Environnement: changer de mode de vie? Pas si simple…. edit
Depuis 2019, l’institut Ipsos réalise pour EDF, qui a créé l’Observatoire international Climat et Opinions Publiques (Obs’COP), une enquête mondiale (dans 30 pays) sur les opinions concernant le changement climatique. La dernière livraison de cette enquête vient d’être publiée et les résultats sont passionnants[1]. Je n’en sélectionnerai que quelques-uns pour cet article, en m’arrêtant particulièrement sur la question de l’acceptabilité des changements souhaitables pour limiter le changement climatique.
En préambule, il faut garder à l’esprit que tout le monde n’est pas convaincu de la réalité même du changement climatique. 36% des habitants du monde restent climatosceptiques (soit en ne reconnaissant pas la réalité du changement climatique, soit, le plus souvent, en niant les causes humaines de ce changement). Cette tendance reste stable depuis 2019. On remarquera que le climatoscepticisme est particulièrement présent aux États-Unis (47%).
Néanmoins, la plupart de nos contemporains étant convaincus, peut-on s’attendre à ce qu’ils en tirent des conséquences, soit en modifiant certains de leurs comportements (ceux qui sont réputés défavorables à la lutte contre le réchauffement), soit en acceptant des mesures de politique publique allant dans ce sens ? La réponse n’est pas si évidente qu’on pourrait le penser ou le souhaiter.
Certes, une majorité relative (46%) de la population mondiale est convaincue que « c’est principalement la modification importante de nos modes de vie qui permettra de limiter le changement climatique » (devant l’idée que c’est principalement le progrès technique qui le permettra : 34%), mais cette opinion perd régulièrement du terrain depuis 2019 (alors 53% des personnes interrogées partageaient cette opinion). D’autre part, la mise en œuvre de ces bonnes intentions reste limitée.
Figure 1. Actions individuelles pour lutter contre le changement faites systématiquement ou presque (Obs'COP 2023) (champ : Monde)
Aucune action individuelle n’est entreprise par une majorité de la population mondiale et les plus significatives en termes de limitation des émissions de carbone des ménages, comme celles qui concernent les déplacements individuels et la consommation de viande, viennent en queue de liste et rassemblent au mieux un quart des répondants. De plus, depuis 2019, ces taux ont très peu varié, généralement un gain de 1 à 3 points de pourcentage. On note néanmoins une progression plus significative de la limitation des déplacements en voiture (+6 points) ; mais ce n’est encore qu’un quart des personnes qui disent le mettre en œuvre.
Par ailleurs, des mesures contraignantes de politique publique ne sont pas toujours plébiscitées, loin de là. Les habitants de la planète sont très partagés (c’est-à-dire se divisent en deux parties à peu près égales pour les juger acceptables ou non) sur les mesures suivantes : instaurer des péages urbains (47% le jugeant très ou plutôt acceptable), une taxe sur les billets d’avion (49%), renchérir le prix des énergies émettrices de CO2 (via la taxe carbone, 51%), une taxe sur les déchets ménagers (51%), réserver les centres-villes aux voitures électriques (52%).
On conste en outre que ces mesures sont nettement moins bien acceptées dans les pays riches : par exemple la taxe carbone n’y reçoit que 45% d’avis favorables, alors que 63% des habitants de pays pauvres s’y déclarent favorables. Les écarts entre pays riches et pays pauvres sont également très importants en ce qui concerne les mesures de limitation de l’usage de la voiture. Or, c’est bien dans les pays riches que des mesures de ce type auraient le plus d’impact. C’est peut-être aussi la raison pour laquelle les habitants des pays riches y sont plus réticents.
Mais tout ceci montre l’écart qui subsiste entre les convictions environnementales générales et la mise en œuvre pratique de ces convictions.
La France: bon ou mauvais élève du climat ?
À première vue, les Français paraissent plutôt être à la pointe du combat individuel pour lutter contre le changement climatique. En effet, ils déclarent nettement plus souvent qu’ailleurs, y compris en Europe, mener des actions individuelles systématiques telles que « privilégier les fruits et légumes de saison » (61%) ou limiter le chauffage ou la climatisation du logement (56%). Les efforts de limitation des déplacements en voiture ou en avion restent minoritaires (37% et 36%) mais plus fréquents qu’ailleurs. Les restrictions sur la consommation de viande sont également plus souvent entreprises par les Français (29%). Surtout, dans la plupart de ces domaines, les efforts des Français ont continué de progresser, alors qu’ils ont stagné ou même régressé ailleurs dans le Monde. Un bon point pour les Français donc.
