Quel est l’impact des politiques éducatives sur la productivité? edit

4 mai 2022

Si le capital humain est largement considéré comme un moteur essentiel de la croissance économique, sa mesure est difficile. La littérature empirique visant à en construire une mesure au niveau national a combiné des composantes quantitatives (telles que le nombre moyen d’années de scolarité) et qualitatives (généralement les résultats aux tests standardisés au niveau international), soit en utilisant des pondérations arbitraires, le plus souvent égales, soit en les incluant séparément dans les estimations, avec généralement le résultat peu plausible qu’une composante est dominante et l’autre totalement insignifiante.

Une autre faiblesse de nombreuses études qui tentent d’incorporer des notions de qualité dans les mesures du stock de capital humain est qu’elles sont basées sur des mesures de flux contemporains qui se rapportent le plus souvent à des élèves testés à l’âge de 15 ans, ce qui est peu susceptible d’être représentatif des compétences de l’ensemble de la population en âge de travailler.

Dans un travail récent de l’OCDE (Égert et al, 2022), nous remédions à ces deux faiblesses en construisant une nouvelle mesure du stock de capital humain qui utilise les données de l’OCDE provenant du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) et du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PIAAC).

Cette amélioration des mesures agrégées du capital humain peut avoir de l’importance, compte tenu du rôle central et moteur que jouent l’éducation, la formation et les compétences dans la performance économique.

Une nouvelle mesure agrégée du stock de capital humain

La nouvelle mesure est une moyenne pondérée par cohorte des scores PISA passés (représentant la qualité de l’éducation) de la population en âge de travailler et des années moyennes de scolarité correspondantes (représentant la « quantité » d’éducation). Contrairement à la littérature existante, les poids relatifs des composantes de qualité et de quantité ne sont pas imposés ou calibrés mais sont estimés directement. Nos calculs comportent trois étapes.

Tout d’abord, une correspondance est établie entre les scores aux tests PIAAC pour adultes, le nombre moyen d’années de scolarité et les scores aux tests PISA pour élèves de la cohorte correspondante qui a passé les tests à l’âge de 15 ans. Cette correspondance est raisonnable étant donné que les tests PIAAC et PISA saisissent des compétences similaires : les scores PISA couvrent la lecture, les mathématiques et les sciences ; les scores des tests PIAAC pour adultes couvrent la littératie, la numératie et la résolution de problèmes.

Deuxièmement, les résultats des tests PIAAC sont régressés sur les résultats des tests PISA appariés et sur le nombre moyen d’années de scolarité. Point notable, les résultats de l’estimation montrent que l’élasticité du stock de capital humain par rapport à la qualité de l’éducation est trois à quatre fois plus importante que pour la quantité d’éducation.

Troisièmement, ces élasticités estimées sont utilisées pour construire une mesure agrégée du stock de capital humain dans le temps, en cumulant les mesures de quantité et de qualité pour toutes les cohortes de la population en âge de travailler.

Cette approche repose sur la combinaison des données de PISA et de PIAAC, afin de surmonter les problèmes posés par l’utilisation isolée de l’une ou l’autre. D’une part, PIAAC fournit une mesure des compétences pour l’ensemble de la population adulte en âge de travailler, mais cette enquête ne dispose pas de séries chronologiques et sa couverture nationale est limitée, ce qui la rend mal adaptée à une analyse par régression. L’enquête PISA, elle, ne s’applique qu’aux personnes âgées de 15 ans mais, ce qui est très important, surtout lorsqu’elle est associée à des résultats de tests internationaux similaires, on dispose pour cette enquête d’une série chronologique et d’une couverture nationale plus étendues.

La nouvelle mesure du capital humain pour la population âgée de 16 à 65 ans suggère que les pays ayant le plus grand capital humain sont l’Australie, le Japon et la Finlande, tandis que le Chili et la Thaïlande ont les niveaux de capital humain les plus bas (figure 1, panel A).  Ces classements pour la dernière année disponible sont largement confirmés pour le stock couvrant la population âgée de 16 à 39 ans (figure 1, panneau B), bien qu’il y ait quelques différences suggérant que les jeunes générations ont été de plus en plus instruites dans certains pays que dans d’autres.

Par exemple, la Finlande est à la traîne du Japon pour le stock total, mais elle le dépasse pour le stock couvrant uniquement les jeunes générations, car le stock de capital humain des jeunes générations a augmenté plus fortement en Finlande qu’au Japon.

Figure 1. La nouvelle mesure du stock de capital humain

Note. Le stock de capital humain est calculé comme la moyenne pondérée par la cohorte des résultats aux tests des élèves, ajustée pour les estimations des coefficients reliant les résultats aux tests des adultes PIAAC aux résultats aux tests des élèves PISA (spécification log-log avec effets fixes de pays, transformée du log au niveau). Les premières années du panel B vont de 1987 à 2008.

