Le rassemblement de la gauche ou le rêve éveillé de Jean-Christophe Cambadélis edit

9 février 2018

Jean-Christophe Cambadélis, dans un long entretien accordé au journal Le Monde paru le 6 février, livre sa vision de la stratégie que devrait adopter le Parti socialiste pour revenir dans le jeu : une ligne d’autonomie au sein d’une gauche non alignée (Le Monde précise « sur Macron ou sur Mélenchon »). Il estime que « le socialisme, dans les conditions politiques actuelles, n’est qu’une partie de la gauche et qu’il doit impérativement se renouveler dans un ensemble plus large ». L’adversaire commun des « progressistes » n’est-il pas d’abord, en effet, « le marché libéral parce qu’il ne fait pas société ? » et celui qui l’incarne, Emmanuel Macron ? Il propose au niveau européen la création d’un « rassemblement large allant de Schulz à Tsipras ».

Jean-Christophe Cambadélis constate que dans le monde, « partout la gauche est confrontée aux mêmes tensions entre ceux qui veulent accompagner la mondialisation et ceux qui la contestent radicalement », mais qu’il faut les rassembler néanmoins car « aucune [de ces deux gauches] ne peut gagner sans l’autre ». Selon lui « la grande erreur est d’avoir théorisé les deux gauches irréconciliables alors qu’il fallait dire que c’était une parenthèse, comme Lionel Jospin lors du tournant de la rigueur en 1983 ». L’argument étonne dans la mesure où c’est précisément l’utilisation de cette explication qui, en voulant à toute force, par l’artifice de la synthèse, voiler les divergences réelles qui existaient au sein du Parti socialiste entre la gauche radicale et la gauche réformiste, les a rendues irréconciliables, avec le résultat que l’on sait ! Parenthèse et synthèse, les deux vocables riment aussi parfois politiquement.

Mais, en admettant même que cette ligne stratégique soit mise en œuvre, quelles parties de la gauche radicale et de la gauche de gouvernement pourraient être rassemblées autour du Parti socialiste dans la situation actuelle de la gauche ?

Bien que, selon la note de la direction du journal, une gauche non alignée signifie notamment, pour Cambadélis, non alignée sur le mouvement de Jean-Luc Mélenchon, l’ancien Premier secrétaire du Parti socialiste n’exclut cependant pas totalement un rapprochement avec lui. C’est Mélenchon qui « exclut la gauche de son populisme », pas lui explique-t-il. Certes, il « n’aime pas ses attaques contre la démocratie parlementaire ni son souverainisme de plus en plus exacerbé sur la question européenne », mais il ne s’y oppose pas frontalement. Et s’il reconnaît que ce mouvement comporte une « part de dangerosité », il lui reconnaît aussi une « part d’utopie ».

Le problème est que le chef de la France insoumise représente aujourd’hui la majorité des électeurs qui, aux yeux de Cambadélis, constituent la gauche, et qu’il ne se contente pas d’exclure tout rapprochement avec les socialistes. Il affirme publiquement sa volonté de détruire totalement l’ensemble des partis de gauche, PS, PCF et EELV. De ce point de vue, la lecture de son Blog du 30 janvier est particulièrement éclairante. « La plupart des partis de l’ancienne gauche, écrit-il, sont entrés dans des procédures de congrès. Elles vont les nombriliser pour de longues semaines. (…) À quoi s’ajoute, concernant les composantes de « la gauche », une impossible alchimie. (…) Je veux dire que nous sommes inconciliables avec le vieux monde de la tambouille. Il faut donc choisir. » « Ainsi, au PS, poursuit-il, les tenants de ‘ni Macron ni Mélenchon’ n’ont pas tardé à montrer leur jeu. Voilà donc un Le Foll déclarant ‘face à Le Pen, Wauquiez et Mélenchon il va falloir percuter et ça je sais faire’. Au PC, la direction sortante en est là aussi. Tout en disant le contraire, équilibre oblige. Liée bruyamment à Tsípras dans le cadre du PGE (le parti de la gauche européenne), elle pose des actes d’hostilité à chaque étape, qui fonctionnent comme autant de clins d’œil aux PS en vue d’accord locaux. Elle s’est persuadé que ses gémissements unitaires non moins bruyants les masqueront aux yeux des communistes du terrain. Mais les communistes sur le terrain n’en sont pas dupes à ce que j’entends. Surtout après des exercices comme ceux du conseil régional d’Occitanie où pour rester dans l’alliance avec le PS, les élus PCF, main dans la main avec ceux d’EELV acceptent de supprimer les 35 heures du personnel régional. »

