Europe: une politique hydrogène trop partisane edit

29 juin 2023

L’Union européenne (UE) a fait du développement de l’hydrogène une priorité. Le plan REPowerEU de 2020 a fixé des objectifs ambitieux à atteindre d’ici 2030. Après la phase de R&D jusqu’en 2025 sur les procédés de production et dans les usages transport (piles à combustible), l’hydrogène doit devenir une part intrinsèque du système énergétique intégré avec un objectif stratégique de production d’au moins 40 GW d’électrolyseurs produisant à base d’électricité ENR en 2030, pour une production annuelle de 10 millions de tonnes d’hydrogène. Cet objectif est complété par une cible d’importation de 10 millions de tonnes produits à partir d’électricité verte dans différents pays ayant des gisements solaires ou éoliens importants.

En termes de moyens, le développement de la filière hydrogène pourra faire l’objet de projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC) basés sur des aides d’Etat et des subventions européennes, nouveau dispositif mobilisable pour mener des politiques industrielles plus directement, comme c’est le cas pour les batteries et le numérique). Les deux premiers projets qui portent sur la fabrication des technologies clés de production et sur le développement des usages (piles à combustible, stockages, etc.) représentent 10,6 milliards d’euros d’autorisations d’aides d’Etat par la Commission.

En parallèle, le EU Net-Zero Industry Act (que l’UE est en train d’adopter en réaction au programme américain de l’Administration Biden, l’Inflation Reduction Act) est ciblé sur les industries et les technologies neutre en carbone dans différents domaines dont la fabrication d’électrolyseurs et de piles à combustible pour attirer un peu plus les investisseurs dans ces technologies. Vient aussi la création en mars 2023 d’une banque de l’hydrogène dotée de 3 milliards d’euros, pour stimuler le décollage de l’hydrogène « renouvelable » en aidant les investissements privés par des garanties d’emprunts pour limiter les coûts de capital pour des projets dans la production d’H2 vert, le développement d’infrastructures d’importation et des projets dans les pays tiers.

Par ailleurs, dans la directive RED III sur les renouvelables, en discussion entre les trois organes européens (Commission, Conseil, Parlement), des mesures sont prévues qui concernent la promotion de l’hydrogène en fixant des objectifs ambitieux de développement d’hydrogène renouvelable ou de carburants qui en proviennent dans les transports et l’industrie, mais en ignorant l’hydrogène venant d’autres sources bas carbone.

Mais tout ne va pas pour le mieux pour faciliter le développement de l’Europe de l’hydrogène du fait de désaccords fondamentaux entre Etats-membres autour du statut à donner à l’hydrogène d’origine nucléaire par rapport à l’hydrogène vert, qui s’est largement manifesté lors des négociations de fin mars 2023. Ceux hostiles au nucléaire ne voulaient pas prendre en considération les revendications des pays prônant l’option nucléaire, qui veulent voir reconnaître la contribution de l’ hydrogène « nucléaire » à la poursuite de l’objectif de neutralité carbone au même titre que le développement de l’hydrogène vert et de ses usages. Il s’en est suivi une lutte acharnée autour de la prise en compte des hydrogènes de toutes origines bas carbone dans la directive. (Voir annexe pour plus de détails)

Un point majeur de crispation a été les deux actes délégués associés à la directive RED III, sur la définition de ce qui peut être considéré comme hydrogène vert et comme CRONB (en anglais Renewable Fuel of Non-Biological Origin ou RFNBO) à côté des biogaz et du biométhane. Les pays hostiles au nucléaire ont fait en sorte que l’hydrogène d’origine nucléaire n’y figure pas lors du Conseil européen sur l’énergie du 28 mars. La non-reconnaissance de l’hydrogène « nucléaire » comme contributeur à la neutralité carbone au même titre que l’hydrogène vert est très pénalisante : en effet ces définitions conditionnent l’obtention des soutiens de la nouvelle Banque de l’hydrogène, mais aussi des différents fonds créés depuis 2020 (Fonds d’Innovation, Fonds de Modernisation, etc.), ainsi que les autorisations que Bruxelles donnera aux subventions accordées par les Etats dans le cadre de PIEE dédiés à l’hydrogène. Elles conditionnent enfin l’inscription des filières hydrogène d’origines diverses dans la taxonomie verte précisant les technologies qui pourront attirées les financements des fonds verts des institutions financières et des banques publiques.

