Le poison de la défiance edit

1 mai 2020

La confiance dans le gouvernement pour faire face à la crise du coronavirus s’érode très rapidement et beaucoup plus fortement que dans les autres pays développés. Cette forte défiance va rendre très difficile la sortie de crise.

Le coronavirus est un poison qui met en danger toutes les sociétés, mais la défiance en est un autre qui, associé au premier, peut compromettre gravement la sortie de crise. Dans un premier temps, dans une crise de cette ampleur, le sentiment d’appartenance collective se renforce et avec lui la conviction qu’il faut se rassembler derrière les dirigeants pour y faire face. C’est bien ce qui s’est passé en France. Mais nous sommes une société de défiance et les vieux réflexes de la division et des mises en accusation n’ont pas tardé à reprendre le dessus.

La confiance dans le gouvernement pour apporter les réponses adaptées s’érode en effet à grande vitesse. Les 19 et 20 mars, 55% des Français disaient avoir confiance dans le gouvernement pour faire face efficacement au coronavirus. Ils n’étaient plus que 38% dans ce cas les 8 et 9 avril (sondages IFOP pour le JDD). La rapidité de la chute de confiance est impressionnante. Un autre sondage de Kantar (Le Figaro, 17 avril) montre la même tendance : le 20 mars, 61% des Français disaient approuver la façon dont le gouvernement réagit à l’épidémie, ils ne sont plus que 43% dans ce cas entre 9 et le 13 avril. Et le même sondage réalisé dans les pays du G7 montre que la France est le pays où cette défiance est la plus forte (à l’exception du Japon encore plus défiant). Par exemple, 67% des Allemands approuvent l’action de leur gouvernement, alors qu’ils n’étaient que 58% dans ce cas le 20 mars ! La confiance s’accroît en Allemagne, elle chute en France.

On trouve des résultats analogues dans les vagues 10 et 11bis du baromètre de la confiance politique réalisées par le Cevipof en avril 2020 en France, au Royaume-Uni et en Allemagne (voir graphique ci-dessus). Français, Allemands et Britanniques ont tous un niveau élevé de confiance dans les médecins pour informer sur la situation sanitaire. Mais les écarts se creusent lorsqu’il s’agit des experts gouvernementaux et surtout du gouvernement lui-même.

Bien sûr, le gouvernement a certainement commis des erreurs de communication, notamment sur la question des masques. Il aurait mieux valu admettre dès le départ la réalité crue, à savoir que la France ne disposait pas d’un stock suffisant, ni même minimal, de masques. S’abriter derrière des considérations médicales a été une erreur.

Mais il y a fort à parier que même une communication exemplaire n’aurait fait que retarder la montée de la défiance. Cette défiance à l’égard des institutions était bien présente avant la crise, elle est devenue un trait structurel de la société française.

Personne, bien sûr, n’accorde une confiance aveugle aux gouvernants, ils doivent, en temps et en heure, rendre des comptes de leurs actions, c’est le principe même de la démocratie. Mais la vigilance démocratique est très différente de la défiance radicale qui conduit une partie notable des Français à penser que les dirigeants mentent par principe, au profit d’intérêts politiques cachés ou, pire, d’intérêts économiques promus par des lobbyistes influents.

Il est à craindre, malheureusement, que cette défiance ne fasse qu’empirer au moment où la France sortira du confinement. En effet, la période qui suivra va être très dure, économiquement et socialement. Une partie de l’activité a été irrémédiablement perdue – qu’on pense, ce n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres à l’hôtellerie-restauration et au secteur du tourisme – et se traduira inévitablement par une montée du chômage et à terme par une perte du pouvoir d’achat. Les Français vont souffrir et ils n’y sont pas préparés. Obsédés aujourd’hui, et à juste titre, par les questions de santé, ils n’imaginent sans doute pas, pour beaucoup d’entre eux, la violence de l’impact économique et social qui suivra. Le discours politique et syndical n’y aide pas non plus puisque le mot d’ordre assez largement partagé est que « les Français ne doivent pas payer la crise », propos partagé par Joël Giraud député LREM, rapporteur général du budget, par Julien Dive, député LR de l’Aisne, ou encore par Adrien Quatennens, député LFI  du Nord et par Laurent Berger, le leader de la CFDT, et la liste aurait pu être considérablement allongée. Il est malheureusement inévitable que, collectivement, les Français la paient, du fait de la perte irrémédiable de production qui crée la richesse à partager. Le rattrapage de cette production perdue ne pourra, au mieux, qu’être partiel. La question qui se posera alors est celle de la répartition des efforts pour amortir ce choc et de la façon d’organiser la solidarité en faveur de ceux qui auront beaucoup perdu.

Mais, là encore, les Français sont mal préparés car beaucoup d’entre eux ne pensent pas que c’est le travail qui crée la richesse collective, que beaucoup d’autres croient à la théorie du trésor caché (chez les riches, dans les grandes entreprises) qu’il suffirait de redistribuer pour assurer le bien-être du plus grand nombre, ou à la prodigalité inépuisable de l’Etat providence. Sur ce plan, la période actuelle a certainement accru la confusion, puisque les Français ont vu les Etats distribuer à foison des milliards d’euros. Pourquoi, penseront certains, ce qui est fait aujourd’hui, n’a-t-il pas été fait hier et pourquoi ne pourrait-il pas être fait demain ? La culture économique n’est pas le point fort des Français et il va être difficile d’expliquer, au sortir de la crise, qu’il n’y a pas d’argent magique.

C’est à ce point qu’une opposition et des syndicats responsables (comme les y invite Eric Le Boucher dans une excellente chronique des Echos du 17 avril), pourraient éviter d’entretenir des illusions, sans se priver pour autant de jouer leur rôle d’opposants politiques responsables ou de contestation sociale. Mais, sur ce plan rien n’incite à l’optimisme. La droite républicaine n’a plus de boussole économique et une bonne partie de ses leaders est tentée par le dirigisme et un retour à l’étatisme, la gauche de gouvernement n’existe plus et s’est vendue corps et biens à la gauche radicale. Du côté syndical, la CGT fait de la surenchère et paraît tentée par une politique de la terre brûlée en cherchant dans la crise un adjuvant à la conflictualité. Cette situation politique offre un contraste saisissant avec le paysage allemand où l’unité prévaut : la droite et le SPD ont mis en sommeil leurs divisions et même les Verts adhérent à l’atmosphère de concorde nationale pour faire face à la crise et réagir collectivement. Emmanuel Marcon, lui, est terriblement seul et il ne fait aucun doute qu’il fera face rapidement à une opposition virulente.

Dans ces conditions, il lui faudra beaucoup de courage politique pour dire la vérité aux Français, c’est-à-dire que cette crise aura un coût élevé dont il faudra partager le poids équitablement, avant un éventuel rebond. L’opposition politique et syndicale ne l’aidera certainement à faire passer ce message et l’opinion elle-même, avec le souvenir encore vivace de la crise des gilets jaunes et de la contestation de la réforme des retraites y sera peu réceptive. Des jours très difficiles se préparent pour le pouvoir en place, mais aussi pour la société française dans son ensemble.