Baccalauréat: une réforme peut en cacher une autre edit

15 février 2018

La main du ministre allait-elle trembler ? Allait-il ou non suivre les propositions audacieuses du rapport Mathiot qui, loin de n’être qu’une simple réforme du baccalauréat, engageaient une profonde réorganisation de l’enseignement secondaire au lycée?

Les commentateurs prévoyaient ces derniers temps que le ministre n’oserait pas s’engager dans une réforme d’ampleur, politiquement risquée. Philippe Vincent, représentant du SNPDEN, le principal syndicat de proviseurs, se félicitait que le big bang annoncé, « avec des enseignements organisés en semestres et un bac modulaire, ait été mis sous le boisseau ». Apparemment ils ont eu tort, même si, on le verra, Jean-Michel Blanquer a mis de l’eau dans le vin du rapport initial.

Les propositions étaient en effet audacieuses : découpage de l’année scolaire en semestres (comme à l’université) et non plus en trimestres, dynamitage des traditionnelles filières S, ES et L des bacs généraux comme celles des  bacs technologiques, possibilité ouverte aux lycéens dès le deuxième semestre de seconde, puis en première et terminale, de panacher des matières (en majeure et en mineure) qui s’ajouteraient à un tronc commun (dont la composition reste à détailler), resserrement du baccalauréat autour de quatre épreuves et renforcement parallèle du contrôle continu qui devait compter pour 40% du bac. Ajoutons également qu’apparaissaient de nouvelles matières dans les choix proposés aux élèves, sciences de l’ingénieur, et surtout informatique, qui pourraient donner un sacré coup de jeune à la culture scientifique des élèves français.

Un lycée modulaire

L’idée générale de la proposition de réforme de Pierre Mathiot était de sortir du carcan rigide des filières pour permettre aux lycéens, tout en conservant un socle de connaissances commun, de construire leur parcours et de le réorienter au besoin, (une des deux majeures pouvant être changée de la première à la terminale).

Il est amusant de constater que ce projet ressemble furieusement à celui, avorté, proposé en 2009 par le ministre de l’Education Xavier Darcos et inspiré par Jean-Paul de Gaudemar. Là aussi, on trouvait l’organisation de l’année scolaire en semestres, la suppression des filières, la distinction entre un tronc commun et des modules choisis par les élèves, avec également l’idée d’avoir des choix réversibles. Mais Xavier Darcos avait sans doute fait deux erreurs : celle de présenter son projet comme une profonde et ambitieuse réforme du lycée et, plus grave encore, d’avoir indiqué, dans le fil de cette réforme, vouloir diminuer le volume horaire des cours, déclenchant immédiatement l’ire des syndicats. Ces derniers avaient trouvé cette hypothèse « inadmissible » car pouvant justifier la réduction du nombre d’enseignants. Beaucoup de spécialistes sont convaincus que cet allégement de l’emploi du temps des lycées est nécessaire (il est un des plus chargé d’Europe), mais il ne fallait pas le dire. Près de dix ans plus tard, on retrouve à peu près les mêmes idées. Les choses avancent lentement en France…

Jean-Michel Blanquer semblait avoir habilement camouflé l’ampleur de la réforme proposée sous l’innocent habillage d’un simple remodelage du baccalauréat, à moins que la volonté réformatrice de l’auteur du rapport ait tout simplement dépassé le cadre qui lui avait été fixé. En tout état de cause, cet habile camouflage ne trompait certainement pas les acteurs informés du système éducatif et la réforme comportait quelques ingrédients explosifs, avec notamment le passage à la semestrialisation des enseignements, peu compatible avec les obligations de service actuelles (18h hebdomadaires pour un professeur certifié, 15h pour un agrégé). Si l’idée avait été poussée jusqu’au bout elle aurait conduit à repenser complètement l’organisation du travail enseignant : un dossier qui pourrait faire tomber un ministre, comme il l’avait fait en 2009 ! Jean-Michel a dû y songer et semble avoir sagement remisé cette mesure.

Mais il a conservé un point essentiel : le dynamitage des sacro-saintes filières générales (littéraire, économique et sociale, scientifique) et la réorganisation des études autour d’un tronc commun et de spécialités (trois en première, deux en terminale) laissées au libre choix des élèves parmi un panel de huit matières. Le tronc commun devrait comporter une nouvelle discipline « humanités numériques et scientifiques » pour « mettre l’accent sur la culture scientifique commune à tous les élèves » et « promouvoir le raisonnement scientifique ».

