Espagne: le bipartisme est de retour edit
Observateurs et candidats avaient voulu faire du scrutin municipal et régional du 28 mai le premier tour des élections générales espagnoles. Pedro Sánchez, le président du gouvernement de coalition, l’a confirmé en procédant à la dissolution des chambres et en convoquant des élections générales pour le dimanche 23 juillet prochain. Alors que l’ensemble des commentaires allait analyser la défaite des socialistes et se demander dans quelle mesure elle était celle du président Sánchez, celui-ci, dans un coup audacieux qui est sa marque de fabrique, modifie en quelques instants le climat post-électoral et lance une campagne qui s’annonce frénétique.
En perdant le gouvernement de cinq régions (Communauté de Valence, Aragon, Baléares, Estrémadure, La Rioja), et en perdant des villes symboles comme Séville, Valence et Valladolid, le PSOE sort essoré du scrutin de dimanche. Il perd aussi ses positions en Cantabrie et sans doute aux Canaries où il était en soutien à des partis régionalistes. À Madrid, le PSOE est à nouveau humilié dans les urnes par la présidente populaire Isabel Díaz Ayuso pour la région et par le maire José Luis Almeida pour la ville. Le bilan de la soirée est très mauvais. Perdre les gouvernements régionaux et les municipalités c’est perdre une administration où nommer des militants et des budgets d’où conduire des politiques publiques mais aussi fidéliser un électorat. Le PSOE est en position de grande faiblesse, tandis que le Parti Populaire a le vent dans les voiles…
La déroute de l’extrême gauche, menace pour le PSOE
Le bilan « comptable » des élections a tous les aspects d’une déroute. Mais une approche quantitative – celle qui a mené Sánchez à dissoudre le Parlement – montre que les choses sont plus équilibrées qu’il n’y paraît.
Résultats en voix des élections municipales
Comme on peut le lire dans le tableau, la perte en voix du PSOE n’est pas dramatique, ni, en apparence celle des extrêmes gauches. Vox a su mobiliser son électorat national tandis que le PP a récupéré à son profit les électeurs centristes orphelins de C’s. À l’évidence, une érosion des partis au pouvoir à Madrid et une forte mobilisation de l’électorat de droite expliquent le résultat du scrutin du 28 mai.
Le rapport de force entre la gauche et la droite s’établit à 35% contre 40%. Cette lecture très sommaire des résultats est celle de Pedro Sánchez et explique le choix de précipiter la confrontation ultime au 23 juillet. Le match n’est pas encore plié.
Pourtant, l’impression de déroute est inévitable. Les gauches radicales, que Podemos avait su un temps unir, se sont divisées et si leur poids général recule faiblement en apparence, les effets de la division sont désastreux pour elles. À Madrid, Podemos est éliminé du Parlement régional et de la municipalité en ne franchissant pas la barre des 5% (4,7% contre 7,2% en 2021). Même chose en Aragon (4% contre 8% en 2019) et à Valence (3,5% contre 8% en 2019). Ce faisant, le système proportionnel d’Hondt provoque une prime au parti arrivé en tête (à chaque fois le PP). Les divisions de la gauche et l’affaiblissement de Podemos expliquent le désastre de la perte de cinq régions et de très nombreuses mairies (la défaite du maire de Cadix, un Podemos historique, est emblématique de ce mouvement. Il passe de 44% des voix en 2019 à 19,5% !). À Barcelone, l’icône de la gauche associative et radicale, Ada Colau ne fera pas de troisième mandat après être arrivée troisième derrière les nationalistes de centre-droit (X. Trias) et les socialistes (J. Collboni).
Les socialistes peuvent se consoler : dans la communauté de Valence, ils progressent de 4 points (de 24 à 28%), en Castille-la Manche, de 1 point (de 44 à 45%) et même dans la région de Madrid, ils gagnent 1,5 points. Ils reculent sensiblement aux municipales en Andalousie (33% contre 37%), en Aragon (29,7% contre 32,7%), en Castille-Léon (31,2% contre 33,2%) mais progressent en Catalogne (23,7% contre 22%).
