EDF: pour sauver la flottille des revendeurs, on coule le navire amiral! edit
Déjà affaiblie par de nombreuses saignées et des conditions réglementaires adverses, EDF est commise d’office au secours de ses propres concurrents, au risque de sa propre survie. Elle va voir augmenter le volume de l’Accès régulé à l’énergie nucléaire historique (ARENH), une disposition de la loi NOME qui permet aux fournisseurs alternatifs d'accéder à un prix régulé de l'électricité produite dans les centrales nucléaires. Or cette augmentation enferre davantage le pays dans le schéma tragique de la fausse concurrence. Elle met en péril EDF, et avec elle le modèle nucléaire.
Du poison lent à l’overdose
Historiquement, l’ARENH avait été mise dans la balance pour faire accepter par la Commission européenne une entorse au principe de la concurrence « libre et non faussée » étendu au marché unique de l’électricité : le maintien de tarifs régulés de vente (TRV) destinés théoriquement à continuer à faire profiter les consommateurs français du bas coût de la production nucléaire.
L’ARENH a été institué en 2010 par la loi Nouvelle organisation du marché de l’électricité (NOME). Son objectif était de créer de nouveaux producteurs d’électricité, car c’est seulement au niveau de la production que peut s’exercer une vraie concurrence.
Durant une période transitoire, limitée en principe à 2025, l’ARENH devait ainsi permettre l’émergence de nouveaux acteurs en situation de faire des offres de marché inférieures aux TRV, et parallèlement de construire leurs propres outils de production, afin que l’électricité produite par EDF, d’origine principalement nucléaire, ne soit plus la seule source du système.
Mais le risque était que la situation confortable faite aux concurrents d’EDF ne les incite guère à devenir producteurs, mais se nichent dans le statut très rentable de « pure players », sans prendre aucun risque industriel, financier ou social. Et c’est bien ce qui se produisit, car très rares et très modestes ont été les moyens de production construits par ces nouveaux acteurs depuis 2010.
De plus, la loi n’ayant pas contraint les réservataires de parts d’ARENH à enlever les volumes souscrits, il était possible d’effectuer des « « aller-retour » quand le niveau des marchés était inférieur à l’ARENH et ainsi, de maximiser les bénéfices. Les pure players ne s’en sont pas privés !
Toutefois, cette situation profitant globalement à leurs clients, le pouvoir politique était peu enclin à rappeler les règles. Ainsi, la clause de révision annuelle du tarif de l’ARENH n’a-t-elle jamais été appliquée.
À l’époque, Bruxelles avait dû s’étonner du caractère surréaliste de cette proposition française qui revenait, sans détour, à demander à EDF de subventionner généreusement ses propres concurrents, leur permettant non pas simplement d’exister et d’accroître leur part du marché, mais aussi et surtout de s’enrichir facilement. Mais multiplication des acteurs (80 en ce moment !) et affaiblissement corrélatif d’EDF étant des tropismes bruxellois, la Commission a accepté l’entorse française, d’autant que, de ce fait, elle avait les cartes en main, toute évolution du dispositif (prix de vente, volumes) ne pouvant se faire qu’avec son aval.
À ce titre, il est notable qu’une modification de la loi NOME («amendement Total» voté en 2019, avant la séquence Covid), portant le plafond de l’ARENH de 100 TWh à 150 TWh, n’ait pas été acceptée par Bruxelles.
Spoliation: un mot bien faible, pour un mal bien fort
Cette fois, il est très probable que le Gouvernement français ait eu l’accord de la Commission, tant pour accroître le volume d’électricité qu’EDF doit céder à ses concurrents (de 100 TWh à 120 TWh), que pour un relèvement (très relatif celui-là) du tarif (de 42 €/ MWh à 46,2 € /MWh) pour les seuls 20 TWh supplémentaires.
Ce tarif n’avait pas évolué depuis 2011, sans même suivre l’inflation. D’entrée, il ne couvrait pas les coûts complets de production (estimés à l’époque par la Cour des Comptes à 55€/ MWh), or ceux-ci se sont accrus dans l’intervalle, entre autres à cause de la maintenance lourde des installations, sous forte contraintes Covid.
Autrement dit, EDF vend ses MWh à perte à ses concurrents et on lui demande d’en vendre encore davantage. Un schéma ubuesque en économie de marché !
Plus impensable encore, les 20 TWh demandés en supplément et qui seront payés 46,2€/MWh avaient déjà été « placés » par EDF, qui devra donc (pour cet exercice, voire d’autres) s’approvisionner sur le marché en surchauffe à plus de 200 €/MWh afin de servir ses propre clients.
Enfin, faveur nouée autour du paquet, la production nucléaire ayant diminué dans l’intervalle, compte tenu d’une moindre disponibilité des réacteurs liée aux opérations de maintenance lourde déjà évoquées, ainsi qu’à la fermeture de Fessenheim, 100 TWh représentait déjà une proportion prélevée sensiblement plus importante qu’au moment du vote de la loi NOME (2010). Elle instaurait l’ARENH sur la base d’une cession du quart de la production nucléaire ; on en est aujourd’hui au tiers.
