Quel bilan éducatif pour le quinquennat? edit
L’Institut Montaigne a publié en août un document de travail sur le bilan du quinquennat Macron dans les principaux domaines de l’action publique. Un des chapitres porte sur l’éducation[i]. Clair et synthétique, ce document de travail permet de se faire une bonne idée des avancées et des manques de l’action réformatrice en matière éducative d’Emmanuel Macron et de son ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, aux commandes de ce ministère depuis le début du quinquennat.
Une idée-phare de l’actuel président de la République est certainement la volonté de promouvoir l’égalité des chances pour combattre ou atténuer les inégalités, plutôt que de se contenter de les compenser, le plus souvent financièrement, une fois qu’elles sont enkystées. Dans ce projet, l’école tient évidemment une place centrale et le ministre de l’Éducation nationale, certainement au fait des travaux de sciences sociales en ce domaine, a bien compris qu’il était vital en la matière d’agir le plus précocement possible dans le parcours de vie des individus pour éviter que les destins sociaux divergent radicalement du fait de la naissance et de l’environnement familial. Tous les travaux montrent en effet qu’il est ensuite de plus en plus difficile, à mesure que les individus avancent en âge, de réduire les handicaps culturels accumulés au début de la vie. C’est ainsi qu’une priorité a été donnée, en début de quinquennat, à l’école primaire et aux apprentissages fondamentaux, avec une politique volontariste de dédoublement des classes mise en place par le ministère dans les établissements REP et REP+[ii], d’abord en CP, puis en CE1. La mesure a été étendue aux grandes sections de maternelle à partir de 2020. D’après le rapport de l’Institut Montaigne ce sont 450 000 élèves qui auront bénéficié de ces mesures à l’issue du quinquennat. C’est donc tout sauf anecdotique. L’Institut rappelle qu’un autre engagement entre progressivement en vigueur : le plafonnement pour les élèves de GS, CP et CE1, hors éducation prioritaire, à 24 élèves par classes. À terme, 600 000 élèves devraient être concernés.
Les résultats encourageants du dédoublement des classes
Mais ces mesures de réduction du nombre d’élèves par classes sont-elles efficaces en termes de réussite scolaire, ou plus modestement de réduction du décrochage et de l’échec scolaires ? Améliorent-elles également le climat scolaire ? Une évaluation a été conduite par la DEPP (le service d’études du ministère) avec l’aide chercheurs reconnus[iii]. L’évaluation porte du 15 000 élèves répartis en deux groupes, un groupe-test composés d’élèves de REP+ ayant bénéficié de la mesure, et un groupe-témoin d’élèves de profils identiques n’ayant pas bénéficié de la mesure.
Les premiers résultats pour l’année de mise en œuvre 2017-2018 (l’évaluation doit se poursuive pour les années suivantes) sont positifs tant sur le climat scolaire, la dynamique de la classe que sur les résultats des élèves. Le dispositif a permis une baisse significative du pourcentage d’élèves en très grande difficulté. Nous verrons si ces premiers résultats encourageants sont confirmés par la suite de l’étude. C’est une mesure qui, en tous les cas, est plébiscitée par les professeurs des écoles d’après la même étude.
Le rapport de l’Institut souligne néanmoins que les effets positifs de cette politique peuvent être renforcés notamment par une meilleure formation des enseignants aux techniques d’enseignement et aux méthodes pédagogiques éprouvées – un gros point faible de la formation actuelle du corps enseignant. Ce chantier paraît particulièrement urgent en mathématiques, la France ayant obtenu des résultats calamiteux dans l’enquête internationale TIMMS de 2019 sur les performances en mathématiques en fin de classe du quatrième. Sur 20 pays de l’OCDE ou de l’UE enquêtés, la France se situe en 17e place, derrière la Turquie. La France n’amène que 2% de ses élèves au niveau avancé en mathématiques alors qu’ils sont 11% dans les autres pays de l’OCDE ou de l’UE.
Le point aveugle de l’affectation des enseignants
Un chantier important laissé en jachère est également celui de l’affectation des enseignants, point que j’ai déjà évoqué dans des articles précédents de Telos. Le rapport de l’Institut Montaigne souligne ainsi justement que le système d’affectation dit « du barème », fondé essentiellement sur l’ancienneté, « conduit à l’affectation des enseignants débutants dans les postes perçus comme les moins attractifs, c’est-à-dire ceux situés en REP et REP+ ». C’est un point capital, car même si la qualité pédagogique des enseignants n’est pas intégralement dépendante de l’expérience acquise, il ne fait guère de doute, surtout face à des élèves difficiles, que les deux éléments sont corrélés. D’autre part ce système d’affectation « fonctionne sur le principe de l’indifférenciation des postes ». Les enseignants peuvent demander une mutation pour un autre département que celui où ils enseignent, mais ils ne choisissent pas un établissement ou un poste, et ils ne sont pas choisis non plus par un établissement ou pour un poste particulier. La procédure est aveugle et purement bureaucratique. On pourrait rêver d’un système plus décentralisé dans lequel seraient pris en compte à la fois les besoins spécifiques des établissements et les motivations des enseignants en essayant de les faire correspondre. Un rapport de la Cour des comptes de 2017 insistait déjà sur la nécessité de réformer dans ce sens l’affectation des enseignants. Des « postes à profil » ont bien été créés mais ils sont en nombre très limités (230 en 2021). Dans les pays nordiques, en Norvège par exemple, la mesure est généralisée et les établissements ont la possibilité de recruter leurs propres enseignants. Une telle réforme, un profond bouleversement du monde hyper-centralisé de l’Education lationale, rencontrerait certainement une hostilité frontale des syndicats d’enseignants (le SNUipp-FSU s’oppose déjà aux « postes à profil »), et c’est peut-être la raison pour laquelle il n’en a pas été question durant ce quinquennat (même sous une forme atténuée). C’est donc un chantier très important qui reste ouvert. Notons d’ailleurs que, lors de sa visite à Marseille le 3 septembre, Emmanuel Macron a évoqué l’idée d’une expérimentation permettant aux directeurs d’école de choisir leur équipe d’enseignants « pour être sûr qu’ils sont pleinement motivés, qu’ils adhèrent au projet ». Comme attendu cette annonce a été suivie d’une levée de boucliers des organisations syndicales dénonçant le basculement « dans un système libéral où les critères subjectifs et le clientélisme pourront prendre toute leur place » (SNUipp).
