Comment réformer les retraites? edit

30 mai 2013

La dépense de retraite des régimes publics et privés en France est, après l’Italie, la deuxième la plus élevée de la zone de l’OCDE. Selon un récent rapport du Conseil d’Orientation des Retraites, le système de retraite ne devrait revenir à l’équilibre qu’au début des années 2040 dans le cas le plus favorable. Néanmoins, avec des scénarios macroéconomiques moins favorables, le système de retraite resterait dans le rouge jusqu’en 2060. Entre 2012 et 2040, la dette accumulée du système de retraite serait de 15 à 50 % du PIB. Dans ce contexte, les pouvoirs publics devraient s’attaquer aux problèmes structurels du système de retraite, notamment au déséquilibre financier de long terme et à la complexité et au manque d’équité du système. Comment ?

La structure du système français des pensions de vieillesse est très complexe et comprend quelque 90 régimes de retraite et de pensions de réversion (y compris environ 40 régimes obligatoires), qui sont assortis de critères d’éligibilité divers et qui recouvrent des prestations différentes. La simplification d’une telle structure est essentielle pour garantir une certaine transparence aux salariés qui changent de secteur d’activité et de régime de retraite au cours de leur carrière ; plus important encore, pour accroître l’équité du système grâce à une réduction des avantages dont bénéficient ceux qui sont couverts par des régimes spéciaux.

Les régimes spéciaux de retraite (y compris les régimes de la fonction publique) concernent presque 4 millions de bénéficiaires, essentiellement d’anciens fonctionnaires, salariés d’entreprises publiques et salariés de secteurs spécifiques (mineurs, notaires, marins par exemple), et les pensions versées chaque année représentent 3.5 % du PIB. Les régimes spéciaux offrent souvent des conditions plus généreuses que le régime général. Certaines catégories de fonctionnaires (en service « actif » comme les militaires, les policiers, les pompiers ou les gardiens de prison, et ceux qui effectuent des travaux insalubres) peuvent prendre leur retraite avant l’âge légal, et peuvent percevoir une retraite à l’issue d’une période de contribution plus courte. Les salariés des secteurs de l’électricité et du gaz, les cheminots (salariés de la SNCF) et les salariés de la RATP (Régie autonome des transports parisiens) bénéficient aussi de conditions de retraite favorables. Concernant le régime des fonctionnaires, les règles de calculs des pensions sont tellement différentes de celles qui s’appliquent au secteur privé, qu’il est difficile d’avoir une appréciation d’ensemble sur le niveau de générosité relative. De façon générale, on ne dispose d’aucune information fiable sur le coût des régimes spéciaux, mais l’une des conditions préalables à l’introduction en bourse d’EDF/GDF en 2005 a été l’intégration de son système de retraite au régime général. Comme les critères d’éligibilité sont restés les mêmes, l’État a dû verser en compensation à la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) un montant équivalant à environ 0.5 % du PIB et correspondant à la valeur actuelle nette des paiements des retraites futures compte tenu des conditions spéciales en vigueur.

On observe également une certaine disparité entre les critères d’attribution des pensions de réversion applicables aux salariés du secteur privé et ceux qui s’appliquent aux salariés du secteur public. Dans le secteur privé en effet, le conjoint survivant peut prétendre à une pension de réversion s’il est âgé de 55 ans au moins. De plus, le montant versé au bénéficiaire survivant est attribué sous condition de ressources et il est plafonné, ne pouvant pas dépasser 60 % de la pension du défunt. En revanche, le conjoint d’un salarié du secteur public pourra percevoir une pension de réversion sans aucune restriction d’âge ou de revenu (mais le taux de réversion ne peut pas dépasser 50 %). La pension de réversion est majorée de la moitié de la prime de 10% perçue pour trois enfants ou plus.

Pour combler le besoin de financement de long terme du système, une augmentation des cotisations de retraite pourrait être, en principe, envisagée. Cependant, elle paraît une mauvaise solution car elle conduirait à monter le coin fiscal – la différence entre le salaire perçu par l’employé et le coût subi par l’employeur – déjà très élevé en France. Qui dit coin fiscal plus élevé, dit aussi moins de demande et d’offre d’emploi, et donc moins d’emploi et plus de chômage, ainsi aggravant le déséquilibre financier du système.