Discriminer en fonction des origines est contreproductif

Ce qui se joue est la reconnaissance explicite dans les textes européens du rôle du nucléaire pour le maintien de la sécurité énergétique et pour la poursuite de la neutralité carbone dans la déclinaison des objectifs dans les différents usages énergétiques. Il n’y a que les ENR qui sont reconnues comme y contribuant. À ce titre elles font l’objet de directives spécifiques et d’un objectif contraignant de développement en termes de parts du mix énergétique. L’Union se concentre sur des moyens, les ENR essentiellement intermittentes (éolien, photovoltaïque) au détriment de l’objectif essentiel de décarbonation par le besoin de compléments flexibles émetteurs de CO2 en rendant plus difficile et coûteux l’atteinte de cet objectif par rapport à une situation où seraient mises sur le même plan toutes les technologies bas carbone. Le nucléaire se trouve ainsi frappé systématiquement d’ostracisme dans les moindres détails de la politique énergétique et climatique et les textes y afférant, comme on le voit à propos de l’hydrogène.

Or la focalisation de la politique de transition sur les seules ENR joue contre les intérêts économiques et géopolitiques de l’Union européenne prise comme un tout, sans parler des intérêts particuliers des pays comme la France qui continue de miser aussi sur le nucléaire. Discriminer ne peut être que contreproductif. Comme le soulignait Ebba Busch, la ministre suédoise de l’Énergie qui dirigeait le Conseil des ministres de l’énergie en mars « si nous ne respectons pas le fait que des Etats-membres choisissent des mix énergétiques spécifiques, nous prolongerons très certainement notre dépendance vis-à-vis des fossiles ». Alors que l’Europe se donne des objectifs très ambitieux en matière de décarbonation (55% en 2030, Net Zero en 2050), elle se trompe lourdement de ne pas faire flèche de tout bois. Le développement de l’économie de l’hydrogène en est un très bon exemple. La discrimination de l’hydrogène bas carbone selon son origine est contreproductive car elle rend plus difficile le développement de cette économie dans ses différents usages et ralentit celui des filières industrielles associées.

Si on accorde au nucléaire une place explicite dans les objectifs de décarbonation de l’énergie et dans la production de ses différents vecteurs, dont l’hydrogène, on permettrait à l’industrie européenne de se lancer sur les différentes voies de l’hydrogène bas carbone (nucléaire comme vert) dans des conditions économiques qui seront plus rapidement viables. L’UE ne doit pas rater la possibilité de développer une filière hydrogène décarboné, ce qui implique une structuration industrielle complète avec des fabricants de différentes technologies (électrolyseurs, captage du carbone, piles à combustibles, stockage, distribution, etc.) capables de rivaliser immédiatement avec l’industrie chinoise ou américaine grâce à des montées d’échelle.

Ils ne seront en mesure de se développer à grande échelle et baisser leur prix que s’ils y sont incités par une demande croissante d’H2 dont le développement serait favorisé par des anticipations de prix de revient bas de l’hydrogène, ce que permettraient les productions d’origine nucléaire réputées régulières et non intermittentes. Faute de prendre en compte cet hydrogène pour décarboner les usages de l’énergie en faisant bénéficier les projets adossés au nucléaire des mêmes aides et incitations que les filières d’H2 vert, la poursuite des objectifs d’hydrogène « propre » ne seront atteints que par le développement des importations extra-européennes en créant un risque majeur de dépendance de l’étranger.

C’est bien ce qui se dessine en voyant l’objectif européen d’importation de 10 millions de tonnes d’hydrogène vert en 2030 pour accompagner la transition. Il est d’ailleurs amusant (si l’on peut parler ainsi) de noter que les institutions européennes en sont à vouloir organiser et planifier le développement des importations d’hydrogène : selon les vœux du Parlement, chaque Etat membre devrait à présenter à la Commission son plan d’importation d’ici 2030, (ce qui, il est vrai, est encore à acter). En tout cas ceci en dit long sur les contradictions de la politique européenne de l’énergie, à voir malmené l’objectif de sécurité énergétique à cause du rejet du nucléaire que des Etats membres veulent imposer aux autres à travers l’ostracisme dont est frappée systématiquement cette technologie.

