Présidentielles en Moldavie: une victoire du «modèle Poutine»? edit

17 novembre 2016

Les élections moldaves, loin d’être négligeables illustrent et alimentent plusieurs tendances de fond de la politique européenne : les difficultés de l’Etat de droit face aux oligarchies, les ratés de la politique de voisinage de l’Europe et la centralité de Vladimir Poutine dans les débats nationaux. Aujourd’hui, en Moldavie comme ailleurs, le président russe parvient à dicter une partie des termes du débat électoral. En outre, l’Union européenne sort deux fois perdante de l’élection : elle est la seule à financer le pays mais fait l’objet de toutes les critiques et est officiellement délaissée pour la sphère d’influence russe.

Un laboratoire de l’Europe plutôt qu’une Syldavie sans portée géopolitique

Le 13 novembre 2016, Igor Dodon a remporté les élections présidentielles moldaves avec 52,2% des voix, face à Maia Sandu qui atteint 47,8% des voix. Ainsi, le candidat pro-russe remporte la victoire sur la candidate pro-européenne, ancienne ministre de l’Education et figure de la contestation des oligarques de l’hiver 2014-2015.

Est-ce un non-événement dans une Europe obsédée par l’élection américaine ?

Etat périphérique de l’Union, coincé entre la Roumanie et l’Ukraine et peuplé de seulement 3,5 millions d’habitants, la République moldave a, en apparence, tout de la Syldavie de Hergé : une curiosité culturelle sans portée géopolitique. En outre, son économie est une des plus pauvres du continent : en 2016, son PIB a été de 6,6 milliards de dollars, en contraction de 0,5% par rapport à 2015. La situation a été aggravée par la suspension des aides du FMI suite aux scandales de corruption.

Pourtant le destin du pays doit retenir l’attention : il s’inscrit dans les forces tectoniques à l’œuvre sur le continent. Une partie du destin de la politique européenne s’y joue. L’élection d’Igor Dodon contribue à un tournant dans le « Grand Jeu » entre la Russie, l’Union européenne et les Etats-Unis sur le continent. Ces résultats manifestent les difficultés dans lesquelles les scènes politiques européennes sont prises. Et peut constituer une victoire locale pour la Russie dans la « nouvelle Guerre Froide ».

Le partenariat avec l’UE ne suffit plus à gagner les élections

Le choix de l’élection directe était censé remédier à la défiance du peuple envers ses élites. De ce point de vue, le résultat est mitigé.

En effet, par leur mode de scrutin, ces présidentielles constituent une première depuis 1996. Le candidat pro-russe Petru Lucinschi était sorti vainqueur de cette élection. Depuis et pendant deux décennies, les présidents ont été élus par le Parlement, à la majorité des trois cinquièmes des députés – un nombre difficile à atteindre dans un jeu politique très polarisé.

Ce retour au suffrage universel direct a été décidé il y a quelques mois, en mars dernier, en plein mouvement social de contestation du gouvernement en place. L’opinion publique avait en effet été indignée par le scandale du « milliard volé » de la fin 2014. Il s’agissait d’un détournement de fonds massif aboutissant à la perte de 15% du PIB. Le verdict du scrutin présidentiel a été directement influencé par ce mouvement : la faible mobilisation de l’électorat reflète une défiance généralisée : seuls 48% des électeurs se sont rendus aux urnes au premier tour, et un peu plus de 53% au second.

Si le premier tour a opposé neuf candidats, plus de trois quarts des voix se sont portées dès le premier tour sur les candidatures d’Igor Dodon (48%) et Maia Sandu (38,7%), loin devant le troisième candidat, Dumitru Ciubasenco (6%). Les candidats associés de près ou de loin au gouvernement pro-européens après 2009 – Iurie Leanca, Mihai Ghimpu– ont tous connu des scores faibles. La campagne a elle-même été caractérisée par une forte polarisation politique, voire une certaine violence verbale.

