Faut-il célébrer les punks? edit

25 octobre 2016

Le mouvement punk fête sa quarantaine d’années, même si son acte de naissance précis fait débat à l’état civil des mouvements culturels. Le temps, par ailleurs, est à la révolte et, dans une certaine mesure, au « no future », au « destroy », à l’anarchie (trois termes éminemment punks). En témoignent, entre autres choses, les moments violents qui ont accompagné des mouvements aussi différents que les « nuits debout » parisiennes ou les « bonnets rouges » bretons, les rébellions de la jeunesse un peu partout dans le monde, ou, plus globalement, les sentiments très répandus, dans les pays riches, de méfiance et de défiance. Face aux inquiétudes et aux inégalités croissantes, l’époque est à la contestation. Mais que penser, dans ce contexte, de la célébration du mouvement punk ? N’y a-t-il là qu’exotisme et mondanité ? Les punks ne se font probablement pas voler leurs cris anarchiques. Certainement malgré leurs volontés initiales ils s’institutionnalisent, implantant les modalités vestimentaires, sonores et capillaires de leur révolte.

Si la rébellion et la contestation sont à l’ordre du jour, certains diront que l’époque française est aussi à la provocation, à la subversion et à la régression. D’autres soutiendront que le temps est à la décadence, à la laideur et à l’incivilité systématisée. Tous ces ingrédients, servis par l’un ou l’autre côté du spectre politique, ont fait le succès, il y a une quarantaine d’années, du punk. L’étrange alchimie actuelle qui mêle résignation et aspiration au changement, préoccupations individuelles de réalisation personnelle et désintérêt pour l’implication collective explique peut-être l’institutionnalisation contemporaine du mouvement punk. Ce dernier, dont on ne saurait cerner ni le centre ni la périphérie, est fondamentalement synonyme de rébellion (et de cheveux droits sur la tête, au moins mal coiffés).

Étrangement, le punk devient aujourd’hui classique. Au printemps 2013, le célèbre MET organisait une exposition (« exhibition » en anglais) sur les liens entre le mouvement punk et la haute couture. Le très british The Economist en avait profité pour un papier au titre aux accents schumpetériens sur le thème « détruire et créer ». L’année suivante, une exposition ingénieuse et savante à la Cité de la Musique à Paris retraçait, d’octobre 2013 à janvier 2014, les contours, les excès, les formes du punk, tout en proposant aux enfants d’en tirer, à leur convenance, un badge. En 2015, New York a fêté les quarante ans de la création du magazine Punk, un fanzine rapidement disparu mais demeuré, dans ce milieu, mythique. Il popularisait l’expression «  punk rock » pour qualifier la musique et les lettres de groupes comme les Stooges, les New York Dolls, et les Ramones. En France, alors que quelques festivals « punks » ponctuent traditionnellement chaque été, 2016 aura été l’occasion de célébrer le quarantième anniversaire du premier d’entre eux, à l’échelle mondiale, à Mont-de-Marsan en août 1976.

Une pluie d’ouvrages, d’articles, de couvertures de presse, cherche à préciser la consistance et à bien mettre en vente les outrances des punks. Des appels convaincus ou opportunistes à l’anarchie, bonnet rouge fiscal ou crête iroquoise sur la tête, ont de l’écho. Étrange destin en tout cas pour cette effervescence des années 1970 qui rencontre maintenant – l’âge aidant probablement – ce qu’il y a de plus conventionnel, voire de plus convenu. En tout cas de plus institutionnel. Il en va même ainsi d’un projet de recherche académique, très officiellement soutenu par l’agence nationale de la recherche (ANR). Le programme PIND pour « Punk is not dead » traite ainsi, avec la collaboration de la Mission des archives du ministère de la Culture, de l’histoire, à travers des journées thématiques savamment ficelées, de la scène punk en France de 1976 à 2016.

Voici donc un ensemble, monté en épingle (à nourrice) pour choquer les monarques et les bourgeois, qui fait aujourd’hui le lot d’intéressantes réflexions universitaires et de couvertures des magazines de mode, de musique (non subversive) et de design. De marginaux mis de côté avec répugnance, les punks, qui ont toujours été un objet de réflexion sociologique, deviennent des icônes dont il serait de bon ton de s’inspirer, pour s’habiller comme pour penser.

Très tôt les puristes avaient signé l’arrêt de mort d’un petit milieu vite critiqué pour déviationnisme et affairisme. « Punk’s not dead » ont hurlé, en réponse, les Anglais écorchés de The Exploited. « Mais il mérite de mourir, quand il devient un club égocentrique étroit d’esprit » répliquèrent les californiens géniaux des Dead Kennedys. Le punk est probablement moins, selon les livres, un mode de vie ou un art de vivre qu’une attitude générale. Les experts (doit-on parler de punkologues ?) soutiendront qu’il n’y a pas grand-chose à voir entre le punk à chiens qui fait la manche dans les rues et l’épure d’une révolution artistique. D’autres ne s’intéresseront qu’aux gros-sous et aux escroqueries. Tout le monde (le beau-monde en particulier) y verra toujours quelque chose d’étrange. Le punk c’est certes désormais un héritage. Avec un condensé de fanzines, de groupes mythiques (des Sex Pistols aux Clash, en passant par Sigue Sigue Sputnik ou Plastic Bertrand), de vêtements (avec blousons de cuir et/ou T-Shirt déchirés), de coupes de cheveux (davantage caractérisées par la diversité colorée que par la seule crête caractéristique). L’ensemble, distingué aussi par quelques suicides retentissants et une consommation exagérée de stupéfiant, entretient un point commun : la mutinerie contre l’ordre établi.

On aurait certainement tort de n’y voir que de l’anecdotique. Les punks (avec un pluriel qui n’est pas que de majesté) ont été les précurseurs explicites du DIY (Do It Yourself) c’est-à-dire de la capacité, renforcée par le numérique, d’organiser nos propres vies. Plus classiquement (si l’on peut dire), ils ont inventé le célèbre WTF (What The Fuck) qui ponctue bien des courriers électroniques. En somme, le punk est maintenant, dans certains cénacles avant-gardistes et chics, furieusement tendance. Il correspond, au fond, très bien à ce qu’il a voulu toujours être : un certain dandysme (arrosé copieusement de décibels).

Reste que tout ceci ne nous apprend finalement pas grand-chose sur les réalités quotidiennes d’un zonard rebaptisé ces temps-ci punk à chien. L’esthétisation, l’institutionnalisation et la muséification du punk nous en apprennent cependant beaucoup sur une époque qui, incontestablement, tolère davantage ses marges. À condition toutefois qu’elles se trouvent physiquement éloignées des cocktails et expositions qui les célèbrent.