Surtout, une fois encore, Jean-Luc Mélenchon récuse totalement la pertinence du clivage gauche/droite : « Chez les gens ordinaires, on ne pense plus comme autrefois autour du gauche-droite habituel. Ce n’est plus en pensant au PS ou à LR qu’on se demande ce qu’il faut faire. Admettre cette réalité nouvelle n’est pas encore fait dans les appareils : ils vivent dans l’espoir que l’ancienne situation revienne. Au PS et au PC règne le ‘ni Macron, ni Mélenchon’, à LR ‘ni Macron ni Le Pen’. Deux façades sans fenêtre sur la vie réelle. » Il n’existe donc plus de gauche mais seulement – il ne dit pas un mot de Benoît Hamon – son propre mouvement, clairement anti-réformiste : « Quel que soit le point de vue sous lequel on se place, c’est l’action, le harcèlement du Château et de ses dispositifs, qui est la seule opposition populaire possible. C’est elle qui construit le point d’appui sur lequel reposera l’étape suivante quand le nombre cristallisera son mécontentement. Rien d’autre n’a de sens concret. » Exeunt, donc, les vieux partis de gauche toujours prêts au compromis.

Quid, alors, du mouvement Génération-s de Benoît Hamon ? Celui-ci, lors de l’annonce des membres de son comité de coordination, le 5 février, a reproché à Jean-Luc Mélenchon de réfléchir uniquement « hégémonie et compétition » à gauche. Et, déclarant ne pas s’intéresser au prochain congrès socialiste, il a confirmé que les élections européennes, « des élections charnières », sont bien au menu du jeune mouvement. Ce serait, selon lui, l’opportunité de décoller juste avant les municipales et la présidentielle. Il va publier « un appel commun européen » avec d’autres forces « progressistes », dont le mouvement Diem25 du grec Yanis Varoufakis. Objectif : esquisser les contours d’une « troisième voie européenne, alternative aux conservateurs et nationalistes ». Or cette concurrence, lors de ces élections, présente pour le Parti socialiste un danger de première importance. Le discours d’Hamon est d’une tonalité très radicale. Concentrant ses attaques sur le chef de l’Etat, il a dénoncé la « mauvaise fable macroniste » où « derrière le visage souriant de la start-up nation, s’est développée une nouvelle classe politique parasitaire dont le but est de concentrer toutes les richesses pour les redistribuer aux plus aisés ». De son côté, Cambadélis rejette l’idée de Hamon selon laquelle le travail ne structurera plus la société de demain. « La fin du travail est une utopie dangereuse », affirme-t-il. Quant à EELV, son existence même est en question.

 

En admettant même que la « gauche non alignée » dont rêve Jean-Christophe Cambadélis puisse se constituer, quel serait son programme ? Ici, curieusement, c’est le grand silence. On sait que ce programme serait à l’opposé de ce que fut l’action du quinquennat de François Hollande qu’il condamne de la manière la plus sévère, l’accusant en réalité de la dégénérescence des socialistes qui les a conduits « d’un parti de gouvernement à un parti de bonne gouvernance. Elle les a amenés à abandonner les exclus, à faire passer l’intérêt de l’entreprise avant celui des salariés ». Il donne ainsi raison aux frondeurs, se montrant « irréconciliable » avec la gauche de gouvernement. Mais alors, si cette « gauche non alignée », qui condamne le quinquennat Hollande, ne peut s’entendre ni avec Hamon ni avec Mélenchon et rejette catégoriquement la politique du président actuel « qui est faite pour les gagnants de la mondialisation » avec quel programme et quels électeurs peut-elle espérer assurer sa survie ?