Avenir du nucléaire: faisons mentir le président Queuille! edit

June 3, 2022

L’éclaircie constatée l’an passé n’a pas duré et de nouveau, des menaces s’accumulent sur le futur du nucléaire national, dont l’image est brouillée. Le discours officiel, ambigu et lénifiant, pérennise à bas bruit un entre-deux risqué, pour une filière en charge de construire les unités nouvelles et de soutenir l’exploitation des réacteurs existants.

L’immobilisme, et même la reculade, tels qu’on les pratique depuis deux quinquennats, est un poison mortel pour cette phalange industrielle, récemment encore fleuron national, qui réclame de la perspective pour son organisation, comme pour le recrutement et la fidélisation des talents dont elle a besoin.

Il y a urgence à sortir positivement de l’indécision, chaque jour qui passe faisant pencher davantage la balance vers l’irréversible. Pour mémoire, le discours du président au Creusot a déjà un an et demi, celui de Belfort aura bientôt six mois, et on ne voit toujours rien venir, malgré des propos que les acteurs de la filière s’étaient convaincus d’entendre positivement.

Des décisions claires du nouveau gouvernement, qu’on ne peut plus différer, feraient mentir feu le président Queuille, qui professait « qu’il n’est pas de problème qu’une absence de solution n’ait fini par résoudre ». Gageons qu’il regarderait avec bienveillance une telle entorse à sa règle, au bénéfice du pays.

En se retournant sur les prises de position du président, on note plusieurs émergences : celle du Creusot, chez les forgerons, discours ambigu, prononcé devant tout l’aréopage nucléaire national, puis celle de Belfort, chez les turbiniers, annonces profuses (nucléaire + EnR) et largement antinomiques s’agissant de leur viabilité économique.

Le virage pronucléaire du président n’est pas qu’une position politicienne, mais il peut néanmoins être lu comme une évolution tactique dans un contexte politique, celui d’une précampagne présidentielle où ses opposants les plus sérieux (les candidats de LR, du RN, puis de RE) étaient tous trois très favorables à l’atome.

Parallèlement, l’opinion longtemps rétive avait basculé, entraînée par un revirement des médias, lesquels soulignaient désormais la vulnérabilité d’un pays trop dépendant de ressources énergétiques extérieures (telle l’Allemagne avec le gaz et le pétrole russes, devenue d’un coup un antimodèle).

Mais les temps ont vite changé et, en amont de l’élection législative, l’opposition la plus bruyante s’affiche foncièrement pro-EnRs et âprement antinucléaire : politiquement, rien n’obligerait plus le président à précipiter le lancement des EPR annoncés.

Sa profession de foi écologique dans l’entre-deux tours, qui servait, entre autres, à assurer définitivement sa victoire en ralliant davantage de votes « verts », a néanmoins montré un infléchissement de la ligne, le choix du Premier ministre ayant conforté cette orientation. Le caractère pro-EnR et plutôt défiant envers le nucléaire d’Elisabeth Borne apparait en effet clairement dans ses actes et déclarations « ante », alors qu’elle était déjà au gouvernement et en charge de ces dossiers, voire dans ses postes précédents, au service de ministres foncièrement anti-nucléaires.

Il faudra encore attendre pour voir si les nouvelles ministres « transitionnelles », pro-EnR, mais qu’on dit résignées quant au recours au nucléaire, feront rapidement les gestes nécessaires. Mais il leur faudra surtout mettre en musique les orientations données par la Première ministre, elle-même relayant les choix du président. Au sortir de ces filtres, la procrastination nucléaire a encore de beaux jours devant elle.

À cet égard, le fait que la ré-industrialisation du pays soit affichée comme une priorité par un gouvernement qui ne comporte pas de ministère de l’Industrie, mais un triplet dévolu aux « transitions » (plus une entité coordinatrice !), devrait laisser dubitatif.

Pourquoi, en effet, prendre aujourd’hui un risque politique (même mesuré), quand l’opinion se voit en permanence rappeler par les médias, à nouveau à l’unisson, que la moitié des réacteurs français sont actuellement arrêtés à cause d’une nécessaire maintenance lourde et à parce que des fissures ont été détectées sur les tuyauteries de certains systèmes de sûreté » ? Nous avons expliqué dans un article précédent ce qu’il en était. Mais les représentations médiatiques et populaires s’écartent vite d’une réalité certes technique et complexe. Les vocables sont naturellement assimilés à des problèmes de vieillissement prématuré des installations, lesquelles ne présenteraient donc pas les avantages pérennes toujours mis en avant par les tenants de la filière.

Un moindre allant du politique pourrait bien en résulter, l’engouement gouvernemental pour le nucléaire dans les périodes récentes n’ayant connu qu’une embellie, au sens premier du mot, c’est-à-dire ayant rapidement une fin.

Il est donc à craindre pour l’industrie nucléaire nationale qu’elle doive encore attendre les décisions de relance que matérialiseraient des commandes par EDF de nouveaux réacteurs, mais la fuite des compétences et l’impossibilité d’en fidéliser d’autres pourraient bien créer des conditions irréversibles pour la filière, laquelle ne peut guère attendre davantage, sa vie même dépend de décisions qui n’ont que trop tardé,

Concomitamment, l’Allemagne, pourtant aculée énergétiquement, relance son offensive antinucléaire, s’opposant officiellement au compromis dans lequel gaz et nucléaire seraient admis, comme énergies de transition, dans la « taxonomie verte » européenne. Une attitude confortée par la décision du pays de ne même pas vouloir considérer le maintien en service temporaire de ses dernières unités nucléaires (puissantes et toujours performantes) et de recourir sans vergogne au charbon. Au passage, tout parallèle avec la France et la non réactivation de Fessenheim est sans doute déplacé, voire malveillant.

Comment, pourtant, ne pas considérer sans délais les menaces que fera durablement peser sur les approvisionnements énergétiques, la guerre en Ukraine. Quel douloureux rappel pourtant !

Au moment des chocs pétroliers, la France avait su réagir avec la célérité et l’ampleur nécessaires, au prix d’un important effort, dont elle a pu retirer les fruits pendant bien des années. La situation actuelle n’est pas moins en rupture que dans ces temps-là, et elle appelle des décisions à la hauteur de périls qu’il faudrait transformer en challenges.

La relance de la construction nucléaire, comme le maintien en lice de la flotte actuelle des réacteurs, sont des impératifs que tout gouvernement responsable devrait placer hors d’atteinte de contingences politiciennes, qui invitent trop aux atermoiements. En la matière, il serait bienvenu à nos dirigeants de donner définitivement tort au président Queuille.