Mais la Commission de régulation de l'énergie (CRE, le régulateur français du marché de l’énergie), si sourcilleuse vis-à-vis du respect par EDF de dispositions la ruinant, n’a rien exigé de contrevenants qui ne construisent rien ; elle se contente de se réjouir de l’hémorragie du portefeuille EDF, sans réaliser qu’elle a la même pertinence thérapeutique que les saignées de Monsieur Purgon !
TRV: une butte témoin dénaturée
La même CRE a, par ailleurs, toujours œuvré pour que les TRV soient suffisamment élevés pour que les concurrents d’EDF puissent faire des offres, souvent indexées aux TRV, mais légèrement avantageuses par rapport à ceux -ci.
Les TRV, qui au départ se voulaient représentatifs des coûts de production (+ acheminement + taxes) ont, depuis 2015, été reconstruits de manière à figurer les conditions d’approvisionnement des concurrents d’EDF. Cette méthode dite « d’empilement des coûts » intègre donc, outre l’ARENH, une composante « prix de marché ».
Cette modification visait à ménager aux concurrents d’EDF une marge suffisante pour qu’ils restent « moins-disant » par rapport aux TRV, tout en réalisant des profits. Certes des TRV plus élevés procuraient de meilleures recettes unitaires pour EDF, mais ne permettaient guère de compenser l’évasion de 100 000 clients par mois… hémorragie dans laquelle la CRE voyait un signe de bon fonctionnement de la martingale !
Mais cette introduction des prix de marché dans la fixation du niveau des TRV s’est révélée une bombe à retardement, laquelle a explosé, quand lesdits prix de marché se sont envolés, provoquant la crise aigüe que l’on connaît aujourd’hui.
Les concurrents d’EDF, dont les portefeuilles s’étaient gonflés, avaient dû, compléter leur part d’ARENH, en s’approvisionnant sur le marché dont les cours étaient alors relativement bas, avant qu’ils n’atteignent rapidement des niveaux astronomiques. Ils se sont alors trouvés acculés et ont, soit abandonné froidement leurs clients en leur recommandant de s‘approvisionner au TRV, soit répercuté les hausses, perdant aussi vite leurs clients qu’ils les avaient gagnés.
Sacrifions le soldat EDF!
Pour maintenir artificiellement un semblant de concurrence, le gouvernement aux abois renonce à la juteuse contribution au service public de l'électricité (CSPE, acquittée par les consommateurs, et qui d’ailleurs n’avait plus de raison d’être s’agissant du soutien aux productions d’électricité intermittente, puisque celui-ci est désormais financé via la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).
Comme c’est insuffisant, le gouvernement met aussi à mal le loyal soldat EDF, déjà affaibli par les conditions adverses qui lui sont faites depuis longtemps et qui n’est pour rien – tout au contraire – dans cette flambée des prix, elle-même symptôme d’un mal profond.
Ces mesures, présentées comme une sauvegarde du pouvoir d’achat, apparaîtront néanmoins pour ce qu’elles sont : un « sauve qui peut » cynique, alors qu’on approche à grands pas des rendez-vous électoraux.
L’évolution actuelle, certes motivée par les circonstances, peut néanmoins se lire comme une étape supplémentaire vers un ARENH généralisé, une des conséquences implicites du projet « Hercule » de réforme d’EDF que le Gouvernement n’a pu faire aboutir, devant l’opposition résolue de l’ensemble des syndicats d’EDF.
Des associations influentes comme « Que choisir ? » demandent depuis longtemps l’accroissement du volume de l’ARENH, en ignorant volontairement les conséquences sur la viabilité d’EDF et arguant que tous les Français doivent pouvoir profiter de la rente nucléaire.
À cet égard, la tentation est grande de devoir rappeler que le meilleur moyen d’en profiter était de maintenir le statu quo ante : EDF entreprise publique, exploitant unique de la flotte nucléaire, en situation de monopole national.
Mais le péril que représentait EDF (éléphant agile et performant) pour ses concurrents européens était trop grand. Il a donc été décidé de l’entraver, avant de la réduire.
Au risque du pire
In fine, plutôt que de constater la faillite de l’extravagant système tarifaire mis en place en France, très largement politicien, déconnecté des réalités techniques et économiques, et d’en tirer les conséquences pratiques, le gouvernement s’est employé à fournir de l’oxygène à haut débit aux concurrents d’EDF, en situation de devoir être réanimés. Il a donc pris le risque de poursuivre le sciage de la branche sur laquelle repose toute la source nationale d’électricité.
Si cette branche finit par tomber, les concurrents artificiels, véritables prédateurs du système, pourraient bien être entraînés dans sa chute. Une bien maigre satisfaction, d’autant que dans l’exercice NOME, ils auront engrangé, sans peine et sans risque, de confortables magots.
Dans un premier temps, les clients qu’on informe mal se croiront soulagés, car on aura temporairement bloqué la hausse de leurs factures. Mais, n’en doutons guère, les élections passées, le contribuable (souvent client) sera lourdement appelé à la rescousse.
Ce renflouement, qu’on imagine déjà énorme, pourrait bien ne pas suffire à revivifier un système que tous nous enviaient car c’était le moins cher d’Europe, mais qu’on aura poussé à la ruine.
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