Benoît Hamon, ingénieur institutionnel edit

25 janvier 2017

Parmi les propositions avancées par Benoît Hamon pour la primaire, celles qui concernent la question des institutions ont été peu commentées. Pourtant, elles sont à la fois si contradictoires et dangereuses, dans un domaine qui s’il ne retient pas toujours suffisamment l’attention n’en est pas moins fondamental, qu’il convient de mettre en garde l’opinion.

Nous savions l’hostilité de la gauche du parti au régime de la Ve République. Cette hostilité concernait surtout l’institution présidentielle dont les pouvoirs, selon les partisans d’une VIe République, devaient être sérieusement diminués. La Ve représentait d’abord pour cette gauche le danger du pouvoir personnel, (on s’est d’ailleurs aperçu de sa redoutable puissance au cours de l’année écoulée !) Cependant, cette VIe République demeure un projet en pointillé dans la mesure où ni l’élection présidentielle ni certains des pouvoirs essentiels que le président possède actuellement de par la Constitution ne sont clairement remis en cause. Du coup, la volonté d’abaisser le pouvoir présidentiel demeure pour une large part une intention plutôt qu’une proposition claire de révision institutionnelle. Malgré cette indétermination, le projet institutionnel d’ensemble des partisans de la VIe République se fonde à la fois sur l’établissement d’un régime primo-ministériel, faisant du Premier ministre le véritable chef de l’exécutif, et un renforcement des pouvoirs du Parlement.

Or, d’une manière contradictoire, Hamon et ses amis mettent désormais en cause le parlementarisme rationnalisé qu’ils paraissaient défendre contre le « pouvoir personnel » du président. Ce parlementarisme rationnalisé établit un équilibre entre les pouvoirs du Parlement et ceux du gouvernement, équilibre, qui, même s’il n’est pas parfait, est quand même ce que nous avons trouvé de mieux depuis la Révolution française.  Il donne certaines armes au Premier ministre. Celui-ci peut notamment mettre en jeu la responsabilité de son gouvernement pour faire adopter un texte qu’il estime essentiel. Ce faisant, ce gouvernement prend alors le risque d’être renversé si une motion de censure est votée. C’est le fameux article 49 alinéa trois. L’utilisation de cet article est par définition parfaitement constitutionnelle et peut s’avérer politiquement nécessaire pour assurer la capacité du gouvernement à gouverner ! Chez Hamon, cette pièce essentielle du dispositif institutionnel devient : « La Ve République, ce modèle démocratique, c’est une machine à trahir », rappelant que le gouvernement avait imposé ainsi au Parlement, et aux Français, la loi travail. Hamon considère qu’il y a là « une forme d’immaturité de la vie politique française à utiliser un instrument comme le 49.3 pour passer en force contre le Parlement ». Tous en chœur reprennent alors l’antienne du quasi-viol du Parlement et, avec lui, de l’ensemble des citoyens. Mais si le 49.3 est supprimé, comme le réclame Hamon, ce n’est plus seulement le pouvoir présidentiel qui est mis en cause mais le pouvoir exécutif dans son ensemble et donc, notamment, le régime primo-ministériel. C’est d’autant plus surprenant que le candidat à la primaire présente un programme de réformes ambitieux. Pense-t-il pouvoir l’appliquer sans avoir jamais besoin de cette arme ? Est-il disposé à abandonner tout projet de réforme qui ne serait pas voté par le Parlement où, d’ailleurs, il ne serait pas certain de disposer d’une majorité ? La suppression du 49.3 semble alors indiquer la préférence du candidat pour le régime d’Assemblée, régime qui, rappelons-nous, présentait quelques défauts !

Or il ne s’agit pas de cela. En effet, Hamon souhaite également et légitimement accroître la participation des citoyens à la vie politique. De nombreuses propositions ont été faites depuis longtemps en ce sens qu’il n’est pas nécessaire de rappeler ici. Certaines semblent intéressantes et utiles. Nul doute que le déficit de participation affaiblit dans l’esprit des citoyens la légitimité du régime représentatif. Il convient donc de remédier à cette situation. Malheureusement la réforme que propose Hamon, l’adoption d’un « 49.3 citoyen », risque fort de détruire également le pouvoir parlementaire pour établir une sorte de démocratie directe. « Je propose, annonce-t-il, qu’il y ait un “49.3 citoyen” à travers la possibilité, pour les électeurs, d’obliger le Parlement à soumettre à un référendum une loi votée par le Parlement dès lors que 450 000 électeurs, c’est-à-dire 1 % du corps électoral, signent une pétition encadrée par la loi. »

Il y a longtemps qu’une proposition de réforme constitutionnelle n’avait pas présenté un danger aussi grand pour le régime représentatif et, partant, pour les libertés. Cela fait penser à la dictature jacobine où les représentants de la Nation délibéraient sous la surveillance et le contrôle permanents des sans-culottes. Il suffirait donc de réunir 450000 signatures pour remettre en cause les votes parlementaires. Quel groupe de pression ne pourrait y parvenir ? Nous devrions vivre alors sous le régime du référendum permanent. Certes il est vrai comme il le dit, que « les Français vivent dans une démocratie intermittente », et « ont le droit de vote tous les cinq ans mais sont sans voix entre deux scrutins ». Mais ce n’est pas une raison pour mettre en cause le cœur du régime représentatif qui est de confier à des représentants pour une certaine durée la fonction législative. S’il paraît nécessaire d’inventer des nouveaux modes de participation politique des citoyens, toute réforme de ce type qui aurait pour conséquence de détruire la démocratie représentative nous ferait tous régresser et non progresser.

Ainsi, en trois enjambées, notre spécialiste en ingénierie démocratique affaiblit à la fois le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. L’on peut aisément prévoir le résultat d’une telle entreprise si elle aboutissait lorsque l’on a quelques connaissances historiques : un dictateur comblerait vite le vide ainsi créé en mettant en cause l’impuissance du système représentatif à gouverner et à légiférer. Hamon estime que nous traversons une grave crise démocratique. Il n’a pas tort. Gardons-nous cependant de l’aggraver encore. La démocratie est un bien fragile que les ultra-démocrates ont souvent contribué à liquider en pensant l’améliorer.