Une réforme du lycée incomplète
Si le ministre, avec raison, a fait porter l’effort dans les premiers temps du quinquennat sur l’enseignement primaire, l’enseignement secondaire a connu lui aussi, dans un second temps, des transformations assez profondes avec la réforme du lycée. Son esprit est de casser les filières rigides, sources d’inégalités comme l’ont montré les travaux de sociologie de l’éducation, en diversifiant l’offre proposée aux élèves en leur ouvrant la possibilité de choisir des spécialités associées à un tronc commun d’enseignements fondamentaux. La réforme a été critiquée au motif que tous les lycées ne pourraient pas offrir toute la gamme possible des spécialités à leurs élèves. Selon le rapport de l’Institut cependant, cet écueil a été largement évité, chaque établissement proposant au moins sept spécialités sur les douze possibles. Mais le rapport souligne également que les effets attendus de la réforme, à savoir un desserrement de la détermination sociale des choix de formation, n’ont pas été véritablement au rendez-vous, jusqu’à présent au moins. Le rapport pointe que la part des garçons choisissant les mathématiques est toujours de 20 points supérieure à celle des filles et que cette même spécialité est choisie par 80% des élèves d’origine favorisée contre 62% de ceux d’origine défavorisée. Les bonnes intentions réformatrices se heurtent souvent à l’inertie de la société !
La même volonté réformatrice n’a pas été à l’œuvre, jusqu’à présent, concernant le lycée professionnel et c’est un point à mettre certainement au passif du bilan, tant l’échec et le décrochage dans ces filières sont des problèmes préoccupants et qui obèrent l’avenir d’un nombre important de jeunes d’origine populaire. Néanmoins, le ministère est bien conscient de cette lacune et a préparé un plan de réformes assez ambitieux du lycée professionnel, mais qui n’aura pas vraiment le temps de se mettre en place avant la fin du quinquennat. Une des très bonnes idées de cette réforme est de créer des « familles de métiers » (14 seront mises en place d’ici 2021) regroupant plusieurs spécialités du baccalauréat professionnel. Cela devrait permettre d’éviter que les élèves se spécialisent trop tôt dans une spécialité étroite sans avoir eu le temps de construire leur choix professionnel, ce qui est une source très fréquente d’échec et de décrochage scolaire. Le projet met aussi l’accent sur l’accompagnement renforcé des élèves et la possibilité de cursus mixtes avec l’apprentissage. Reste à savoir comment, sur le terrain, ces bonnes intentions pourront s’appliquer. Il sera en tout cas trop tard dans ce quinquennat pour qu’elles puissent véritablement être mises en œuvre.
La nécessité d’une politique d’évaluation
Le ministère a mis en place, malgré les réticences des syndicats, des évaluations nationales des performances des élèves (notamment en CP et CE1), de façon à pouvoir mesurer la progression de chaque élève et trouver des remédiations pour ceux qui sont en difficulté scolaire. Ces évaluations des élèves, utiles même si elles sont lourdes à mettre en place, devraient être complétées par des évaluations, menées par un organisme indépendant, des établissements scolaires. C’est un outil indispensable de pilotage de la politique éducative, qui fait aujourd’hui défaut. Comme le rappelle le rapport de l’Institut, le Conseil d’évaluation de l’école (CEE), créé en 2019, devrait s’en charger, mais là encore ce n’est pas sous ce quinquennat que cet outil de politique éducative pourra être mis en œuvre.
Au total, le bilan de ce quinquennat sur le plan éducatif (je n’ai pas parlé de l’enseignement supérieur qui fait l’objet d’une autre partie du rapport de l’Institut Montaigne) est loin d’être négligeable. Un certain esprit réformateur a soufflé sur l’école et le ministre a été assez habile pour faire passer ces réformes sans qu’elles déclenchent de vastes mouvements de protestation, qui par le passé ont fait échouer maintes réformes moins ambitieuses. C’est à mettre à son crédit. Bien sûr il reste beaucoup à faire pour que l’école française retrouve des performances en matière de réussite des élèves dignes d’une grande Nation. C’est un enjeu capital pour l’équité, mais aussi pour l’économie, l’OCDE ayant souvent souligné le déficit de qualifications de la main d’œuvre en France, comparativement aux autres nations développées.
[i] https://www.institutmontaigne.org/ressources/pdfs/publications/education-quinquennat-macron-le-grand-decryptSNUipp-FSUage.pdf, rédigé par Baptiste Larseneur
[ii] Elèves scolarisés en éducation prioritaire
[iii] Marc Gurgand et Julien Grenet de l’Ecole d’économie de Paris, Pascal Bressoux de l’Université Grenoble-Alpes et Peter Blatchford University College (Londres).
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