La France va-t-elle si mal? edit

27 avril 2022

Je ne suis pas compétent sur les questions de science politique, et pourtant je vais me permettre de critiquer ce qui se raconte sur l’élection présidentielle, quitte à me tromper complètement. La raison pour laquelle je m’aventure ainsi dans un domaine autre que le mien est que je comprends d’où viennent les commentaires qui décrivent la France comme un pays en décomposition politique, marqué par une poussée croissante des extrémistes des deux bords. Dans mon innocence, je vois le contraire, un pays d’une grande stabilité politique en pleine recomposition.

Stabilité d’abord. Macron a été réélu, et ce avec une ample majorité. Pourquoi tant de commentateurs font la moue, alors ? Ils notent aussi une « forte poussée » de l’abstention, qui a atteint 28% des inscrits. En réalité, l’abstention n’a augmenté que de 2,5 points par rapport à 2017. C’est peu si l’on considère que la plupart des partis absents du second tour recommandaient simplement de ne pas voter Le Pen, suggérant que ne pas voter était une bonne stratégie. Ils encourageaient aussi les votes blancs et nuls, qui totalisent 6,2% des électeurs, moins que les 8,6% atteints la dernière fois. Même le taux d’absention n’atteint pas un record historique : en 1969, il était de 31,1% quand Georges Pompidou avait battu Alain Poher avec un score semblable (58,2%) à celui recueilli par Emmanuel Macron. Personne, à l’époque, ne le considérait mal élu. Au contraire, la Ve République y prenait son envol après le retrait de De Gaulle, son fondateur tutélaire. Dans ces conditions, quand les mêmes commentateurs observent  que c’est la première qu’un président sortant est réélu – hormis les cas de cohabitations préalables lorsque le sortant était dans l’opposition – j’y vois la marque d’une grande stabilité, à la fois du système politique et de la confiance des électeurs.

Décomposition politique, ensuite. La décomposition concerne les deux anciens partis de gouvernement, PS et LR, comme l’expliquait récemment Gérard Grunberg sur Télos. C’est la confirmation du succès majeur de Macron, qui avait parié sur la fin de la coupure gauche-droite. Cette décomposition est un signe de vitalité. Rien n’est pire que des partis sclérosés, sans idées et déchirés par des luttes intestines qui portent moins sur des questions politiques que sur des ambitions personnelles. Leur décomposition n’est pas celle de la démocratie, en réalité c’est une saine clarification. PS et LR (ou ses acronymes précédents) se succédaient au pouvoir pour faire à peu près la même chose, en fait pas grand chose. Ils gouvernaient au centre, mais se disaient de gauche ou de droite. Ils refusaient de se dire du centre pour bénéficier du vote automatique des peuples de gauche et de droite. Macron se dit du centre, sans honte aucune, et il gagne.

Poussée des extrémismes. Si Macron occupe un vaste centre, l’opposition sincère ne peut que se réfugier au-delà, donc aux extrémités. Mélenchon a su attirer l’aile gauche du PS, Le Pen l’aile droite de LR. Affirmer que les extrémistes représentent la moitié, ou plus, de la France est une erreur. Au-delà des slogans, les vrais marxisants et les vrais racistes-nationalistes restent une petite minorité. Les bataillons de Mélenchon et de Le Pen, qui ont chacun su se dédiaboliser, sont en grande partie de braves gens qui n’aiment pas Macron. Ces extrémistes ont réussi un beau coup en masquant leurs vraies préférences, ce qui témoigne plus de la crédulité de leurs électeurs que d’une prétendue colère. Ce sont les perdants qui sont en colère, ce qui est bien compréhensible, mais leur agitation ne devrait pas masquer le bon fonctionnement des institutions.

Là où les commentateurs ont raison, c’est lorsqu’ils observent que la vieille césure entre gauche et droite est remplacée par une nouvelle césure entre ceux qui sont globalement satisfaits de leurs conditions d’existence et ceux qui se sentent déclassés. Ces derniers détestent la mondialisation, comme les canuts détestaient la révolution industrielle. C’est normal. Il est réjouissant de voir qu’une large majorité de Français sont satisfaits et soutiennent le progrès. Ils sont souvent peinés de voir monter les inégalités que crée inévitablement le progrès, mais ils ne sont pas prêts à remettre en cause leur statut et la prospérité du pays. Ils ont soutenu, un temps, la petite minorité que constituaient les Gilets jaunes, puis ils en ont eu assez et tout est rentré dans l’ordre.

Au fond, ce qui se passe en France n’est pas très original. Partout, en Europe comme aux États-Unis, la même césure est apparue, pour les mêmes raisons. Les effets sont similaires, mais ils diffèrent en fonction des réactions des vieux partis. Lorsqu’ils savent s’adapter aux évolutions en cours, ils survivent, même s’ils deviennent toxiques, comme les Républicains aux États-Unis. Ce qui distingue la France, c’est la rapidité de la reconstitution d’un nouvel équilibre dominé par le centre. Tout cela me paraît très rassurant, même si l’histoire est loin d’être finie. Macron le sait bien. Il lui revient de trouver les moyens pour que la bonne aventure se poursuive d’abord avec lui, puis après lui.