Néanmoins, les rédacteurs du rapport de l’Obs’Cop 2023 nuancent immédiatement ce satisfecit. En effet il semble entrer en décalage avec les pratiques effectivement adoptées, qui sont mesurées dans d’autres parties du questionnaire. C’est vrai notamment pour les déplacements en voiture et en avion. 45% des Français par exemple déclarent en 2023 prendre leur voiture tous les jours ou presque contre 46% en 2021, une quasi-stagnation ; même constat pour l’avion (47% au moins une fois par an en 2023 contre 46% en 2021). L’augmentation des efforts est par contre perceptible concernant la consommation de viande (35% de consommation quotidienne en 2023, contre 42% en 2021, une décroissance notable). Au total le bilan sur les efforts individuels paraît mitigé : des bonnes intentions qui ne sont pas toujours suivies d’effets.
Mais le bilan France se noircit davantage lorsqu’on étudie les attitudes de nos compatriotes à l’égard de l’éventuelle introduction de mesures de politique climatique. On constate en effet que les Français sont beaucoup plus réticents que les autres Européens à l’égard de toutes les mesures visant à limiter l’usage de l’automobile : l’écart est conséquent que ce soit sur les péages urbains ou la limitation de la liberté d’usage des voitures à essence. Ils sont également beaucoup plus opposés que les autres Européens (11 points d’écart) à l’introduction d’une taxe carbone que beaucoup d’économistes considèrent comme la mesure-clé d’une politique climatique qui voudrait aboutir à des résultats tangibles. Les ferments de la révolte des Gilets jaunes sont toujours présents. Comme le remarquent les rédacteurs du rapport, certaines de ces mesures, l’interdiction des voitures thermiques, sont pourtant à l’agenda du Green Deal de la Commission européenne, mais sont rejetées par les deux-tiers des Français.
Par contre, les Français sont plus favorables que les autres Européens à la limitation des vols en avion et de l’extension des aéroports. La voiture a véritablement une place à part dans notre culture nationale.
Figure 2. L'acceptation (très acceptable ou plutôt acceptable) de mesures en faveur du climat en France et en Europe (source : Obs'COP 2023)
Une autre mesure, non présentée dans la figure 2, rencontre une opposition majoritaire des Français : l’idée de « densifier les villes en limitant les maisons individuelles au profit d’immeubles collectifs » : 57% s’y disent opposés, 11% n’ayant pas d’opinion, et seulement 30% s’y déclarant favorables (2% ne répondant pas car ne reconnaissant pas le changement climatique). La « bagnole » et le pavillon, deux vaches sacrées qu’il sera difficile de détrôner.
Finalement, la note de la France dans la classe européenne des attitudes à l’égard du changement climatique ne semble pas si bonne qu’elle le paraissait au départ. Les Français sont assez largement convaincus de la nécessité des efforts individuels à accomplir mais la mise en œuvre paraît problématique, notamment concernant les limitations d’usage de la voiture à essence et le principe d’une taxe carbone. Sur ces sujets on est manifestement très loin d’un consensus ou même d’une approbation majoritaire.
On peut en tirer la conclusion que les déclarations de principe sur le changement radical des modes de vie qui serait nécessaire se heurteront à un mur si on ne fait pas d’abord des efforts très importants pour faire accepter les mesures qui en découlent. En réalité, on a le sentiment que ces transformations ne pourront pas être brutales et qu’elles ne pourront être que graduelles, sauf à créer de fortes tensions dans la société. Ou alors, il faudra trouver des moyens innovants pour compenser les pertes de liberté et éventuellement les pertes de revenus qu’impliqueront la mise en place de ces politiques, surtout pour les catégories sociales les moins favorisées.
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[1] Une planète divisée ? L’opinion mondiale face au changement climatique, Obs’COP 2023, EDF. Disponible en PDF ici.