Le projet de barémisation des indemnités dues en cas de licenciement sans cause sérieuse edit

9 juillet 2017

L’idée d’une barémisation des indemnités dues en cas de licenciement sans cause sérieuse chemine depuis un certain temps. Elle émane surtout d’économistes partant du postulat qu’une telle barémisation est de nature à réduire l’insécurité pour l’employeur, donc à favoriser l’embauche. Elle existe dans de nombreux pays, notamment dans les pays nordiques et scandinaves qui sont souvent pris comme modèles en matière de droits fondamentaux et d’équilibre performant entre efficacité économique et défense des droits des travailleurs.

Mais comme il arrive fréquemment s’agissant du droit du travail, l’idéologie l’emporte sur la raison dans les prises de position à l’égard de cette idée. Cherchons donc à en cerner la faisabilité au vu des droits fondamentaux pour suggérer des aménagements susceptibles d’en aider la construction légale. Ensuite, puisque la sécurisation juridique est l’objectif dans la perspective de favoriser l’embauche, donc l’emploi, nous nous intéresserons aux modifications de fond de l’arsenal juridictionnel, en d’autres termes à la qualité de l’institution prud’homale.

Indemnités de licenciements et indemnités dues en cas de licenciement sans cause sérieuse

On doit distinguer les indemnités dues en cas de licenciement sans cause sérieuse et les indemnités de licenciement, légales ou conventionnelles, dues à un salarié en cas de rupture unilatérale par l’employeur du contrat de travail à durée indéterminée. Concernant ces dernières, l’employeur exerce un droit, il ne commet aucune faute. De ce fait, ces indemnités s’inscrivent dans la fonction protectrice du droit du travail et elles sont une des expressions de l’ordre public social ou relatif. Ici, l’idée d’un montant minimum (légal ou conventionnel) trouve une pleine justification et rien n’interdirait que soient aussi fixés des maximas. À ce titre, on pourrait considérer qu’elles sont un élément de rémunération différée, étant dues sinon en contrepartie, à tout le moins à l’occasion du travail. Dans de nombreux pays, elles sont donc qualifiées, aux plans fiscal et social, de salaires, ce qui n’est pas le cas en France.

Les sommes versées à un salarié licencié sans cause réelle et sérieuse, en sus de ces indemnités légales, sont d’une autre nature : elles réparent le préjudice lié à une faute de l’employeur, subie par le salarié. Elles reçoivent de ce fait la qualification de dommages-intérêts justifiant fondamentalement leur neutralité fiscale (pour au moins la partie réparant un préjudice autre que la perte de rémunération) et sociale. Dès lors, la barémisation peut se heurter au principe de la réparation intégrale du préjudice subi. On met fréquemment en avant, face à cet argument, qu’existent de nombreux domaines où les barèmes sont présents. Mais c’est le plus souvent lorsque le débiteur des sommes n’a pas commis de faute.

Quoi qu’il en soit, et si le législateur adopte la barémisation, on devrait imaginer que si le préjudice réel est très éloigné – en plus ou en moins, d’ailleurs – le juge devrait pouvoir en tenir compte. Cette solution existe dans le droit positif. Elle consacre les clauses pénales insérées dans un contrat visant à fixer forfaitairement les dommages et intérêts en cas de rupture liée à une faute de l’une des parties. Nous avons ainsi proposé que le juge puisse dépasser les plafonds d’indemnisation à condition de motiver cette décision. Une telle possibilité permettrait de concilier les exigences d’une moindre incertitude et d’une réparation intégrale du préjudice subi.

Précisons enfin, que le fait d’exclure du barème les cas d’absence de cause sérieuse liée à un harcèlement peut se justifier en raison des conséquences pénales d’un tel comportement et plus généralement du calage d’une telle situation sur le terrain des Droits fondamentaux de l’homme. Eu égard à l’objectif poursuivi, à savoir réduire l’insécurité juridique, on peut considérer qu’on est alors dans une situation inverse. Le risque est d’ailleurs plus important pour l’employeur dans la mesure où il y a, en ce domaine, renversement de la charge de la preuve, même si le salarié doit mettre en avant des éléments de fait susceptibles de justifier une telle qualification.

Rendre effectives et optimiser les procédures de conciliation  

L’un des problèmes de la justice du travail vient d’abord de la procédure de conciliation dont la finalité est bafouée par la pratique de l’institution prud’homale. On n’y consacre – généralement – que quelques minutes, les juges conciliateurs se contentant de constater, au vu de la déclaration péremptoire de l’une au moins des parties, qu’il n’y a rien à concilier. D’où renvoi très vite à une audience de jugement qui, dans certains conseils, se situe entre six mois et un an au-delà !

Le projet de loi d’habilitation s’inquiète poussivement de rendre effective la conciliation. Cette dernière devrait être largement favorisée au nom de l’intérêt général, dans la mesure où l’auto-résolution d’un litige par les parties intéressées est une solution éminemment souhaitable car elle est, par définition, mieux acceptée que celle qui résulte de l’intervention d’un tiers juge. Sous cet angle, la barémisation facultative durant la période de conciliation est à saluer car elle est une incitation au règlement amiable du litige.