Après avoir frôlé la victoire dès le premier tour, Igor Dodon s’est présenté en position de force au deuxième tour. Pour créer la surprise, Maia Sandu, nouvelle venue en politique forte de son image de femme intègre, devait compter sur un sursaut de son électorat, notamment dans la diaspora, et au-delà. Sa défaite honorable marque toutefois une remise en cause des politiques suivies par les gouvernements issus de l’Alliance pour l’intégration européenne, coalition de partis au pouvoir depuis 2009 sur les thématiques pro-européennes. Paradoxalement, Igor Dodon, ancien ministre de l’Economie entre 2006 et 2009, avait lui-même auparavant œuvré à un rapprochement de la Moldavie avec l’Union européenne, apparaissant à l’époque comme un technocrate pragmatique.

La scène politique moldave sort de ces élections fortement clivée.

Depuis l’indépendance, la Moldavie est divisée sur les questions d’identité nationale. Les politiques sont tenus de se positionner sur un axe où la gauche penche vers la Russie, le centre-gauche et le centre-droit vers l’Union européenne, et la droite vers la Roumanie, parfois jusqu’au souhait de réunifier la Roumanie et la Moldavie.

Mais d’autres clivages jouent. L’hiver dernier, les mobilisations anti-corruption ont rassemblé des partisans des différentes tendances autour de la révolte contre l’oligarchie et la corruption. Les votes ont en conséquence niveau d’étude, le niveau économique et les divisions régionales. Les questions identitaires et les partis-pris géopolitiques ne sont plus le seul moteur des électeurs : la capacité à rétablir l’Etat de droit et à remédier à la corruption sont de puissants facteurs politiques internes.

En tout état de cause, avec cette élection, on constate qu’il ne suffit plus de promettre un avenir radieux grâce à l’association avec l’Union européenne pour gagner. L’Europe centrale et orientale s’engage dans une voie eurosceptique manifeste en Pologne, en Hongrie, en Bulgarie et peut-être bientôt en Autriche. Le populisme anti-européen qui porte aux nues des figures comme Orban et Poutine ont aujourd’hui le vent en poupe dans cette partie de l’Europe.

A la périphérie de l’Union mais au centre du Grand Jeu géopolitique

Les résultats de la présidentielle reconduisent les divisions historique du pays sans les résoudre.

L’histoire de la Moldavie est faite de ballotements entre la Roumanie, l’Ukraine, l’empire tsariste puis soviétique. Ces soubresauts parfois violents se prolongent. La campagne électorale a encore creusé les divisions linguistiques et culturelles traditionnelles entre roumanophones et russophones. Annexée par l’empire tsariste en 1812, la Moldavie a subi une politique de russification autoritaire : déplacements de population, interdiction du roumain et colonisation administratives ont façonné le pays. Elle a ensuite été intégrée à l’URSS en tant que République, et n’a obtenu son indépendance qu’en 1991. Cette histoire est symptomatique d’une faiblesse récurrente en Europe orientale : l’absence d’Etat fonctionnel, capable de mettre fin à la corruption et d’exercer sa souveraineté sur toutes les parties du territoire. Deux régions de la Moldavie ont échappé au contrôle de Chisinau, la capitale.

D’une part, la Transnistrie est sous le contrôle d’un gouvernement russophone épaulé par un peu plus d’un millier de soldats de la Fédération de Russie. Le motif de cette présence militaire est semblable à celui qui a joué en Ukraine et jouera peut-être dans les Etats baltes ou en Asie centrale : la présence d’une minorité russe importante (20% de la population). Et, d’autre part, la Gagaouzie, région turcophone du centre du pays, a elle aussi échappé au gouvernement central, avant de se satisfaire d’une forme d’autonomie en 1994, qui a réglé au moins provisoirement le problème. Or, à l’issue de ces élections, le problème central de la Moldavie, l’absence d’Etat solide, ne semble pas devoir recevoir de solution. La capacité de l’Union européenne à aider ses partenaires à construire un Etat de droit efficace se trouve démentie. Elle doit aujourd’hui être restaurée.