La suppression du carcan rigide des filières qui organisent actuellement l’enseignement secondaire est un acquis important. En effet, les évaluations internationales montrent que les systèmes éducatifs organisés autour de telles filières sont plus inégalitaires. On conçoit assez facilement que la rigidité d’un système qui ne permette pas facilement de faire évoluer son parcours en fonction de l’évolution de ses aptitudes soit défavorable à ceux qui ont le moins d’atouts au départ. Donner plus de latitude et de possibilités de choix aux élèves dans l’organisation de leur scolarité peut être également un moyen renforcer leur motivation scolaire, de sortir d’une organisation des études dont les principaux intéressés ne sont que les jouets passifs. Redonner aux élèves, dont beaucoup l’ont perdu, le goût de l’école est un enjeu majeur et leur offrir des possibilités de choix peut y contribuer.

Une meilleure articulation entre l’enseignement secondaire et le supérieur

L’esprit de la réforme est également de mieux articuler les acquis des élèves avec les filières d’enseignement supérieur qu’ils choisissent de façon à réduire le taux d’échec dans le premier cycle. Le projet de loi prévoit que les universités auront la possibilité d’examiner les dossiers des candidats et l’adéquation de leur profil avec la licence demandée. Dans les lycées, le rôle du conseil de classe sera accru puisqu’il pourra examiner les vœux des candidats et formuler des recommandations. La réforme du bac va dans ce sens puisqu’elle renforce le poids du contrôle continu qui représente certainement une meilleure évaluation des forces et des faiblesses d’un candidat que le format actuel du bac. Jean-Michel Blanquer a néanmoins revu un peu à la baisse les propositions du rapport Mathiot sur ce point, puisqu’il propose un poids du contrôle continu de 30% (au lieu de 40%), mais complété par la prise en compte des notes de bulletin de première et terminale (pour 10%, les 60% restants relevant de l’oral de l’examen et des quatre épreuves écrites).

A ce sujet, nombreux sont ceux qui s’inquiètent du rôle renforcé des lycées dans l’évaluation et l’orientation des élèves en y voyant une atteinte à l’égalité. En lieu et place de l’épreuve anonymisée et du diplôme national, on aurait  maintenant d’un côté le bac « H4 », de l’autre le bac « Seine-Saint-Denis ».

S’il est vrai que le renforcement du contrôle continu entérine des différences entre établissements et entre les publics qui les fréquentent, l’idée que le « diplôme national » du baccalauréat efface ces différences est pourtant totalement illusoire. L’égalité qu’elle promet est une égalité de papier, il suffit d’ailleurs pour s’en convaincre d’étudier les parcours dans l’enseignement supérieur des bacheliers des différentes séries (voir ma chronique dans Telos : « Sélection des étudiants, oui mais… »). Pierre Mathiot faisait également remarquer dans son rapport que « 40% des lycéens sont déjà aujourd’hui admis dans l’enseignement supérieur sur la base de l’examen de leur bulletin, sans donc aucun mystère sur leur nom et leur lycée d’origine ». Masquer l’histoire scolaire des candidats à l’enseignement supérieur qui serait comme magiquement effacée par la cérémonie républicaine du bac est une illusion mortifère qui conduit à l’échec des milliers de jeunes.

Le pragmatisme devrait conduire à tenir compte du point de départ (forcément inégal[1]) et pas seulement d’un point d’arrivée idéal que chacun serait censé pouvoir atteindre. Un enseignement post-bac pour tous les bacheliers est une perspective réaliste, mais pas l’idée que chacun doive pouvoir accéder à tous les types de cursus. Il n’est pas du tout sûr d’ailleurs que ce soit le vœu des élèves eux-mêmes : beaucoup d’entre eux sont simplement désorientés (dans tous les sens du terme) et ne choisissent des filières que par défaut.

Dans cet esprit la réforme du bac qui est en fait une profonde réforme de l’enseignement secondaire s’articule fort logiquement à la réforme de l’admission post-bac en mettant en place un dispositif d’évaluation et d’aide à l’orientation précoce des élèves du secondaire (avec des horaires dédiés et des professeurs certifiés) et une meilleure coordination entre les établissements scolaires et les établissements d’enseignement supérieur.

Les chances de réussite de cette réforme semblent meilleures que sous Xavier Darcos, mais rien n’est joué. Espérons qu’elle ne connaisse pas le sort funeste de ses devancières !

 

[1] Egaliser les chances des élèves est un objectif auquel il faut évidemment adhérer, mais de nombreux travaux (dont ceux de James Heckman) ont montré qu’en cette matière tout se jouait très tôt dans la vie, dès l’école maternelle et sans doute même avant.