Le gouvernement pourrait aussi ajuster (baisser) le niveau des retraites au moment du départ à la retraite ou lorsque les retraites existantes sont revalorisées. Un système actuariellement équitable permet de garantir que le montant des pensions de retraite soit, selon une acception large, directement lié aux cotisations versées tout au long de la vie active. Toutefois, en France, la réforme Balladur de 1993 prévoit que les prestations de retraite soient, dans le cas du régime général, calculées sur la base des 25 années d’une vie professionnelle pendant lesquelles les revenus ont été les plus élevés. Pour s’approcher de l’équité actuarielle, il conviendrait de prendre en compte l’ensemble de la carrière, et non seulement dans le privé mais aussi dans les régimes spéciaux. En même temps, les salaires des 25 meilleures années ne seront pas ajustés par rapport à la progression des salaires. Ceci est en effet la réforme la plus importante des vingt dernières années, passée toutefois inaperçue, qui conduira à des retraites très faibles dans le secteur privé tandis que les retraites dans les régimes spéciaux dépendront du dernier salaire.. La revalorisation des retraites par l’inflation et surtout le plan du gouvernement de désindexer les retraites de l’inflation fera chuter les retraites en termes réels, et ainsi les dépenses publiques de retraite par rapport au PIB. Faute de mesures visant à compenser les plus démunis, ceci risque cependant d’accentuer le taux de pauvreté des personnes âgées en France, actuellement inférieur à la moyenne de l’OCDE.

Mais le véritable levier d’action est la durée des retraites. Il convient de s’assurer que l’augmentation de l’espérance de vie est compensée par une période de cotisations allongée. Aux termes de la réforme Fillon de 2003, le gouvernement peut modifier par décret, jusqu’en 2020, la durée de cotisation minimale en fonction de l’espérance de vie, mesurée par l’Insee. Ainsi, la durée d’assurance pour le taux plein, de 40 années au moment de la réforme, a été portée à 41.5 années pour la génération 1955. Il s’agit d’un pas important sur la voie de la viabilité budgétaire à long terme. Mais de telles décisions, qui sont mal reçues par l’opinion publique, devraient être détachées du gouvernement. Il conviendrait plutôt de mettre en place une indexation automatique via une règle automatique simple : la durée de cotisation donnant droit à la retraite à taux plein ainsi que l’âge légal de départ à la retraite devraient être ajustés, chaque année, en fonction des gains d’espérance de vie, comme cela est déjà le cas en Lettonie, en Pologne, en Suède ou en Norvège. Il pourrait être même nécessaire d’augmenter la durée de cotisation et l’âge légal de départ à la retraite au-delà des gains en termes d’espérance de vie pour parvenir à l’équilibre financier.

Un système par points ou en comptes notionnels est probablement la meilleure solution pour une indexation automatique. Un tel système offre le choix aux personnes de travailler plus longtemps et de recevoir des prestations de retraite plus élevées ou bien de prendre la retraite plus tôt, mais au détriment de pensions moins élevées. Puisque le montant des pensions est lié, d'une manière automatique, à l'espérance de vie, une vie plus longue signifierait que les employés devront travailler plus longtemps pour obtenir une pension de vieillesse satisfaisante. Dans ce contexte, le gouvernement devrait améliorer l'éducation financière de la population pour que les français comprennent la nécessité de travailler plus longtemps. De même, la population ne sera en mesure de travailler plus longtemps que si elle vieillit de manière saine et a la capacité de s'adapter à une carrière plus longue. Cela nécessiterait des changements profonds dans le système d'éducation et de formation professionnelle.

Au total, une nouvelle réforme majeure du système de retraite s’impose. Elle devrait avoir pour but de réduire la complexité et ainsi mettre fin à la différence de traitement qui existe entre les retraités des régimes spéciaux et ceux du secteur privé. Un système par points ou en comptes notionnels faciliterait non seulement à augmenter la transparence du système mais, par un mécanisme auto-équilibré, il donnerait également la flexibilité nécessaire pour parvenir à l’équilibre financier au fur et à mesure du vieillissement de la population. Le caractère automatique des ajustements éviterait le déclenchement de polémiques qui éclatent dès lors qu’un paramètre du système actuel est nécessairement ajusté pour préserver la viabilité du système de retraite par répartition.