Salaires: dynamiser le rôle de la négociation collective edit
La question des salaires prend, en ce moment, une importance particulière dans le contexte d’une inflation forte. Cet environnement et ses effets rendent impératif que soit revisitée la politique des salaires au niveau des branches, spécialement des salaires minima professionnels et par catégorie. Les décisions prises concernant les minima salariaux de branche influencent grandement les négociations salariales engagées dans les entreprises, spécialement dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire (NAO).
Le positionnement des minima salariaux de branche, dans la stratégie sociale et dans la fonction protectrice génétique du droit du travail, incite à procéder à une réflexion prospective les concernant d’autant qu’ils ont été conçus dans le contexte des modes hiérarchiques d’organisation du travail propres à la civilisation de l’usine. Or, du fait des transformations technologiques et en particulier de la révolution digitale, des modes d’organisation du travail d’un nouveau type se développent, inspirés de la civilisation du savoir que ces techniques nouvelles favorisent. Une autre raison est le passage progressif d’un droit du travail réglementaire à un droit plus contractuel dont témoigne la promotion des techniques de dérogation et de supplétivité. Ce changement favorise en effet une plus grande autonomie du tissu conventionnel, dans les limites de ce qui relève de l’ordre public en permettant au contrat de faire plus aisément seul la loi des parties.
Des avancées timides sur le rôle de la négociation collective dans les politiques salariales
La conception du droit du travail liée à la suspicion à l’égard du consentement justifiait non seulement le principe de faveur dans les rapports entre convention collective de branche et accord d’entreprise, mais aussi le fait qu’on s’y préoccupe essentiellement des minima salariaux. Le principe de supplétivité, introduit récemment (Ordonnances Travail de septembre 2017) et concrétisant plus d’autonomie de l’accord d’entreprise, ne vaut toutefois pas en matière de salaires. Ceux-ci sont en effet l’un des 13 domaines, dits du Bloc 1, où la hiérarchie entre convention collective de branche et accord d’entreprise subsiste, sous réserve toutefois d’une possible distance de l’accord d’entreprise par la mise en œuvre d’un dispositif « globalement équivalent ».
Nous avons critiqué cette liste des 13 domaines et la règle de l’avantage « globalement équivalent », au motif qu’il s’agit d’un inventaire à la Prévert et que cette règle d’équivalence est potentiellement source de litiges juridiques, de contentieux, la notion de « globalement équivalent » étant en effet susceptible d’aboutir à des interprétations différentes. Mieux vaudrait donner une définition juridique de la branche, ce à quoi pourrait servir le concept d’« unité économique et sociale » (UES) dégagé jadis par la Cour de cassation pour contrer l’abus de droit dans la multiplication de sociétés juridiquement distinctes dans le seul but d’éviter d’atteindre le seuil de mise en place des institutions de représentation élues du personnel. L’UES a contribué à donner une définition juridique de l’entreprise à partir de l’unité, à la fois économique et sociale ; de ce fait, elle pourrait aussi contribuer à définir la branche. Cela faciliterait au demeurant la politique – salutaire et utile – de regroupement de celles-ci ou plutôt de réduction du nombre des conventions collectives de branche.
De ce fait pourrait prendre vie le concept « d’ordre public professionnel », en liaison avec l’activité de la branche et auquel l’accord d’entreprise ne pourrait « déroger ». Bien sûr, les partenaires sociaux seraient alors invités à en décliner le principe dans l’accord collectif.
Des avancées ont aussi été introduites concernant l’articulation entre l’accord collectif d’entreprise et le contrat de travail. L’accord de performance collective (APC) a notamment pour objet d’adapter, pour une durée limitée et au vu des difficultés économiques (voire techniques) de l’entreprise, certaines contraintes et normes. Un APC peut ainsi décider des baisses transitoires des salaires, dans le respect des dispositions d’ordre public (ici le SMIC) et des minimas salariaux de branche. Une telle adaptation est concevable (souhaitable) au nom de l’intérêt général (de l’entreprise), particulièrement du fait qu’elle préserve, sinon favorise, l’emploi. Le fait que cette adaptation ne soit possible que par accord collectif est évidemment positif dès lors que cela s’inscrit dans une logique de préservation et d’adaptation de la fonction protectrice du droit du travail et favorise le développement du dialogue social, droit fondamental. Les APC peuvent ainsi, au nom de l’intérêt collectif de la viabilité économique de l’entreprise, décider d’une baisse générale des salaires, le refus de cette décision contractuelle par un salarié pouvant constituer une cause réelle et sérieuse de son licenciement. Pour louable qu’elle soit, cette avancée demeure encore modeste dans la pratique.
Renforcer le rôle du «contrat collectif» dans la fixation des salaires dans l’entreprise
Il semble difficile, en raison de leur fonction dans la mise en œuvre des droits fondamentaux et spécialement du rôle des salaires sur le terrain de l’équité, du bien-être, etc., de faire échapper, au nom du principe de supplétivité, à la hiérarchie des normes en ce domaine, l’articulation entre accords de branche et d’entreprise. Pour autant, l’efficacité économique et la protection des travailleurs gagneraient à ce qu’il soit possible d’échapper transitoirement, par accord collectif d’entreprise, à cette hiérarchie quand l’entreprise fait face à des difficultés économiques importantes. Dans le respect de l’ordre public et donc du SMIC bien entendu. Cette réforme, que nous avons proposée dans de précédents travaux, donnerait aux partenaires sociaux la possibilité de réduire le risque sur l’emploi que peuvent générer des difficultés économiques liées par exemple à un contexte conjoncturel défavorable.
