La politique éducative vue par le nouveau ministre, Jean-Michel Blanquer edit

26 juin 2017

Jean-Michel Blanquer est un fin connaisseur du système éducatif : professeur de droit public, ancien recteur d’académie (Guyane en 2004, Créteil en 2007), membre du cabinet d’un ministre de l’Éducation nationale (Gilles de Robien, en 2006), directeur de l’enseignement scolaire (2009-2012), puis directeur général d’un établissement d’enseignement supérieur, l’ESSEC[1]. Dans ces différentes fonctions, il a laissé l’image d’un responsable qui prend de multiples initiatives et encourage les personnels à expérimenter et à innover. Il a exprimé ses convictions dans deux livres : L'École de la vie (Odile Jacob, 2014) et LÉcole de demain (Odile Jacob, 2016). Désormais passé aux commandes du « mammouth », concentré sur l’enseignement scolaire (le supérieur disposant d’un ministère autonome), pourra-t-il mettre en œuvre les idées qu’il a annoncées ?

Le programme présidentiel

Bien entendu, le ministre n’a pas carte blanche. Il est d’abord tenu par le programme présenté par le président et approuvé par les Français – un programme qui s’inspire largement des propositions émanant de Jean-Michel Blanquer lui-même, via un think tank bien connu, l’Institut Montaigne. Emmanuel Macron s’est bien gardé d’annoncer une grande réforme législative ; il s’est en revanche situé dans une démarche pragmatique en annonçant une série de mesures ciblées.

À court terme : la division par deux des effectifs des classes de CP puis de CE1 en éducation prioritaire (REP+) ; le libre choix des rythmes scolaires des écoles primaires ; l’assouplissement de la réforme des collèges entreprise par Najat Vallaud-Belkacem ; la généralisation des devoirs surveillés et la semaine de préparation de la rentrée scolaire dans les établissements.

À moyen terme : le renforcement de l’autonomie des établissements scolaires, tant sur le plan pédagogique qu’en matière de recrutement des enseignants, avec son corolaire, l’évaluation des résultats ; la révision de la gestion des enseignants, avec en particulier l’affectation d’enseignants expérimentés et non plus des nouveaux enseignants dans les établissements difficiles (avec doublement de l’indemnité spéciale, portée à 5 300 euros par an) et avec l’institution d’une formation continue obligatoire.

Enfin, l’ouverture de la concertation sur trois thèmes : le baccalauréat, en réduisant les épreuves terminales à quatre épreuves ; les pré-requis pour l’accès aux formations de l’enseignement supérieur ; le développement de l’apprentissage et de l’alternance.

La démarche scientifique de Jean-Michel Blanquer

À ce vademecum, Jean-Michel Blanquer ajoute ses convictions personnelles qui portent essentiellement sur la méthode de pilotage, assez neuve dans l’Éducation nationale. Faisant fi des clivages politiques, idéologiques ou corporatistes, il place l’épanouissement de l’enfant et l’éducation à la liberté comme finalités premières du système éducatif. Au service de cette fin, il trace une démarche intellectuelle qui permet de rationaliser l’action à entreprendre ; cette démarche comporte trois dimensions :

Où en sommes-nous ? Quelle analyse peut-on faire de la situation sur tel ou tel point ? Quelles en sont les caractéristiques et quels sont les résultats ?

Quelles leçons peut-on tirer de ce qui se fait ailleurs, en particulier à l’étranger ? J-M.Blanquer intègre dans sa réflexion les solutions mises en oeuvre dans les pays qui caracolent en tête des évaluations internationales (pays nordiques et asiatiques).

Que nous apporte la recherche ? Que disent les chercheurs français et étrangers des divers secteurs : sciences cognitives, sciences sociales et économiques, sciences de l’éducation ? Quelles conclusions tirent-ils des expériences menées çà et là, sont-elles efficaces ? À cet égard, plusieurs expériences menées à l’initiative de J-M. Blanquer lui-même ont fait l’objet d’évaluations scientifiques : par exemple, « la mallette des parents » dans l’académie de Créteil ou les « internats d’excellence » créés sous son autorité un peu partout en France. C’est aussi pourquoi, il envisage de centrer la mission des corps d’inspection sur les audits d’établissements plus que sur l’inspection des personnels.

