ce système est gravement préjudiciable aux élèves, plusieurs ministres ont eu l’idée d’y mettre fin, mais sans passer à l’acte : car il faudrait avoir le courage de s’attaquer aux citadelles syndicales qui défendent bec et ongles les affectations au barème d’ancienneté. Et tant pis pour les enfants des milieux populaires…
Saura-t-on redresser la barre et offrir à tous les enfants une éducation de qualité ? En 2001, l’Allemagne, traumatisée par ses résultats à PISA, a engagé une réforme profonde (formation continue obligatoire des enseignants, évaluation et publication des résultats par établissement…) : du 20e rang en maths en 2000, elle grimpe au 10e en 2012 ! Plus récemment, la Pologne a tiré les leçons de ses mauvais résultats (rétablissement du collège unique, recrutement et évaluation des professeurs par le chef d’établissement…) : en 2009, ses élèves surpassent les performances moyennes dans l’OCDE. Et le Portugal vient de s’engager lui aussi dans la voie des réformes. Alors en France, à quand un « choc PISA » ?
Note. Ces idées sont développées dans l’essai signé Soazig Le Nevé et Bernard Toulemonde : Et si on tuait le mammouth ? Les clés pour (vraiment) rénover l’Education nationale (Éditions de l’Aube, 2017).
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