Le bouleversement électoral des Pays-Bas edit

6 décembre 2023

Les élections du 22 novembre 2023 ont été marquées par la double défaite de la majorité gouvernementale sortante et de la gauche, par une percée sans précédent de la droite radicale anti-immigration et par l’irruption d’un nouveau parti de centre droit. La vie politique aux Pays-Bas était dominée depuis 1946 par une alternance de gouvernements de coalition dominés soit par le centre droit (chrétiens démocrates du CDA et libéraux du VVD) ou soit par une alliance entre le centre droit et le centre gauche (travaillistes du PVDA et sociaux-libéraux de D66). Le libéral Mark Rutte, au pouvoir depuis 2010, a provoqué des élections anticipées à la suite d’un désaccord au sein de la coalition (VVD-CDA-D66-CU) survenu avec les démocrates 66 (D66) et les chrétiens unis (CU) en raison de sa volonté de réduire l’immigration, tout en annonçant qu’il ne se représenterait pas. Comme l’élection des 150 députés a lieu à la proportionnelle sans seuil dans une circonscription nationale unique, de nombreux partis sont représentés à la chambre : 17 en 2021, 15 en 2023.

Le 23 novembre, le parti de droite radicale PVV de Geert Wilders est arrivé largement en tête avec 23,5 % des suffrages (10,9 % en 2021) et 37 sièges sur 150. Il a distancé l’alliance de la gauche verte et des travaillistes (GLPVDA) menée par l’ex-commissaire européen Franz Timmermans (travailliste) avec 15,8 % des suffrages (5,7 % en 2021 pour le PVDA et 5,1 % pour la Gauche Verte) et 25 sièges, le VVD dirigé par la ministre de la Justice Dilan Yesilgöz à 15,3 % (21,9 % en 2021) et 24 sièges, ainsi que le Nouveau Contrat social (NSC) de Pieter Omtzigt avec 12,9 % et 20 sièges. Jamais un parti autre que le CDA, le VVD ou le PVDA n’était arrivé en tête à des élections depuis 1946.

Percées et effondrements

La majorité sortante (VVD-CDA-D66-CU) s’est effondrée avec seulement 26,9 % et 42 sièges contre 49,9 % et 78 sièges en 2021. Tous les partis de la coalition gouvernementale sortante reculent tout comme le VVD : les D66 n’obtiennent que 6,3 % (15 % en 2021) et dix sièges, le CDA 3,3 % (9,6 % en 2021) et cinq sièges, et les chrétiens du CU 2 % (3,4 % en 2021) et trois sièges.

La gauche et le centre gauche (huit partis) subissent une défaite historique à 32 % contre 40,8 % en 2021, 41,7 % en 2017 et 46,7 % en 2012. Elle n’a jamais été aussi faible depuis 1946. Au sein de celle-ci, le succès relatif de la liste Timmermans résulte de sa capacité à récupérer la majeure partie de l’électorat de la gauche verte et des travaillistes et surtout une grande part des pertes de D66. Son électorat est fortement concentré dans les grandes agglomérations et dans les milieux fortement diplômés et favorisés. Elle arrive en tête dans deux des douze provinces, la Hollande du Nord (Amsterdam) et Utrecht, qui sont de loin les plus riches par tête d’habitant, le PVV de Wilders arrivant en tête dans les dix autres. Le Parti socialiste, formation de gauche radicale eurosceptique, confirme sa chute depuis 2017 : 9,1 % (2017), 6 % (2021), 3,1 % (2023).

La droite radicale comprend cinq partis. Ils obtiennent ensemble obtient 31,5 % des suffrages contre 19,3 % en 2021 et 15,3% en 2017. Avec 23,5 % Wilders pulvérise son précédent record de 2010 (15,3 %) et fait plus que doubler son score de 2021 (10,6 %) malgré la concurrence des autres formations de droite radicale. Ces dernières sont en net recul sur 2021 ou n’obtiennent que de très faibles résultats sauf le BBB (Mouvement agriculteur citoyen, anti plan azote). Celui-ci progresse sensiblement avec 4,6 % (1 % en 2021) et sept sièges, mais ne réédite pas sa percée des élections provinciales et sénatoriales de mars 2023 où il était arrivé en tête (18 %) dans la foulée des manifestations contre le projet de réduction drastique des émissions de carbone.