L’Europe ne devrait pas entrer aveuglement dans ce schéma « à l’allemande ». Même si un objectif ambitieux de réduction des émissions de CO2 est fixé au niveau européen, ce n’est pas à l’Union européenne de dicter aux Etats membres la manière d'atteindre cet objectif. Citons à ce propos pour conclure le lumineux rapport de l’Académie des technologies Pour une nouvelle politique européenne de l’énergie. « Le nucléaire (est) discriminé par rapport aux énergies renouvelables. La production nucléaire n’entre pas dans l’évaluation de l’atteinte des objectifs de production de la Commission, et ne bénéficie pas des soutiens mis en place pour les énergies renouvelables. De facto, ceci est contraire au principe de subsidiarité et à la reconnaissance que les États membres ont le libre choix de leur mix énergétique. Les objectifs de décarbonation devraient fixer les pourcentages d’électricité bas carbone et non les pourcentages d’électricité renouvelable (…). On devrait fixer des objectifs d’énergie décarbonée, ce qui devrait être incontestablement l’objectif réel dans le cadre de la meilleure efficacité possible dans la lutte contre le changement climatique ».

Les arcanes baroques du projet de directive RED III autour de l’hydrogène vert

Parcourons les arcanes du projet de directive RED III marquée par l’empreinte du micro-management dont se délecte la Commission européenne. Pour atteindre l’obligation contraignante augmentée à 42,5 % de part d’ENR en 2030 dans le mix énergétique de chaque Etat-membre, on vise 29 % dans les transports, et non plus seulement 14% dans la directive RED II pour ce même 2030. Pour y arriver, la Commission s’est plu à définir un sous-objectif contraignant de 5,5% combinant les biocarburants avancés et les « carburants renouvelables d’origine non biologique (CRONB)», c’est-à-dire l’hydrogène venant des ENR et les carburants de synthèse venant de cet hydrogène, sans qu’elle oublie d’imposer pour ces derniers un plancher contraignant de 1% à atteindre en 2030. Pour la décarbonation de l’industrie, l’objectif contraignant est un accroissement de l’utilisation des énergies renouvelables de 1,6 % par an. notamment par le développement de l’usage de l’H2 vert dans le raffinage de pétrole, la production d‘ammoniaque et la sidérurgie. En 2030, 42 % de l’hydrogène utilisé dans l’industrie devra provenir de « combustibles renouvelables d’origine non biologique (CRONB) », dont les dérivés de l’hydrogène [méthanol, ammoniac, etc.] et 60 % en 2035.

Dans ce joyeux ensemble de contraintes, que revendiquaient en mars 2023 les pays voulant faire feu de tout bois (nucléaire comme ENR) pour produire de l’hydrogène peu carboné, France en tête? Ils demandaient que les cibles contraignantes dans les transports et l’industrie soient réduites significativement pour ceux qui auront une production électronucléaire importante dans leur mix électrique. Le compromis trouvé fin mars sous la présidence suédoise a été la réduction des objectifs contraignants de 20% dans les différents usages, au lieu des 30% demandés.

Dans les transports, les pays qui développeront donc aussi la production d’hydrogène nucléaire, pourront baisser de 20% l’objectif de 5,5% à atteindre de part de CRONB. Dans les industries utilisant l’hydrogène (raffineries, production d’ammoniac, chimie), un pays dont la part d’hydrogène produit par des combustibles fossiles et consommé dans cet État ne dépassent pas 23% en 2030 et 20% en 2035 (grâce à la production d’H2 nucléaire et d’H2 vert), peut réduire son objectif contraignant d’usage d’H2 vert de 20 % (soit un passage de 42% à 23%). Cette formulation alambiquée (article 22b) permet la prise en compte de l’hydrogène produit par électrolyse à base d’électricité nucléaire. Une condition supplémentaire qui est difficile à atteindre pour un pays comme la France qui avait déjà un mix électrique bien décarboné par rapport à ses voisins en 1990. Il faut que le pays atteigne l’objectif global de réduction des émissions [- 55 %] en 2030 par rapport à 1990, sachant que cet objectif est fixé (et a toujours été fixé) sans tenir compte des niveaux d’émissions par tête ou par unité de PIB à la date de départ.

La France et certains des pays de la nouvelle Alliance européenne du nucléaire ont contesté ensuite le compromis de mars et bloqué la directive RED III en demandant de nouvelles discussions, centrées principalement sur le rôle de hydrogène vert dans l’industrie, en craignant des nouvelles délocalisations. Le compromis qui a été trouvé le 16 juin n’a pas remis en question la cible de 42,5% de part d’ENR que la France souhaitait au départ, mais a renforcé les bases du compromis de mars sur la réduction des objectifs de part d’H2 vert dans l’industrie. La France a obtenu que, pour les pays avec production nucléaire qui le choisiraient, le secteur de production d’ammoniaque, ou plus précisément celui des installations existantes, soit désormais exclu du calcul du sous-objectif de consommation d’H2 vert de l’industrie. Reste à savoir ce que cette disposition deviendra devant les réactions du Parlement non consulté, et des pays hostiles au nucléaire.