La proposition faite ici est de permettre, mais par accord collectif d’entreprise seulement, la non-application pour une durée limitée de ces salaires minima conventionnels de branche. L’accord serait impérativement à durée déterminée. Pendant cette période, seul le SMIC constituerait alors un minimum infranchissable.
Sous cet angle, il est important de bien cibler la notion de salaire minimum professionnel résultant de la convention collective de branche. Il est parfois – souvent – inférieur au SMIC dans la mesure où sa fonction est moins d’établir un minimum absolu de salaire dans la profession que de servir à l’évaluation d’avantages prévus par la convention collective, par exemple des garanties sociales. Cet aspect a été bousculé par le dispositif récent permettant au Ministère du Travail de provoquer la « fusion » de conventions collectives de branche lorsque le minimum professionnel est inférieur au SMIC (Article 7 de la loi du 16 aout 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat). Cette disposition peut sembler en opposition avec l’émergence d’un droit du travail plus contractuel, ceci d’autant que d’autres moyens existent permettant une revalorisation des minima, en particulier la mise en cause de la responsabilité de l’organisation patronale pour n’avoir pas tout mis en œuvre pour arriver à conclure. Pour autant, elle est bienvenue car elle incite à la négociation collective de branche et au renforcement de l’approche contractuelle à ce niveau.
Renforcer le rôle de la négociation collective dans la fixation du SMIC
Aujourd’hui les évolutions du SMIC sont totalement dictées par les évolutions macro-économiques (l’indexation automatique) et des décisions discrétionnaires du Gouvernement (les coups de pouce). Dans ce domaine, il est souhaitable de renforcer le rôle de la négociation collective, donc des partenaires sociaux, en s’inspirant des solutions des Pays-Bas et de l’Allemagne. Concrètement, pourrait être élargi le pouvoir décisionnaire des partenaires sociaux avec une règle d’indexation automatique du SMIC prenant en compte les résultats de la négociation collective de branches. Ce changement, qui élargirait le pouvoir décisionnaire des partenaires sociaux, les responsabiliserait davantage alors que, souvent, ils attendent que l’État oriente et parfois même impulse et structure leurs négociations. Généraliser ainsi par ce nouveau mode de revalorisation du SMIC le résultat des négociations de branche reviendrait à une sorte d’extension à l’ensemble de l’économie du résultat de la négociation collective. Le Gouvernement garderait bien sur la possibilité d’ajouter à cette nouvelle forme d’indexation du SMIC un coup de pouce, selon son appréciation de la situation du marché du travail.
Même si les partenaires sociaux sont consultés par le Gouvernement au moment de ses réévaluations, le SMIC est de nature réglementaire. La solution proposée ici consiste à décider de ces réévaluations à partir d’une moyenne des relèvements des salaires minima conventionnels de certaines branches. Il sera nécessaire d’identifier les branches ici retenues en prenant en compte à la fois le volume des effectifs de la branche et le souci d’un équilibre entre les différentes activités dans lesquelles elles s’insèrent (industrie, commerces, services …). Il faudrait aussi retenir des branches connaissant un réel dynamisme en termes de dialogue social.
Au vu des considérations ci-dessus, il serait utile d’élaborer, au niveau de la branche, un arsenal normatif permettant de prendre en compte, en matière de minima, à la fois durée effective du travail et modes d’organisation du travail. La définition du temps de travail effectif comme « le temps pendant lequel le travailleur est à disposition de l’employeur sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles » posera de plus en plus de difficultés compte tenu des normes d’organisation engendrées par les changements technologiques, par exemple par un recours massif au télétravail.
Les propositions ci-dessus ne peuvent qu’inviter à délimiter, parmi les conventions collectives de branche, celles dont les minima professionnels sont pris en compte par cette nouvelle définition du SMIC. Évidemment, la diminution de leur nombre en application de la stratégie initiée – à juste raison – par le gouvernement permet de réduire la difficulté, liée à l’importance relative des différentes branches sans pour autant l’éliminer, d’autant que le mouvement initié par le législateur n’a pas, pour l’instant, eu les effets escomptés.
Les rémunérations (au sens large du terme) sont évidemment la composante première de la stratégie visant à intégrer la politique sociale dans les objectifs de développement économique. Le renforcement du rôle de la négociation collective dans la définition des minima salariaux a ici été déclinée sous deux angles. Tout d’abord, par la possibilité qui pourrait être donnée aux accords d’entreprise de déroger transitoirement aux minima de branche quand la viabilité financière de l’entreprise est en jeu, ceci dans le respect des dispositions d’ordre public comme le SMIC. Une telle possibilité pourrait donner à des entreprises la possibilité de passer des caps difficiles, et serait à ce titre protectrice pour les salariés concernés, spécialement s’agissant de l’emploi. Ensuite, en changeant la règle d’indexation automatique du SMIC, celui-ci prenant désormais en compte les résultats de la négociation collective des branches. Ce changement, qui élargirait le pouvoir décisionnaire des partenaires sociaux, les responsabiliserait davantage.
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