En somme, faire entrer la science et l’efficacité dans la décision de politique éducative ! Une réelle nouveauté dans un pilotage habituellement fondé sur des idéologies, des impressions peu étayées sur le plan scientifique et des « expérimentations » généralisées rapidement, sans évaluation.

L’école primaire, priorité des priorités

A partir de cette démarche, Jean-Michel Blanquer définit ses priorités aux différents niveaux. La priorité des priorités, c’est l’école primaire, là où les inégalités vont s’enkyster si l’on n’y prend garde immédiatement. La maternelle doit être l’école du langage, s’inspirer de la pédagogie Montessori de l’expérience et du jeu, éduquer aussi à la vie sociale et au respect de l’autre. Pour leur part, les classes élémentaires ont pour objet essentiel l’acquisition des fondamentaux, auxquels l’essentiel des horaires doit être consacré (20 h/semaine en français et maths) ; la pédagogie doit s’inspirer des meilleures méthodes aux yeux des spécialistes des neurosciences (notamment Stanislas Dehaene, professeur au Collège de France) ; les évaluations des élèves de CE2 et CM2 (supprimées en 2012) doivent guider le travail des enseignants et remédier aux difficultés rencontrées. Sur le plan matériel, les moyens doivent renforcer l’action dans les établissements difficiles, avec la réduction du nombre d’élèves par classe, préconisée par les travaux de deux chercheurs de l’EHESS, Thomas Piketty et Mathieu Valdenaire, en 2006, et par des études anglo-saxonnes (quoique d’autres chercheurs doutent de son efficacité). Enfin, gage de succès, les parents doivent être étroitement associés à l’éducation de leurs enfants par le biais, par exemple, d’une « maison des parents ».

Des collèges et lycées plus autonomes

Jean-Michel Blanquer adhère a l’idée de « socle commun » : le socle de base de connaissances et de compétences que tout élève devrait, au minimum, posséder à la fin de la scolarité obligatoire – une idée lancée par Claude Thélot en 2004[2] et inscrite pour la première fois dans la loi par François Fillon en 2005. Il envisage en conséquence un rapprochement du collège et des écoles, gérés dans le cadre de nouvelles circonscriptions scolaires. Il suggère également une diversification des parcours au sein du collège, susceptible de valoriser les diverses formes d’intelligence des élèves.

Le lycée doit être un lieu d’initiative et de responsabilité pour les élèves, de développement de l’esprit d’entreprise. Le bac, dont Jean-Michel Blanquer est un « défenseur inconditionnel », doit être maintenu, mais rendu plus utile (un tremplin vers le supérieur), en le concentrant sur quelques épreuves-clés ; les autres matières étant évaluées en contrôle continu. Quant aux lycées professionnels, leur transfert aux régions est suggéré, de façon à mieux les articuler avec le monde professionnel et les bassins d’emploi.

L’autonomie des établissements secondaires, collèges et lycées, est un axe important des propositions de Jean-Michel Blanquer. D’abord, en renforçant le pilotage pédagogique et managérial par le chef d’établissement, ensuite en laissant aux équipes pédagogiques le soin d’ajuster les horaires des disciplines en fonction des besoins repérés de leurs élèves. Mais la contrepartie de l’autonomie, c’est la responsabilité : les évaluations seront généralisées et rendues publiques. Dans ce cadre, le statut des professeurs devra être modernisé sur plusieurs points : formation initiale et continue, affectation sur profil, travail en équipe, annualisation du service.

Le nouveau ministre a donc en tête tout un programme. Un programme original qui n’en pose pas moins des questions : le pilotage par la science et par les résultats ne masque-t-il pas en somme des choix idéologiques ? Les premières mesures décidées (rythmes scolaires avec retour possible à la semaine de quatre jours, dédoublement des CP au détriment du « plus de maîtres que de classes » mis en place précédemment, rétablissement du redoublement etc.) sont-elles vraiment inspirées par la méthode scientifique annoncée ? La volonté d’encourager l’autonomie et l’innovation résistera-t-elle aux traditions centralisatrices, bureaucratiques et « top-down » du ministère de l’Éducation nationale ? Wait and see…

 

[1] Le Monde a dressé un portrait de Jean-Michel Blanquer dans son édition du 11/12 juin 2017, p.10

[2] Pour la réussite de tous les élèves, Rapport de la Commission du débat national sur l’avenir de l’École, présidée par Claude Thélot, La Documentation française, 2004.