Dynamiser les minimas de branches edit

5 novembre 2021

Dans un récent billet Telos (Salaires : encourager la négociation collective), je signalais que dans de nombreuses branches, les minimas salariaux, définis par les conventions collectives de branche, demeurent inférieurs au SMIC, suite aux augmentations de ce dernier. Le nombre de ces branches a fortement augmenté suite à la revalorisation du SMIC de 2,2 % au 1er octobre dernier qui a résulté du dispositif de revalorisation automatique activé par la résurgence de tensions inflationnistes. La hausse du SMIC a mécaniquement relevé les barèmes des exonérations de contributions sociales employeurs qui sont calées sur lui. Aussi, dans ces branches qui n’ont pas ajusté leurs grilles salariales et qui sont devenues non-conformes (les minimas y ayant été dépassés par le SMIC), le nombre des salariés et la masse salariale bénéficiant des exonérations de contributions sociales ont mécaniquement augmenté. Une mise en conformité via un relèvement des minimas de branches au-dessus du SMIC élève généralement de nombreux niveaux conventionnels de rémunération, et réduit la population de salariés concernés par des allègements de contributions sociales. La non-conformité a l’effet inverse. On peut légitimement être choqué qu’un comportement non vertueux (laisser des minimas de brancher devenir et demeurer inférieurs au SMIC quand celui-ci augmente) aboutisse à un gain financier pour les entreprises concernées, cela au frais de la collectivité…

Ce problème de non-conformité peut devenir à l’avenir plus prégnant qu’il ne l’a été sur les dix dernières années. En effet, depuis dix ans, l’inflation a été faible et son relèvement, qui participe d’un rapprochement souhaitable vers la cible d’inflation de la BCE de 2% pour l’ensemble de la Zone euro, pourrait rendre plus fréquentes les revalorisations automatiques infra-annuelles du SMIC comme celle qui s’est produite au 1er octobre dernier. Les non-conformités vont ainsi elles-mêmes devenir tout aussi automatiquement plus fréquentes. Il est donc urgent de réagir.

Plusieurs solutions alternatives

Le précédent billet rappelait qu’un dispositif organisé par l’article 27 de la loi du 3 décembre 2008 s’était efforcé d’apporter une réponse à cette situation, en barémisant les réductions de contributions sociales employeurs sur les minimas de branches quand ces derniers sont inférieurs au SMIC. Une telle option aboutit à une forte incitation financière faite aux branches pour qu’elles évitent les situations dans lesquelles leurs minimas sont durablement dépassés par le SMIC. Le rétablissement d’une telle incitation financière conçue en 2008 serait responsabilisante et dynamiserait la négociation collective dans le domaine salarial. Le législateur avait fait le choix de différer la mise en œuvre de ce dispositif en fonction de l’évolution de la proportion de branches non-conformes depuis la loi de décembre 2008. Pour cette raison, le dispositif n’est jamais entré en application, et il a même été ensuite abrogé. Une des raisons de cette abrogation était un doute concernant la constitutionnalité du dispositif, qui aboutissait à pénaliser financièrement des entreprises (en termes d’exonérations de contributions sociales) lorsque leurs branches de rattachement ne sont pas conformes. En d’autres termes, des entreprises pouvaient, par rapport à d’autres, être financièrement pénalisées en fonction de comportements et décisions de leurs branches de rattachement et non d’elles-mêmes.

Cette difficulté de constitutionnalité mérite d’être approfondie et ne peut être ignorée. Mais il importe d’envisager déjà des réponses si elle se révèle exacte. Les pistes évoqués ci-dessous ne sont que des exemples, qui illustrent que des réponses sont envisageables. D’autres pistes pourraient être envisagées, et à ce stade celles qui suivent appellent une intervention du législateur.

Un premier type de réponses consisterait à redonner la main aux entreprises, par exemple en leur permettant, pour celles qui appartiennent à des branches non-conformes, de déclarer à l’ACCOSS qu’elles pratiquent des grilles salariales dans lesquelles les minimas sont au moins égaux au SMIC. Le barème des exonérations de contributions sociales qui leur serait appliqué serait alors celui, standard, calé sur le SMIC. Une telle situation inciterait fortement les branches à éviter des situations de non-conformité, au risque de voir leur rôle remis en cause par les entreprises qui leur sont rattachées. Mais cette réponse serait complexe à gérer, à la fois pour les entreprises déclarantes et en particulier les PME, et pour l’ACCOSS.

Un second type de réponses consisterait à responsabiliser les branches, par exemple en refusant l’extension de toute convention pour celles qui demeureraient non-conformes au-delà d’un certain délai (un an par exemple). Les entreprises ne seraient pas financièrement pénalisées en cas de non-conformité de leurs branches de rattachement, mais ces dernières seraient incitées à éviter des situations de non-conformité au risque de voir leur rôle s’amoindrir et être discuté.

Responsabiliser davantage les partenaires sociaux

Quelle que soit la voie retenue, la dynamisation de la négociation de branches dans le domaine salarial responsabiliserait davantage les partenaires sociaux sur leur rôle fondamental. C’est à eux qu’il revient, via la négociation collective, de répondre aux attentes actuelles de protection et de gains de pouvoir d’achat. Ce n’est pas à l’Etat de se substituer à eux. Encore faut-il que les modalités de calcul des exonérations de contributions sociales n’aboutissent pas à désinciter financièrement une telle prise de responsabilité et à nourrir un affaiblissement de la négociation collective, comme c’est actuellement le cas. Une telle désincitation est totalement contradictoire avec l’esprit des ordonnances Travail de septembre 2017 et de la loi Pénicaud de mars 2018, qui visent au contraire à magnifier le rôle de la négociation collective de branches et d’entreprises. Une intervention forte des pouvoirs publics, visant à faire disparaitre cette désincitation au dialogue social serait donc une mise en cohérence de l’action publique et de la promotion de la négociation collective. Elle serait d’ailleurs une réponse à la critique de certains partenaires sociaux du caractère inconditionnel des baisses de contributions sociales. Ces baisses, par leur calcul, subventionnent actuellement le tassement des grilles salariales effectives, la modération des salaires et l’affaiblissement du rôle du dialogue social. N’est-il pas temps que cela change ?

Gilbert Cette est prochainement professeur à NEOMA Business School et par ailleurs président du Groupe d’experts sur le SMIC. Ce billet n’engage que son auteur.