Les vertus d’une taxe foncière rénovée edit

25 février 2011

En matière fiscale, un bon impôt est un vieil impôt. Quoi de mieux dans le présent débat sur le remplacement possible de l’ISF de se pencher sur la taxe foncière, l’une des fameuses « quatre vieilles » et de regarder de quelle façon, une fois remaniée, elle peut intelligemment s’y substituer.

C’est un principe généralement retenu par les économistes que les impôts sur le patrimoine sont de meilleurs impôts que les impôts sur le revenu. La raison en est qu’avec un impôt sur le revenu, faire dormir ou mal gérer son capital permet d’échapper à l’impôt tandis que le mettre activement en valeur accroît le prélèvement fiscal. Telos a déjà conduit cette discussion dans Du bouclier fiscal et de ses conséquences. De ce point de vue, il est dommage, comme semble pourtant l’envisager le gouvernement, de remplacer l’ISF par un impôt accru sur les revenus (même s’il ne s’agit que des hauts revenus), et plus dommage encore par un impôt sur les plus-values immobilières, qui ne ferait que pousser les propriétaires à conserver leur bien plus qu’ils le feraient spontanément. Ceci dans un contexte où la France n’est pas, malgré la présence de l’ISF, le pays où la part des impôts sur le patrimoine est la plus forte. Ils s’élèvent à 3,4% du PIB, contre 3,3% aux États-Unis, 3,5% au Canada et 4,2% au Royaume-Uni – mais il est vrai 0,8% en Allemagne, pays vers lequel le gouvernement marque une volonté de convergence.

La taxe sur le foncier bâti est un de ces impôts sur le patrimoine. Elle est assise sur tout bien immobilier, résidentiel ou commercial, quel qu’en soit le détenteur, personne physique ou morale. L’assiette est la valeur locative cadastrale, corrigé d’un abattement forfaitaire. Elle est perçue par les collectivités locales qui appliquent à ce « revenu cadastral » des taux déterminés par elles.

Cet impôt a deux défauts bien connus, de sorte qu’il semble de premier abord paradoxal d’examiner cette piste dans le débat sur l’ISF.

Il repose sur des valorisations souvent fantaisistes, puisque basées sur des prix immobiliers de 1970, très partiellement mis à jour en 1980 et par un simple coefficient forfaitaire depuis. Fantaisiste veut dire peu légitime d’un point de vue fiscal, ce qui explique que cet impôt n’est accepté que parce que son montant est en général modeste.

Il est peu redistributif, voire régressif, sachant que les communes riches, celles où l’immobilier vaut en général très cher, ont les moyens d’adopter des taux de taxe foncière très bas, soit qu’elles disposent abondamment d’autres recettes, soit que leurs besoins d’équipement urbain, et donc de financement, soient déjà largement remplis. Les péréquations mises en place corrigent imparfaitement la distorsion.

La réforme consisterait très simplement à actualiser aux prix de marchés courants la taxe foncière, sur base déclarative comme pour l’ISF et sur la base de coefficients communs pour tous les propriétaires quel que soit leur lieu de résidence en France.

Le lecteur objectera que ce n’est qu’une autre forme d’ISF. D’autant plus que l’ISF au fil des ans, des exonérations et de la hausse stellaire des prix immobiliers, est devenu pour la majorité des particuliers un impôt sur le seul immobilier. En effet, et c’est pour cela qu’une telle hypothèse doit être regardée.

L’immobilier est l’élément patrimonial dont le rendement financier, c’est-à-dire les loyers imputés ou perçus et les plus-values, a été de loin le plus élevé depuis une génération. C’est bien une des critiques faites actuellement à l’ISF : le taux de 1,8% sur la tranche la plus haute est très élevé si on le compare aux rendements des portefeuilles financiers, mais très bas par rapport aux rendements immobiliers. Déporter la charge fiscale du capital mobilier vers le capital immobilier accroît donc l’attrait du financement en valeurs mobilières. C’est un facteur de soutien au financement des entreprises.

La taxe foncière a rapporté, bâti et non bâti, 22,9 milliards d’euros en 2008 aux collectivités locales, soit un montant bien plus élevé que l’ISF (4,2 milliards d’euros). Il suffirait donc d’une augmentation somme toute acceptable de la taxe foncière pour remplacer financièrement la suppression de l’ISF : 18% (mais davantage si on restreint l’ajustement au seul foncier résidentiel).

Une fiscalité plus élevée sur l’immobilier résidentiel accroît l’offre locative immobilière. L’effet est ici complexe. D’un côté, les propriétaires ont intérêt à mettre en location leurs biens immobiliers plutôt que de les laisser vides (un phénomène qui a tendance à s’accroître récemment sachant que le simple effet de la hausse des prix rend négligeable la perte de loyer à laisser son logement vide). En sens inverse, une hausse de l’impôt immobilier a un effet négatif sur l’offre de construction immobilière, par baisse des rendements après impôt. Mais ce second facteur joue très peu dans la conjoncture présente. Le blocage de l’offre, qui fait sans doute de l’accès au logement le principal problème social du moment en France, notamment pour les jeunes et les bas revenus, vient davantage d’une absurde restriction des lois d’occupation foncière que d’un manque de rentabilité.

Au contraire de l’ISF auquel certains échappent en s’installant à l’étranger, la taxe foncière est attachée au bien détenu.

On aide à corriger ainsi une distorsion fiscale parmi les plus pernicieuses, celle qui veut que les loyers ne soient pas déductibles du revenu imposable alors que le « revenu » imputé de l’usage en propre de son bien immobilier n’est pas soumis à impôt. L’actuelle fiscalité sur le revenu transfère donc de la richesse des locataires vers les propriétaires, ce qui joue fortement au détriment des bas revenus, dont on observe qu’ils sont, relativement à l’ensemble de la population, davantage locataires que propriétaires. Ce qui resterait acceptable avec des prix de l’immobilier raisonnables en proportion du revenu annuel des ménages ne l’est plus maintenant que le coût d’acquisition moyen pour une famille dépasse 6 fois son revenu brut annuel et jusqu’à 12 fois en région parisienne.

Enfin, baser l’impôt foncier sur des valeurs foncières effectives plutôt que fantaisistes relève de la simple justice fiscale et aide à l’acceptation sociale de l’impôt. Surtout dans une société où la détention d’immobilier résidentiel commence à remplir la fonction rentière qu’avait sous l’Ancien régime la détention de terres agricoles.

Une telle proposition est certainement d’application complexe. Si elle doit être neutre en masse fiscale prélevée, elle revient, une fois supprimée l’ISF, à augmenter la taxe foncière d’environ 20%, mais avec de fortes hausses ou baisses ici ou là. Il faut sans doute laisser à la taxe une base locale, ce qui oblige à des péréquations entre collectivités locales différentes de celles d’aujourd’hui, d’autant que les collectivités locales perdraient la liberté de moduler les taux ; sans doute aussi disposer de taux croissants et avec un seuil d’application pour redonner une dimension progressive à cet impôt ; sans doute encore regarder l’impact de cette modification sur la taxe d’habitation, ce qui là encore justifierait des péréquations nouvelles entre communes ; sans doute enfin poser la question du champ de la réforme, sur le seul immobilier résidentiel ou sur tout le patrimoine foncier, ce qui impacterait ici l’impôt versé par les entreprises. Et très certainement pour le gouvernement associer à cette réforme une réforme plus importante encore consistant à favoriser la production de logements neufs, dont on sait qu’elle passe par un changement majeur des règles d’urbanisme, pour libérer intelligemment de la capacité foncière.