Avec 12,9 % et 20 sièges Pieter Omtzig prend sa revanche sur son ancien parti, le CDA, et s’impose comme un acteur majeur de la recomposition politique en cours. Pieter Omtzig a quitté le CDA pour fonder le NSC en août 2023 après avoir été un des rares députés à avoir dénoncé l’énorme scandale des allocations et défendu ses victimes. Depuis 2013, à cause d’un nouvel algorithme, plus de 100.000 personnes se sont vu réclamer à tort le remboursement d’allocations, provoquant la ruine de nombreuses familles. Le NSC est très critique vis-à-vis de la classe politique, d’orientation conservatrice sur les questions sociétales et favorable à la défense de la protection sociale.

Les dynamiques de campagne

La campagne électorale a été dominée par quatre thèmes : celui de l’immigration, face à l’afflux de demandeurs d’asile sans précédent depuis 2015, ceux de l’écologie et de l’Europe, à travers le « plan vert » promu par Timmermans, et celui de l’inflation. Wilders a quelque peu modéré son image durant la campagne, en particulier sur son refus de l’Europe et de l’islam. Il s’est prononcé contre les sanctions à la Russie, contre les ventes d’armes à l’Ukraine, pour le soutien à Israël et contre les normes environnementales contraignantes. Il s’est présenté comme le défenseur des valeurs libérales (droits des femmes et des homosexuels) contre l’islam. Les libéraux du VVD ont proposé une politique plus restrictive sur l’immigration, envisageant en début de campagne de passer alliance avec Wilders, alors nettement derrière eux dans les sondages.

L’analyse des transferts de voix entre 2021 et 2023 à partir de la géographie électorale (et d’une enquête IPSOS) montre que la percée du PVV de Wilders par rapport à 2021 s’effectue par réduction des autres forces de droite radicale de 2021 (sauf BBB) et par une progression, prioritairement dans l’électorat populaire et rural, aux dépens du centre droit, surtout des libéraux, et aux dépens de la gauche (notamment en récupérant une partie de l’électorat travailliste ainsi qu’une grande partie des pertes du parti socialiste). Le NSC de Omtzig obtient lui aussi ses meilleurs résultats dans l’électorat populaire hors grandes agglomérations en récupérant une grande partie des pertes du CDA et du VVD ainsi qu’une partie de celles de la gauche.

Quelles conséquences?

Les élites politiques nationales et européennes ont subi un fort désaveu lors de ces élections. Ce scrutin de 2023 est d’abord l’expression d’un fossé entre d’une part la partie urbaine, riche et fortement diplômée de la population qui a soutenu la liste Timmermans et le gouvernement sortant, et la partie rurale et moins favorisée qui a massivement voté pour la droite radicale et le NSC.

La règle aux Pays-Bas est que le chef du parti arrivé en tête dirige le gouvernement de coalition en s’assurant une majorité à l’assemblée grâce à un accord sur un programme de gouvernement. Pendant le temps de ces négociations, le gouvernement sortant expédie les affaires courantes. L’affaiblissement des grands partis et la multiplication ces dernières années des partenaires nécessaires ont rendu ces négociations de plus en plus longues, affaiblissant la légitimité du gouvernement en place et sa capacité à prendre des décisions. Avec un Premier ministre non-candidat et un gouvernement massivement désavoué par les électeurs, la légitimité du pouvoir va être particulièrement faible, ceci d’autant plus que la formation du gouvernement s’annonce très délicate.

S’agissant de la future coalition gouvernementale, Wilders ne peut compter que sur le soutien sûr du BBB. Le NSC et les libéraux seront des acteurs cruciaux de ces négociations. Omtzig, après s’être montré ouvert à la discussion avec Wilders, semble changer d’avis. Le VVD, après sa défaite, refuse de participer à un gouvernement mais semble ouvert à la possibilité d’un soutien sans participation. L’alliance de la gauche verte et des travaillistes refuse toute discussion avec Wilders. Les pressions vont être très fortes, en particulier venant des élites européennes, pour empêcher Wilders d’accéder au pouvoir. Mais d’un autre côté comment un gouvernement sans lui, c’est-à-dire contre lui, ne paraîtrait-il pas illégitime aux yeux de beaucoup d’électeurs, même s’il est légal ? D’autant plus que ce gouvernement devrait rassembler des formations politiques aux programmes fortement opposés dont le seul lien serait négatif.