Présidentielles: comment aider vraiment les jeunes? edit

22 février 2007

A Villepinte, Ségolène Royal a proposé de créer un droit au premier emploi pour les jeunes, un prêt à taux zéro de 10 000 euros pour les jeunes ayant un projet, un service public de la caution, un service public d'orientation et une allocation d'autonomie pour les étudiants. Mais les modalités de cette proposition n'ont guère été précisées. Nicolas Sarkozy n'a pas fait de propositions de ce type. Il semble considérer que les mesures économiques qu'il préconise suffiront à améliorer rapidement la situation générale de l'emploi, et donc celle des jeunes. Cette vision paraît bien optimiste…

En fait, les deux programmes semblent faire en grande partie l'impasse sur la question centrale de l'échec scolaire. Près d'un jeune Français sur cinq finit ses études initiales avec, au mieux, le brevet des collèges en poche. Du côté du supérieur le bilan n'est pas beaucoup plus brillant : un jeune sur quatre qui commence des études supérieures les termine sans avoir obtenu de diplôme universitaire. Ce taux d'échec est-il incompressible ? C'est un peu le sentiment implicite qui ressort de la lecture des programmes présidentiels. Par exemple, la suppression ou l'assouplissement de la carte scolaire, proposée par les deux principaux candidats, vise surtout à promouvoir la réussite des élites des banlieues, sur le modèle expérimenté par Sciences Po. Mais tous les jeunes n'ont pas la vocation, ni les possibilités de faire l'ENA. N'y-a-t-il pas de profondes réformes de structure à envisager pour rendre le système éducatif plus efficace et plus juste ?

On peut penser, par exemple, à deux mesures pour réduire l'échec scolaire en second cycle professionnel. Tout d'abord, il faudrait réformer en profondeur le système d'orientation à l'entrée du secondaire et mettre à équivalence la voie professionnelle et la voie générale, en créant une « seconde de détermination professionnelle » qui laisserait aux jeunes qui s'orientent vers un CAP ou un BEP le temps de construire leur choix durant une année. En second lieu, on peut envisager de déconnecter la partie générale et la partie professionnelle du CAP, en permettant une validation sur la seule réussite aux matières professionnelles tout en laissant la possibilité de valider par la suite la partie générale.

Une autre question apparaît en filigrane dans les programmes présidentiels consacrés à la jeunesse sans être abordée de front : faut-il aider tous les jeunes ou seulement la partie d'entre eux qui connaissent le plus de difficultés ? Cette question engage évidemment le diagnostic que l'on fait sur l'état de la jeunesse française. La réponse n'est d'ailleurs pas forcément tout entière d'un côté ou de l'autre : certaines mesures peuvent être adaptées à l'ensemble des jeunes, d'autres viseront des cibles particulières. En effet, tous les jeunes peuvent avoir des difficultés, mais tous n'ont pas les mêmes difficultés et surtout, la situation de ceux qui connaissent le plus difficultés se dégrade plus rapidement et s'éloigne de plus en plus de la situation moyenne.

Résumons : l'occupation d'emplois temporaires (quelle que soit leur nature juridique) s'est généralisée à l'entrée dans la vie active mais le terme de ces débuts de parcours incertains est très différent, et de plus en plus différent, selon que les jeunes sont ou non diplômés. Les premiers finissent pas se stabiliser (à 30 ans 80% d'entre eux occupent un emploi stable), tandis que les seconds connaissent des parcours beaucoup plus chaotiques qui peuvent déboucher dans le pire des cas sur des situations de grande pauvreté et d'exclusion durable. L'action publique devrait donc se concentrer sur ces jeunes les plus démunis, en réduisant le taux d'échec scolaire, on l'a déjà évoqué, et en facilitant l'emploi des travailleurs non qualifiés. Sur ce plan, les allégements de charges sur le travail non qualifié ont montré une certaine efficacité. La généralisation d'emplois semi-publics suscite plus de scepticisme : ne constitue-t-elle pas simplement une solution d'attente qui repousse le problème à plus tard, avec le risque de dégrader l'employabilité des jeunes bénéficiaires de telles mesures, lorsqu'ils se présenteront sur le marché du travail réel ?

Les jeunes étudiants ou les jeunes diplômés rencontrent eux aussi, bien sûr, des difficultés dues à l'étalement des parcours d'insertion, notamment dans l'accès au logement. Là aussi, les inégalités entre jeunes s'accroissent, entre ceux qui ont des parents dont la situation économique leur permet de se porter garant pour leurs enfants et ceux qui ne le peuvent pas. Sur ce plan, la création d'un service public de la caution peut effectivement être une mesure utile. On peut penser également, si l'on veut éviter certains effets pervers possibles d'une « allocation d'autonomie » qu'il serait plus efficace et peut-être plus juste (elle semble dans le programme de Ségolène Royal réservée aux étudiants) de réviser les conditions de l'indemnisation du chômage à l'issue de l'occupation d'un premier emploi. Il faut avoir travaillé 9 mois au cours des 22 derniers mois pour pouvoir bénéficier de l'allocation d'aide au retour à l'emploi. Ces conditions pourraient être assouplies pour les jeunes de moins de 25 ans, afin de tenir compte de l'instabilité structurelle de leurs parcours professionnels.

D'une manière plus générale, la situation des jeunes Français repose sur une sorte de compromis implicite entre les générations sur lequel les programmes actuels des candidats ne lèvent pas le voile. Sur le plan de l'insertion professionnelle, la France se situe très clairement du côté des pays méditerranéens : la flexibilité est toute entière concentrée sur les jeunes tandis que les adultes dans la force de l'âge sont remarquablement préservés. Les adultes aux commandes y trouvent évidemment avantage. Dans une certaine mesure les jeunes Français eux-mêmes semblent se satisfaire de cette situation pour deux raisons : ils valorisent très fortement le modèle de l'emploi stable dont le fonctionnariat est l'archétype et ils espèrent accéder à ce viatique au terme de leurs années de « galère » ; durant ces années de transition, ils sont d'autre part, très fortement soutenus par leurs parents, ce qui atténue sensiblement la rigueur des inégalités générationnelles. Les perdants sont évidemment ceux des jeunes qui n'ont ni les diplômes qui leur permettent d'être en bonne place dans la file d'attente vers l'emploi, ni des parents dont les moyens atténuent les coûts de la précarité. Quant aux jeunes diplômés qui ne se résignent pas à attendre, ils sont, on le sait, nombreux à aller tenter leurs chances hors des frontières.