Les effets du capital humain sur la productivité: potentiellement importants, avec de longs décalages

La nouvelle mesure du capital humain présente une corrélation positive robuste avec la productivité pour les pays de l’OCDE dans les régressions de panel de séries chronologiques entre pays, ce qui confirme que les améliorations du capital humain s’accompagnent de gains de productivité macroéconomiques.

Point important, nos simulations suggèrent que le potentiel de gains de productivité à long terme est beaucoup plus important grâce à l’amélioration de la composante qualitative que quantitative du capital humain. Une amélioration des résultats aux tests PISA, équivalente à la réduction de l’écart entre la médiane et les trois pays les plus performants de l’OCDE, génère finalement une augmentation à long terme de la productivité multifactorielle (PMF) comprise entre 3,4 % et 4,1 %. Par ailleurs, une augmentation similaire du nombre moyen d’années de scolarité, correspondant également à la réduction de l’écart entre la médiane et les trois pays les plus performants de l’OCDE, génère une augmentation de la productivité totale des facteurs comprise entre 1,8 % et 2,2%.

Une autre conclusion est que les gains de productivité par le canal du capital humain peuvent être du même ordre de grandeur que ceux résultant de l’amélioration de la réglementation des marchés de biens, toujours en utilisant le même point de référence, à savoir la réduction de l’écart entre la médiane et les trois pays les plus performants de l’OCDE. Toutefois, les délais sont aussi généralement beaucoup plus longs pour le canal du capital humain, notamment parce qu’il faut près de cinq décennies avant qu’une amélioration durable des compétences des étudiants ne se traduise pleinement par une amélioration des compétences de l’ensemble de la population en âge de travailler (figure 2). Ces longs délais peuvent être raccourcis en mettant davantage l’accent sur l’éducation et la formation des adultes, notamment via l’apprentissage tout au long de la vie et le perfectionnement de la main-d’œuvre existante, qui permettent d’améliorer le capital humain à un âge plus avancé.

Figure 2. Comparaison des réponses politiques visant à améliorer les compétences et la concurrence sur les marchés de produits

Variation de la productivité multifactorielle, en pourcentage

Note : Le graphique montre la réponse dynamique de la PMF à un choc standardisé sur les compétences des étudiants et sur la réglementation des marchés de produits. Les chocs sont standardisés en calibrant l’ampleur du choc comme étant la différence entre le pays médian de l’OCDE et les trois pays les plus performants en termes de l’indicateur choqué. Le choc sur le capital humain suppose que les compétences s’améliorent progressivement à mesure que les étudiants entrent dans la vie active.

Évaluer l’effet des réformes éducatives sur le capital humain et la productivité: l’exemple de l’enseignement pré-primaire

Une caractéristique intéressante de la nouvelle mesure du stock de capital humain est qu’elle ouvre de nouvelles voies pour évaluer l’effet des réformes des politiques éducatives sur la productivité et le revenu par habitant. Toute politique éducative qui peut être mesurée quantitativement à l’aide d’un indicateur et liée aux changements dans les résultats des tests des élèves peut être reliée à la nouvelle mesure du capital humain et donc à la productivité.

Prenons l’exemple de l’enseignement pré-primaire. La première étape de la quantification de l’effet de la fréquentation de l’école maternelle peut être fournie par la littérature empirique existante, qui constate que les élèves ayant fréquenté l’école maternelle pendant plus d’un an obtiennent de meilleurs résultats aux tests de compétences des étudiants, améliorant leurs scores aux tests de 8,2 à 9,6 points. Cela correspond à une augmentation de 1,7 % à 1,9 % par rapport au score médian PISA de l’OCDE en 2018.

Afin d’évaluer les effets des politiques sur le stock de capital humain et la productivité multifactorielle d’une réforme de l’enseignement préprimaire, deux scénarios sont envisagés : i.) combler l’écart entre le niveau de fréquentation préprimaire le plus faible observé dans l’OCDE (9% en Turquie) et la moyenne des trois pays les plus performants (84% en Espagne, en France et en Nouvelle-Zélande), et ii.) combler l’écart entre le pays médian de l’OCDE (72%, Autriche) et la moyenne des trois pays les plus performants. Les résultats indiquent qu’un effort soutenu pour accroître la fréquentation de l’enseignement pré-primaire augmente la productivité à long terme entre 0,9% et 2,2% pour le premier scénario, et donne lieu à une augmentation plus limitée de 0,1% à 0,3% dans le second scénario.

Les travaux futurs se concentreront sur une évaluation systématique d’un large éventail de politiques éducatives sur la nouvelle mesure du capital humain et des résultats macroéconomiques, ainsi que sur l’examen de l’impact des politiques de formation des adultes sur le capital humain.

Références

Égert, B., C. de la Maisonneuve et D. Turner (2022), « A New Macroeconomic Measure of Human Capital Exploiting PISA and PIAAC: Linking Education Policies to Productivity », OECD Economics Department Working Papers, No. 1709.