Élections américaines: un conflit culturel edit

21 novembre 2022

Comme celles de 2020, les élections américaines de 2022 ont consisté d’abord en un affrontement entre deux modèles culturels différents (voir l’article d’Antoine de Tarlé sur Telos du 14 novembre). L’enjeu de cet affrontement est de savoir si le modèle américain traditionnel pourra résister aux évolutions en cours vers la laïcisation de la société américaine, l’égalité hommes-femmes et celle des différents groupes ethniques qui composent cette société. Le sondage sortie des urnes réalisé au soir des élections sur le vote à la Chambre des représentants par Edison Research, ainsi que deux enquêtes récentes de Pew Resarch Center, l’une sur les Américains et la religion et l’autre sur ce que les parents d’élèves voudraient que l’école enseigne à leurs enfants, confirment que le clivage politique entre démocrates et républicains recouvre largement ce clivage culturel. Elles permettent en outre de mesurer un aspect très intéressant de cet affrontement, son intensité particulièrement forte au sein de l’électorat blanc.

Modèle culturel et vote politique

Le mouvement de laïcisation de la société américaine fait de la question religieuse un enjeu de plus en plus clivant politiquement. 45% des électeurs estiment que les États-Unis devraient être une nation chrétienne contre 51% qui pensent le contraire (tableau 1). C’est le cas de 67% des électeurs républicains mais seulement de 29% des électeurs démocrates. Or le renouvellement des générations par lequel s’effectue pour une large part cette laïcisation place l’électorat républicain sur la défensive. Tandis que les électeurs les plus âgés sont 63% à souhaiter vivre dans une nation chrétienne, c’est le cas pour seulement 23% des électeurs les plus jeunes. Et si les trois quarts des électeurs ressentent une perte d’influence de la religion dans la vie de la société, 42% estiment que cette influence est encore trop grande, contre seulement 22% qu’elle ne l’est pas assez.

Tableau 1 - Pensent que les États-Unis devraient être une nation chrétienne (%)

Source : Pew Research Center

Ce clivage politique se retrouve à propos des opinions des parents d’élèves quant à ce que l’école doit apprendre aux enfants sur la question de l’orientation sexuelle et sur celle de la contraception. À propos de l’orientation sexuelle, 87% des électeurs qui estiment que les valeurs de la société américaine sur l’identité de genre et l’orientation sexuelle changent pour le mieux ont voté démocrate tandis que 78% de ceux qui pensent au contraire qu’elles changent pour le pire ont voté républicain.

Si l’on examine les opinions des parents d’élèves démocrates et républicains sur ce que l’école doit apprendre aux enfants à propos de la question de l’orientation sexuelle, les différences entre les deux électorats est frappante. Plus intéressant encore, c’est au sein de l’électorat blanc que la polarisation politique du conflit culturel est la plus forte (tableau 2). 

Tableau 2 - Ce que l’école devrait apprendre aux enfants sur l’orientation sexuelle (%)

Source : Pew Research Center

Tableau 3 - Ce que l’école devrait apprendre aux enfants sur la sexualité (%)

Source : Pew Research Center

Les mêmes constatations peuvent être faites à propos de la question de la sexualité (tableau 3) mais la comparaison des deux tableaux fait ressortir que si le thème de la contraception est très porteur pour les démocrates, celui de l’orientation sexuelle l’est moins dans la mesure où les parents démocrates noirs et hispaniques sont beaucoup plus réservés. Cet élément de l’idéologie « woke » isole l’électorat démocrate blanc.

Sociologie du vote de l’électorat blanc

La polarisation qui traduit au niveau politique le conflit culturel qui bouleverse la société américaine étant particulièrement forte au sein de l’électorat blanc, examinons les variables sociologiques utilisées dans le sondage sortie des urnes qui génèrent les effets les plus importants sur le vote dans cet électorat. Il s’agit de l’âge, du sexe et du niveau d’études. Rappelons d’abord que l’électorat blanc vote en majorité pour le parti républicain tandis que les autres électorats votent en majorité pour le parti démocrate (tableau 4).

Tableau 4 -  « Race »* et vote (%)

* Nous utilisons ici le vocable anglais race utilisé dans le sondage.

Notons que l’âge et le niveau d’études n’ont pas d’effets politiques au sein des électorats noir et hispanique et que le sexe n’en a pas dans l’électorat noir. Le fait que ces variables aient des effets importants essentiellement dans l’électorat blanc pourrait signifier que cet électorat connaît une évolution à long terme du rapport gauche/droite spécifique et qui pourrait s’effectuer au bénéfice des démocrates.

Tableau 5 - Âge et vote dans l’électorat blanc (%)

Source : Sondage sortie des urnes

L’effet de l’âge sur le vote est très clair. La question est de savoir dans quelle mesure il s’agit d’un effet de génération ou de cycle de vie. Il faudrait comparer ces chiffres avec ceux d’enquêtes antérieures. Notre hypothèse est que l’effet de génération est le plus important. (tableau 5)

Comme le montre le tableau 6, le sexe et le niveau d’études sont également fortement liés au vote dans l’électorat blanc. C’est le niveau d’études qui, des deux, produit l’effet le plus important. L’évolution éventuelle de cet électorat vers la gauche dépend ainsi pour partie de l’augmentation sur le long terme du niveau d’études de la population américaine. Quant à l’effet de sexe, l’évolution de l’électorat blanc vers la gauche dépend ici de l’éventuelle augmentation, notamment par le renouvellement des générations, de la proportion de femmes acquises aux idées d’égalité entre les hommes et les femmes. Les femmes ayant le niveau d’études le plus élevé constituent le groupe qui vote le plus en faveur du parti démocrate (tableau 6).

Tableau 6 - Sexe, niveau d’études et vote dans l’électorat blanc (%)

Source : Sondage sortie des urnes

La question de la légalité de l’avortement

La question de l’avortement mérite un examen particulier dans la mesure où elle a joué un rôle majeur dans les récentes élections du fait de la décision récente de la Cour suprême de renverser son arrêt historique de 1973 protégeant le droit à l’avortement au niveau fédéral, Roe v. Wade, et de renvoyer la décision aux États fédérés. On sait que près les deux tiers des électeurs sont favorables à sa légalisation et l’on peut penser, comme le suggère l’examen du tableau 7, que la position des républicains sur ce thème a joué un rôle important dans leurs résultat décevants des midterms.

Tableau 7 -  Réactions à propos du renversement du Roe v. Wade par la Cour suprême et vote

Source : Sondage sortie des urnes

Constatons d’abord que dans l’échantillon la grande majorité des répondants sont soit mécontents soit en colère. Surtout, cette question est très fortement polarisante politiquement puisque les satisfaits ou enthousiastes de la décision récente de la Cour suprême ont voté très massivement républicain tandis que les électeurs en colère ont voté très massivement démocrate. La polarisation politique sur cet enjeu a été d’autant plus forte qu’entre 2007 et 2022 la proportion des électeurs démocrates favorables à la légalisation de l’avortement est passée de 63% à 84%, celle des électeurs républicains demeurant stable à 38%.

Il ressort de ces données que le parti républicain a commis une erreur stratégique en privilégiant dans sa campagne la guerre culturelle dans laquelle il est sur la défensive. Mais ces données montrent aussi que le thème du choix personnel de l’identité sexuelle n’est pas un thème porteur pour le parti démocrate. Par contre la défense du droit à l'avortement l'est certainement.