Il faudrait optimiser la procédure de conciliation devant le Conseil des Prud’hommes (CPH). Actuellement, la conciliation aboutit dans environ 5 %, ce qui n’est pas acceptable. Deux voies de réforme nous paraissent souhaitables, qui s’inspirent largement de la littérature théorique et de réformes ayant été engagées avec succès dans d’autres pays. Tout d’abord, il faut rendre effectivement impérative la comparution personnelle des parties, donc refuser la seule présence d’un avocat. Ensuite, il faut que les juges de conciliation ne soient pas ceux qui devront décider en cas d’échec de cette dernière, ceci afin de faciliter la plus grande franchise des échanges.

D’autres considérations sont extérieures à la procédure. Elles sont relatives aux procédures conventionnelles. Il en est de deux sortes, celles qui précèdent la rupture de contrat et celles qui lui succèdent.

S’agissant des premières, la Cour de Cassation considère, non sans raison, qu’elles améliorent la protection du travailleur, leur non-respect ayant un impact sur l’obligation de disposer d’une cause réelle et sérieuse et donc sur le droit aux dommages-intérêts.

S’agissant des secondes, la Cour de Cassation, s’inspirant de la suspicion à l’égard du consentement de la partie faible, en est venue à soutenir que si ces procédures ne sont pas inapplicables (solution ancienne inspirée de l’existence d’un « monopole » du CPH qui n’existe pas), elles sont à tout le moins inopposables (sous-entendu au salarié, la partie faible – qui peut donc toujours opter pour la procédure légale). On pourrait imaginer que, sous conditions d’un arsenal procédural sophistiqué et (ou) en réservant cette faculté aux travailleurs ayant un positionnement élevé dans la grille des emplois, la procédure conventionnelle s’impose aux deux parties, d’autant qu’ici elle sera toujours conduite avec l’objectif de la rendre effective, c’est-à-dire en y consacrant le temps suffisant.

L’échec de la conciliation malgré l’effort des juges conciliateurs gagnerait à être suivie d’une information de ceux-ci sur les mérites de la médiation, quitte à leur donner les coordonnées de médiateurs qui pourraient pas exemple être des magistrats en retraite. Les exemples en France de recours à la médiation en montrent tout l’intérêt.

Les mérites de l’arbitrage

On peut aussi imaginer qu’on invite les parties en conflit à tester les mérites de l’arbitrage. Le compromis d’arbitrage, intervenant après la rupture du contrat, est toujours licite. On pourrait d’ailleurs inviter les parties à une convention collective à mettre en place une telle procédure, alors que du fait de l’existence de l’institution prud’homale, l’arbitrage dans les accords conventionnels ne concerne que les litiges collectifs (au demeurant, rares sont les conventions de branche qui s’y intéressent).

L’inopposabilité (née d’une position récente de la Cour de cassation qu’il faut saluer car la thèse de l’inapplicabilité, en vigueur précédemment, reposait sur le caractère illicite de l’arbitrage en raison du monopole du CPH, qui n’existe pas) de la clause compromissoire, c’est-à-dire insérée dans le contrat bien avant que le litige éclate, doit être dépassée. Dans de nombreux États proches de la France, elle est licite, soit pour les travailleurs dont la rémunération excède un certain seuil (par exemple en Belgique) car on estime qu’alors l’équilibre contractuel est effectif dans le contrat de travail ; soit (par exemple en Italie) lorsque a été prévue, dans la convention collective de branche, une procédure visant à définir les populations de travailleurs concernés (par exemple, uniquement les cadres), le type de litiges concernés mais aussi la composition du collège arbitral (un nombre impair de juges ; le juge choisi par l’employeur et celui choisi par le travailleur choisissant ensemble le président sur une liste d’experts établie par les partenaires sociaux) et la mutualisation du coût de l’arbitrage sous forme de cotisation acquittée par les entreprises (le coût d’un tel arbitrage est évidemment nettement inférieur à celui des arbitrages internationaux touchant au droit des affaires). Nous avons déjà proposé et détaillé dans nos précédents travaux une telle possibilité du recours à l’arbitrage qui existe ailleurs.

Le bénéfice de l’échevinage

L’échevinage, c’est-à-dire la présence d’au moins ’un juge professionnel, est souhaitable dans les CPH. Un juge professionnel, s’ajoutant par exemple aux juges prud’homaux actuels, respecte davantage les principes d’un procès équitable qu’une composition en nombre pair de juges comme c’est actuellement le cas. Invoquer l’existence du juge professionnel départiteur n’est à cet égard qu’un alibi puisqu’il n’intervient pas systématiquement. L’institution prud’homale, en vigueur en France, n’existe telle quelle que dans un autre État de l’OCDE, le Mexique, où Napoléon III et Maximilien l’ont exportée.

Si dans les autres pays la présence d’un juge professionnel a été souhaitée, il y a bien une raison. Elle est facile à démontrer car, à taux de saisine du juge égal en France et en Allemagne (par exemple) en cas de licenciement, le taux d’appel est double chez nous (plus de deux cas sur trois) et l’appel aboutit souvent (plus de deux cas sur trois également) à une infirmation, au moins partielle du jugement. La présence d’un juge professionnel, qui a par ailleurs le mérite de rendre impair le nombre de juges, pourrait contribuer à réduire l’insécurité juridique actuelle.

Les propositions qui précèdent sont à associer à la réforme envisagée. La barémisation ne suffira pas toutefois à faire disparaître les appréhensions des employeurs (en particulier de PME) car l’incertitude sur les indemnisations n’est pas le seul problème, la longueur des procédures étant déjà en elle-même dissuasive... Les voies de réforme proposées y apportent une réponse utile.