Comment remédier à la désorientation des jeunes? edit

30 janvier 2007

Aux yeux de beaucoup de jeunes engagés dans la voie professionnelle à la fin de la troisième, le système d'orientation fonctionne comme un couperet qui intervient trop précocement et de façon souvent arbitraire. Comment choisir un métier à 14 ou 15 ans ? Les jeunes se plaignent du défaut d’informations et de temps dont ils disposeraient pour faire des choix qui engagent toute leur vie. Peut-on imaginer une organisation à la fois plus efficace, plus juste et mieux adaptée à la conception moderne de la jeunesse ?

L’orientation à la fin du collège est essentiellement, surtout pour les jeunes en difficulté, un processus d’affectation autoritaire fondé sur les résultats scolaires. Le système d’affectation informatisé dépend des résultats des élèves, les matières ayant des coefficients variables selon les spécialités professionnelles. Les élèves les plus faibles sont donc orientés presque systématiquement vers les spécialités les moins demandées qui ont des places disponibles mais qui correspondent très rarement à leurs vœux. On est donc très loin de « l’éducation à l’orientation » qui avait été prévue par la circulaire de 1996 qui est toujours censée régir le dispositif.

Un récent rapport de l’inspection générale de l’éducation nationale (2005, suivant d’autres rapports tout aussi sévères) dresse un tableau accablant de l’action des 5300 conseillers d’orientation psychologues (COP) et des centres d’information et d’orientation (CIO) qui sont censés incarner le dispositif public d’orientation. Le rapport constate que les COP (affectés à plusieurs établissements) bénéficient d’un temps de travail réglementaire réduit (un quart de l’horaire hebdomadaire légal peut être déduit pour la préparation et la documentation personnelles) et peu contrôlé (il semble que les directeurs de CIO, chargés théoriquement de ce contrôle, ne l’exercent pas de manière très stricte). De ce fait, le temps de présence des conseillers dans chaque établissement scolaire est de quelques heures à peine, chaque conseiller n’assurant le suivi que de quelques dizaines d’élèves au plus. L’action de ces services sur le terrain est très peu contrôlée et très rarement évaluée.

Plus grave peut-être, la conception qu’ont les conseillers de leur métier repose sur une fiction et une dérive. La fiction est celle de l’autonomie et du projet (issue de la circulaire de 1996, inappliquée parce que sans doute inapplicable) : elle est fondée sur l’idée que les élèves sont les maîtres de leur destin, les acteurs de leurs propres décisions. Ils devraient être capables de s’auto-évaluer et de construire un projet réaliste de manière autonome. Les conseillers ne se voient donc pas comme « des orienteurs au sens où on prend l’élève et on le case », ni même des « informateurs », mais comme des « accompagnateurs de projet » (propos de conseillers recueillis par la mission de l’inspection générale sur l’orientation, 2005). L’expression visant « à placer l’élève au centre du système éducatif », par laquelle on a souvent cherché à résumer l’esprit de la loi d’orientation de 1989, relève de la même philosophie. Cette philosophie de la responsabilisation traverse d’ailleurs toute l’idéologie du secteur socio-éducatif en France : un jeune aidé sans contrepartie « éducative » serait voué à la déresponsabilisation.

Le problème est que cette conception ambitieuse se heurte aux faits et génère de l’inégalité, car bien évidemment – c’est presque une lapalissade – les jeunes les plus en difficultés sont les moins aptes à adopter cette démarche autonome.

La dérive est celle de la « psychologisation » des problèmes d’orientation des élèves. Le diplôme de psychologue est obligatoire pour devenir conseiller d’orientation et les jeunes conseillers formés à la psychologie clinique en retirent une conception du métier orienté autour de l’entretien individuel et de l’analyse des difficultés des adolescents. Ils se définissent eux-mêmes comme « les psychologues du second degré » (rapport de l’IGEN). Cette polarisation autour des aspects psychologiques de l’orientation se combine à une méconnaissance fréquente du marché de l’emploi, et à une attitude visant souvent à « refuser d’asservir les projets des élèves aux logiques économiques ».

Compte tenu de ces constats, une des premières nécessités est de réviser en profondeur la philosophie de l’orientation dans le secondaire. Il faut abandonner la fiction de l’autonomie : l’autonomie ne se décrète pas, elle se construit et pour se construire, elle a besoin de s’appuyer sur un dispositif d’accompagnement et de soutien rapproché et continu des élèves et surtout de ceux qui ont le plus de difficultés. Cela suppose que les conseillers d’orientation soient beaucoup plus présents qu’ils ne le sont dans les établissements, qu’ils renoncent à la primauté du psychologique pour devenir de véritables informateurs-conseillers professionnels au fait des évolutions les plus pointues du marché du travail et des formations. La question se pose également de leur éventuelle réaffectation à l’intérieur même des établissements scolaires.

En second lieu, la question de l’orientation dans le secondaire est trop souvent réduite au choix binaire entre la filière générale et la filière professionnelle, les conseillers d’orientation se faisant semble-t-il souvent les apôtres d’un maintien dans la filière générale et délaissant trop souvent la question du choix de la filière professionnelle. Il y a environ 215 spécialités de certificats d’aptitude professionnelle (CAP) et plus de 50 spécialités de brevet d’études professionnelles (BEP) : c’est là que le conseil avisé de professionnels est indispensable. Cela clarifierait également les rôles respectifs des professeurs et du conseil de classe d’une part, des conseillers d’orientation d’autre part. Les premiers auraient principalement la main sur l’orientation général/professionnel, les seconds verraient leur rôle renforcé dans le choix des spécialités.

Mais on peut penser à une réforme plus ambitieuse. Les quelques propositions précédentes amélioreraient certainement l’efficacité du dispositif, mais elles achoppent sur un problème majeur : la précocité et la brièveté de choix qui engagent pourtant toute la vie. Les jeunes nous disent en effet : comment choisir un métier à 14 ans ? Or, il y a, sur ce plan, une injustice flagrante entre les jeunes de la voie générale et technologique et les jeunes de la voie professionnelle. Aux premiers, on a reconnu le droit de prendre du temps pour choisir leur orientation vers tel ou tel baccalauréat. C’est pourquoi d’ailleurs, la seconde s’appelle « seconde de détermination ». Ce droit n’est pas reconnu aux jeunes de la voie professionnelle qui doivent choisir leur spécialité dès leur entrée en seconde. La proposition serait donc de créer une seconde de détermination professionnelle. Cette seconde ne serait pas totalement indifférenciée, mais elle serait organisée autour de larges familles professionnelles comprenant toute une gamme de métiers (les métiers du bâtiment par exemple). Durant cette année de détermination, les élèves seraient formés aux savoirs fondamentaux et aux compétences techniques utiles dans une gamme de métiers, ils seraient également informés sur ces métiers et les filières de formation ultérieures qui y conduisent par des conseillers d’orientation professionnelle (et non plus des conseillers d’orientation-psychologues) et lors de rencontres avec des professionnels et des chefs d’entreprise ; ils feraient des expériences professionnelles lors de stages en entreprises.