L’évolution du christianisme en Europe edit

27 juin 2018

Deux études récentes du Pew Research Center sur les chrétiens en Europe occidentale et sur le fossé générationnel dans le domaine religieux dans le monde nous offrent un très riche ensemble de données qui permettent de mieux comprendre la dynamique actuelle du christianisme dans le monde et les causes qui la produisent [1].

Dans les pays d’Europe occidentale, aujourd’hui, 71% des personnes interrogées s’identifient comme chrétiens, 24% ne revendiquent aucune affiliation religieuse et 5% s’identifient à une autre religion ou ne répondent pas. La proportion de chrétiens varie fortement d’un pays à l’autre. Au Portugal, en Irlande, en Italie et en Autriche elle est supérieure à 80%, en Belgique, en Norvège, aux Pays-Bas et en Suède, elle est inférieure à 56%, les autres pays occupant une position intermédiaire. 

Si la grande majorité des chrétiens européens de l’ouest s’identifient ainsi comme chrétiens, les relations qu’ils entretiennent avec cette religion et avec ses Églises sont très variables (l’étude ne distingue malheureusement pas entre catholicisme et protestantisme). Seuls 46% d’entre eux estiment que la religion est importante dans leur vie et 27% seulement disent croire au Dieu de la bible. On assiste en réalité depuis plusieurs décennies à un affaiblissement notable de la religiosité chez les chrétiens d’Europe. Si 91% des Européens ont été baptisés et 81% élevés dans la religion chrétienne, 71% revendiquent leur appartenance à cette religion. Ces 71% d’Européens se répartissent en 18% qui sont pratiquants (assistant à l’office religieux au moins une fois par mois) et 46% qui ne le sont pas, le reliquat n’ayant pas répondu. La comparaison des pratiquants et non pratiquants à partir des réponses à une batterie de questions permet de mesurer à la fois ce qui rassemble la communauté chrétienne et ce qui la divise.

Sur les six premières questions (tableau), les deux groupes de chrétiens, pratiquants et non pratiquants, forment un ensemble homogène et très nettement différent du groupe des irréligieux. Ces questions touchent à l’immigration, à l’islam, à l’acceptation éventuelle dans sa famille d’une personne juive ou musulmane, au sentiment de la supériorité de leur culture sur les autres et enfin au rapport entre la religion et la science.

Les chrétiens sont plus nombreux à vouloir réduire l’immigration, à estimer que l’islam est fondamentalement incompatible avec la culture et les valeurs de leur pays, à refuser d’accueillir dans leur famille une personne juive ou musulmane, à juger leur culture supérieure aux autres et à refuser de considérer que la science frappe la religion d’inutilité.

La vision de la science comme une sorte de substitut à la religion est l’attitude qui oppose le plus clairement les chrétiens aux irréligieux. Notons par ailleurs que chez les irréligieux ce sont ceux qui ont été élevés dans la religion chrétienne qui sont les plus éloignés des positions des chrétiens, en particulier sur le rapport aux autres religions et cultures. Ainsi, par un apparent paradoxe, ce sont, parmi les personnes ayant été élevées dans la religion chrétienne, celles qui s’en sont complètement détachées qui semblent les plus nombreuses à avoir retenu l’enseignement du Christ dans son Sermon sur la Montagne : « Frappez et l’on vous ouvrira ».

Sur d’autres items, les chrétiens non pratiquants se situent à mi-chemin entre les deux autres groupes. Il s’agit de deux questions qui mesurent une vision plus ou moins fermée de l’identité nationale et religieuse : l’importance d’être issu d’une famille originaire du pays pour en être vraiment membre et le souhait que les politiques gouvernementales soutiennent les valeurs et les croyances religieuses du pays.

Enfin, les irréligieux et les chrétiens non pratiquants sont très proches les uns des autres et se distinguent nettement des chrétiens pratiquants sur un troisième groupe de questions. Il s’agit des attitudes à l’égard du mariage homosexuel et de l’avortement, et de la croyance dans le Dieu de la Bible. Il apparaît ici que l’abandon ou l’affaiblissement de la pratique religieuse n’est, chez les chrétiens, que l’une des modalités d’une prise de distance plus générale à l’égard des Églises chrétiennes et de leurs dogmes. Ainsi, à propos des questions relatives aux évolutions de la société, ils n’obéissent à leurs commandements, acceptant le mariage « gay » et la pratique de l’avortement, au moins dans certains cas ; du point de vue de la foi, la majorité d’entre eux ont remplacé la croyance dans le Dieu de la Bible par une croyance très personnelle en l’existence de pouvoirs ou de puissances supérieures, sorte de vague transcendance. Ainsi, pour la majorité des chrétiens européens, le christianisme demeure essentiellement une culture et une tradition mais non pas un ensemble de dogmes et de règles édictés par une institution ecclésiale qui n’est plus aujourd’hui en mesure de les imposer. Le mouvement de déchristianisation en cours dans les sociétés européennes s’effectue ainsi de deux manières, différentes et parallèles : la sortie de la religion chez les uns et la prise de distance à l’égard des institutions ecclésiales chez les autres.

 

[1] Being Christian in Western Europe, 29 mai 2018 ; The Age Gap in Religion around the World, 13 juin 2018