Pas d’impôts pour payer la dette Covid? edit

8 décembre 2020

Bruno Le Maire a promis qu’il n’y aurait pas de hausse d’impôts pour rembourser la dette accumulée durant la pandémie. Du moins tant qu’il sera ministre des Finances, dit-il. Heureusement.

Il semble probable que la reprise économique arrivera durant la seconde moitié de 2021 et qu’elle se développera en 2022. Au départ elle sera peut-être très vive, il s’agira de rattraper le temps perdu, puis elle ralentira fortement. Le défi sera de limiter ce ralentissement. Il serait peu judicieux d’envisager d’augmenter les impôts durant cette période délicate, sans même mentionner les élections du printemps 2022. La question de la dette ne se posera que lorsque la croissance économique se sera stabilisée donc, au mieux, en 2023. Comme il est possible que Bruno Le Maire reste à Bercy jusqu’aux élections, il a raison de promettre de ne pas faire de bêtises d’ici là.

Mais la dette publique, proche de 100% du PIB avant la pandémie, pourrait atteindre 120%, voire 130%, ou plus en 2023. C’est beaucoup, et c’est trop pour ne pas redouter des secousses financières en cas de nouvelles crises, imprévisibles comme le Covid, mais inéluctables parce que c’est ainsi que va le monde. Peu importe qui sera alors ministre des Finances, ou même président de la République, la question de la réduction de la dette deviendra prioritaire.

La solution parfois mentionnée par Bercy est d’isoler la dette Covid du reste de la dette publique, et de ne pas chercher à la réduire avant dix ans ou plus. C’est une logique comptable, qui ignore les réalités économiques. La dette publique comprend déjà un mélange d’emprunts à court et à long terme. Renforcer la composante long terme ne change rien au volume d’endettement. De plus, quand des emprunts arrivent à échéance, ils sont renouvelés si bien que la dette ne baisse pas : les emprunts courts sont de fait des emprunts longs puisqu’ils se perpétuent. Une bonne idée est d’éviter que beaucoup d’emprunts n’arrivent à échéance en même temps, pour éviter de solliciter trop les marchés financiers d’un seul coup. Les marchés sont très sensibles et peuvent, avec ou sans raison, trembler lorsqu’un gouvernement émet beaucoup d’emprunts, même s’il ne s’agit que de remplacer des emprunts anciens. Or, ce qui inquiète le plus les marchés, c’est la taille de la dette. Continuer à fonctionner avec une dette de 120% du PIB, sans essayer de la diminuer, est risqué.

Une autre solution est de miser sur les bas taux d’intérêt actuels. Aujourd’hui, le gouvernement français emprunte sur dix ans à -0,35%. Autrement dit, il se fait payer pour emprunter. Tant que ce taux d’intérêt négatif perdure, et en fait tant qu’il est inférieur au taux de croissance du PIB, la dette, exprimée en pourcentage du PIB, tend à diminuer spontanément. Cela rassure les marchés financiers. Ça devrait aussi rassurer les contribuables puisqu’il n’est alors pas nécessaire de lever plus d’impôts pour faire baisser le ratio de la dette au PIB. Toute la question est de savoir combien de temps le taux d’intérêt va rester inférieur au taux de croissance. Les économistes sont divisés sur cette question. Les optimistes pensent que cela va durer longtemps, une question de décennies. Les pessimistes pensent que la situation est exceptionnelle et qu’elle ne va pas durer aussi longtemps. Le débat est vif. Mais, en fin de compte, ce qui importe c’est ce que vont en penser les marchés financiers, qui prêtent au gouvernement. Or les marchés sont instables, oscillant entre optimisme et pessimisme. Qu’une vague de pessimisme arrive, ils regarderont quels sont les pays très endettés, et ne leur prêteront qu’à des taux plus élevés, ou ne prêteront plus du tout. Voilà pourquoi il importe de se préoccuper du point de vue pessimiste. Voilà aussi pourquoi il sera important de faire baisser la dette après 2023, histoire de ne pas être repéré par les marchés financiers lors d’une crise d’anxiété.

Pour faire baisser la dette, c’est très simple, il faut que le budget soit en surplus, toutes catégories comprises : dépenses courantes, investissements publics, santé, retraites, etc. Ce qui est compliqué, bien sûr, c’est d’y arriver. Un moyen de le faire, c’est de réduire la dépense publique, l’autre moyen, c’est de lever plus d’impôts. C’est là que tout se complique. Réduire la dépense publique est politiquement compliqué, on a vu comment les promesses chiffrées du candidat Macron ont été revues à la baisse jusqu’à être effectivement abandonnées, bien avant la pandémie. Il restera alors les augmentations d’impôts. Ce sera le casse-tête du successeur de Bruno Le Maire.

Depuis 1973, la France n’a jamais eu de budget en surplus, et la dette publique a presque continuellement augmenté. Les dépenses publiques ont toujours grimpé, ce qui a obligé les gouvernements successifs à ensuite accroître les impôts. À ce petit jeu, il n’est pas surprenant que la France soit en tête pour la taille de ses dépenses publiques et pour le poids de ses impôts. Le petit jeu continue. Face à la pandémie, Bruno Le Maire a fait exploser les dépenses publiques, et il a eu mille fois raison de le faire. Mais il serait correct d’admettre que, sans une très improbable baisse très sensible des dépenses après 2023, les impôts devront alors augmenter.