Leçons des neuf précédentes élections européennes edit

13 mai 2024

Les européennes sont des élections de second ordre ne présentant pratiquement aucun enjeu de pouvoir aux yeux des électeurs (contrairement aux municipales), ainsi elles se présentent comme une sorte de sondage géant. Elles se caractérisent par une faible participation et un comportement électoral où la dimension expressive du vote est absolument dominante.

Cette faible participation électorale peut cependant être limitée si l’élection est la première consultation nationale après les dernières élections nationales, ce qui est le cas cette fois-ci, comme déjà en 2019.

La dimension purement expressive du vote – un super sondage – se caractérise par une mobilisation différentielle sur les enjeux nationaux, les mécontents de l’action gouvernementale se mobilisant plus que les satisfaits ou les indifférents, et par l’importance de la qualité communicationnelle des candidats les plus en vue, de la qualité médiatique de leur campagne, de leur popularité, particulièrement aux yeux des électeurs intéressés par l’élection et peu mobilisés par les enjeux nationaux, notamment ceux intéressés par l’enjeu européen ou l’écologie.

Le mode de scrutin proportionnel utilisé pour ces élections influence fortement la transposition des voix en sièges au Parlement européen ainsi que les stratégies des responsables politiques avant l’élection, en particulier lors de la constitution de l’offre électorale. Cependant il n’a aucun impact concernant le comportement des électeurs dans leur choix entre les différentes listes. L’immense majorité des votants ignore le nombre de sièges en jeu et le détail du mécanisme de répartition des sièges.

À partir de là, il faut tout d’abord mettre en évidence ce qui dans les élections européennes en France depuis 1979 a marqué des changements politiques durables et les évolutions qui n’ont été que conjoncturelles, sans impact notable sur les élections nationales (la présidentielle et les législatives).

Les deux percées électorales du FN, en 1984 et en 2014, se sont toutes les deux avérées durables et ont entraîné des conséquences majeures. Celle de 1984 (11%), marque le surgissement du FN comme force politique significative qui ne disparaîtra plus du paysage politique. La seconde en 2014 (24,9%) permet au FN de s’installer comme la principale force d’opposition et transforme profondément les anticipations des leaders politiques nationaux. Chacun considérant alors que Marine Le Pen est assurée d’être au second tour de l’élection présidentielle et que, par conséquent, vu son rejet dans l’opinion en général, l’élection présidentielle se jouera dès le premier tour, l’objectif étant d’être celui qui l’affrontera au second. Ce fut effectivement le cas en 2017 et 2022.

D’autre évolutions ont été purement conjoncturelles, comme les 12% de la liste PRG menée par Bernard Tapie en 1994. Mais on a observé aussi des différences souvent répétées entre les élections européennes et les élections nationales (présidentielle et législatives) avec de bien meilleurs résultats pour les écologistes et les souverainistes aux européennes. Pour les écologistes (les Verts), le phénomène est récurrent à partir de leur première percée en juin 1989 (10,6 %), à la seule exception de 1994. C’est le Parti socialiste qui a été la principale victime de ces transferts conjoncturels de suffrages vers les écologistes (et vers Tapie en 1994), mais ce fut aussi le cas du Front de Gauche puis de LFI à partir de 2012. Ce vote d’une partie de l’électorat national du PS (puis de LFI) vers les écologistes aux européennes a concerné principalement les classes moyennes et les milieux favorisés diplômés, on l’a observé également aux autres élections intermédiaires : régionales, municipales et départementales. Les partis souverainistes, MPF et RPF, à partir de leur percée en 1994 à la suite du référendum de 1992 sur le Traité de Maastricht, ont bénéficié conjoncturellement du vote d’une partie de l’électorat de la droite modérée (UDF et RPR), en particulier dans les milieux les plus favorisés. Ce phénomène n’a existé qu’aux élections européennes, et pas aux élections locales, et s’est estompé à partir de 2004 pour disparaître complètement en 2014-2019. En 1984 et 1989, avant l’apparition des souverainistes, le FN a bénéficié du vote conjoncturel de certains de ces électeurs eurosceptiques.

Il s’est agi dans les deux cas d’un vote sur enjeux (environnement et Europe), par lequel certains électeurs des grandes forces politiques nationales expriment une prise de distance par rapport à leur parti principalement sur un enjeu. Le vote CPNT (chasseurs) lors des élections européennes et locales de 1994 à 2007, principalement au sein de la droite, a été de même nature.

Ces votes pour des forces « adjacentes » lors d’élections de second ordre nous renseignent sur la composition de la coalition électorale que représente l’électorat national des différentes grandes forces politiques et éclaire les conséquences de l’éclatement de ces coalitions électorales lors des effondrements du PS et de LR à partir de 2017. On peut ainsi interpréter le vote Zemmour en 2022 comme l’expression de cet électorat conservateur, identitaire et libéral économiquement, qui avait souvent voté pour les souverainistes aux européennes et s’est trouvé « libéré » par l’effondrement de LR.

Des considérations précédentes, on peut d’ores et déjà dire que si les indications actuelles des sondages d’intentions de votes sont confirmées le 9 juin, une très forte poussée du RN devrait être considérée comme susceptible de se reproduire lors d’élections d’enjeu national (présidentielle ou législatives). Inversement la dynamique dont bénéficie la liste Glucksmann aux dépens des écologistes et de la majorité gouvernementale, tout en récupérant une fraction importante du vote Mélenchon de 2022, ne garantit rien au PS pour 2027, comme ce fut le cas pour les écologistes derrière Yannick Jadot, qui, après avoir obtenu 13,5% aux européennes de 2019, se sont retrouvés à 4,6% à la présidentielle de 2022.

Les indications des enquêtes IPSOS[1] vont dans le même sens. Dans sa vague 3 (page 27) l’IPSOS indique que 65% des électeurs de la liste RN se détermineront sur des questions nationales contre 47% en moyenne, seulement 26% pour les listes écologistes et PS et 25% pour la liste Renaissance. De plus, dans la vague 4, on observe (page 29) que 67% des électeurs de la liste RN indiquent qu’ils voteront avant tout en opposition au gouvernement et au président (37 % en moyenne) contre seulement 19 % pour les écologistes et 23 % pour la liste PS, alors que 57 % de ceux de Renaissance veulent leur apporter leur soutien contre seulement 12 % en moyenne. Cela indique que les soutiens des listes Glucksmann et écologistes ne se prononcent majoritairement ni sur l’action du pouvoir, ni sur les enjeux nationaux.

[1] Enquêtes IPSOS Elections européennes vague 3 de mars et vague 4 d’avril 2024, portant chacune sur plus de 10 000 personnes.