En outre, l’élection d’Igor Dodon pourrait conduire à un revers pour la politique de voisinage de l’Union européenne. Le candidat a en effet promis la tenue d’un référendum sur la position géopolitique du pays. Cela signifie d’abord que le sort de l’accord de partenariat conclu en 2013 entre la Moldavie et l’Union européenne est discuté. Le président militera pour un rapprochement avec la Russie afin de rétablir les liens commerciaux avec l’économie russe. L’économie moldave pâtit en effet de l’adoption du partenariat avec l’Union européenne conclu en 2013, qui s’est accompagné d’un embargo commercial de la part de la Russie, concernant notamment les importations agricoles. Le cas moldave rappelle à l’Union européenne qu’elle est aujourd’hui face à un défi considérable sur son flanc est : elle doit renforcer sa politique du partenariat oriental afin de continuer à être un foyer d’attraction pour ses partenaires dans la région et dans le Caucase. Car dans les mois qui viennent, les autorités moldaves vont critiquer le partenariat avec l’Union européenne, tout en en bénéficiant : l’Europe est deux fois perdante face la Russie, elle paie et elle est discréditée, alors que la Fédération de Russie fait bien peu pour le pays mais remporte là un succès dans sa politique internationale.

Le pouvoir d’attraction de l’Union européenne sort affaibli de la campagne du fait des élites dites pro-européennes, qui sont aujourd’hui largement discréditées dans l’opinion. La séquence est particulièrement dure pour l’image de l’Union européenne : ceux qui la défendent à l’intérieur de la Moldavie sont aujourd’hui assimilés à des oligarques corrompus malgré l’engagement de la candidate pro-européenne contre la corruption. Ce désamour est paradoxal : longtemps considéré comme le bon élève du Partenariat oriental, la Moldavie a reçu de la part de l’Union européenne 800 millions d’euros sur la période 2010-2015. De manière générale, en Moldavie et en Ukraine, en Géorgie comme dans les Balkans, l’Union doit faire la preuve que son soutien permet une réforme en profondeur de la gouvernance de ses partenaires.

A contrario, cette victoire est assurément un succès pour la politique de la Russie en Europe et en Ukraine. Elle donne à la Russie un point d’appui de revers contre l’Ukraine. Et elle souligne à nouveau auprès des capitales européennes, que Moscou est capable de disposer de relais au cœur des systèmes politiques européens. Moscou dispose bien d’un pouvoir d’attraction pour une partie de l’Europe. C’est vrai pour la Moldavie mais aussi pour la Hongrie… et pour la France où la figure du président russe hystérise les débats. La figure de Vladimir Poutine a été au centre de la campagne : la proximité avec le président russe a été un des principaux arguments de campagne du candidat Dodon. Les élections moldaves soulignent une tendance à l’œuvre partout en Europe : Vladimir Poutine est considéré comme une question centrale sur les scènes politiques de très nombreux pays européens, y compris la France. La plus grande victoire du président russe est d’être considéré comme un homme politique européen.

Les élections moldaves sont emblématiques des défis européens

D’un point de vue politique, le principal défi de la Moldavie est celui d’une large partie de l’Europe orientale : construire le chemin d’un Etat de droit suffisamment solide pour garantir les droits fondamentaux, protéger les contre-pouvoirs, lutter contre la corruption et les oligarchies et surmonter pacifiquement les divisions territoriales et culturelles. De ce point de vue, les présidentielles moldaves ne laissent pas entrevoir de solution. La dynamique à Chisinau est de mauvais augure pour la série d’élections à venir en Europe centrale et orientale.

D’un point de vue géopolitique, les élections moldaves soulignent à quelle point le rapport de force dans l’opinion publique est défavorable à l’Union. Son image est aujourd’hui écornée par son incapacité apparente à promouvoir effectivement l’Etat de droit et la bonne gouvernance chez ses partenaires. Et son statut international pâtit de ses faiblesses dans les tensions avec Moscou. L’Union européenne vient de perdre sur tous les plans en même temps : l’image, l’influence géopolitique, le rayonnement juridique., etc. Tout en continuant à financer l’est de l’Europe…