Le PSOE n’est pas à terre. Il est blessé mais dispose d’un socle électoral conséquent. En revanche, les divisions intestines de la gauche radicale plombent ses perspectives prochaines. En 2015, Podemos rêvait de dépasser le PSOE. Huit ans après, le PSOE a réussi une « NUPES à l’envers » en affaiblissant son concurrent direct. Aujourd’hui, la seule alternative crédible à la droite est le PSOE. Il n’y a pas d’autre vote possible pour les progressistes et les sociaux-démocrates.
Le Parti Populaire aux portes du pouvoir
La droite populaire est-elle conditionnée par la droite populiste ? La question, qui n’est pas qu’espagnole, est cruciale pour comprendre le prochain cycle politique. Certes le PP a besoin du soutien de VOX pour gouverner les communautés autonomes et les municipalités reprises ou conquises à la gauche. Sauf à Madrid où l’habileté de Isabel Díaz Ayuso est telle qu’elle a marginalisé VOX en rompant avec eux il y a plus de trois mois, en cannibalisant leur campagne et en offrant au PP une majorité absolue qui permet à ce parti de gouverner la région capitale depuis 1995 sans interruption (région la plus riche d’Espagne à ce jour, 21% du PIB). En Andalousie, le président populaire Juanma Moreno Bonilla avait obtenu une majorité absolue en 2022.
Le leader national du PP, Alberto Nuñez Feijóo, ancien président de la Galice entre 2009 et 2022, entend recentrer le PP. Le scrutin du 28 mai lui donne un premier succès : il a réussi à capter la quasi-totalité du vote centriste de Ciudadanos. Mais la suite des opérations s’annonce compliquée. VOX entretient avec le PP de mauvaises relations. N’oublions jamais que ce parti est né d’une scission du PP et qu’il en garde une forme d’agressivité à l’égard de ce qui fut la maison-mère. Les dirigeants de VOX savent aussi leur force – capitaliser l’émotion et la colère – et leur faiblesse – le rejet qu’ils suscitent, la méfiance qu’ils génèrent au moment de leur confier le gouvernement. Les campagnes électorales réussissent à VOX car sa dimension tribunitienne fonctionne alors à plein. Surtout si les adversaires, comme ce fut le cas cette fois-ci, commettent des erreurs énormes : ainsi Bildu, le parti politique indépendantiste basque proche de l’ETA, a présenté 44 anciens terroristes sur ses listes pour les municipales dont 7 condamnés pour crimes. Il était facile de dénoncer la complicité et la duplicité du PSOE qui accepte, au Parlement, les voix des députés de Bildu. VOX alimente un « antisanchisme » qui mobilise la droite. Mais nourrit-il un programme, voire un imaginaire politique ? À cet égard, comment ne pas être frappé par la pauvreté symbolique de celui-ci qui semble nourrir une nostalgie du franquisme, pendant de l’obsession antifranquiste de la gauche ! De ce côté-là, force est de reconnaître que la mobilisation mémorielle avantage la gauche au détriment d’une droite populiste, assez bête pour tomber dans le piège.
Comment, pour le PP, gouverner avec VOX mais sans céder à sa pression culturelle et idéologique ? Telle est l’équation que Nuñez Feijóo doit résoudre. Pedro Sánchez vient de lui ôter le temps nécessaire à cette résolution. La campagne nationale va coïncider avec les négociations locales entre PP et VOX. Tout accord sera utilisé par le PSOE contre le PP pour mobiliser son électorat.
Toutefois, la puissance acquise le 28 mai par le Parti Populaire (il est en tête dans 17 des 20 plus grandes villes d’Espagne ; il gouvernera vraisemblablement dans 10 des 17 communautés autonomes) est évidente. L’élan pris lors de ce que le PP a présenté comme le premier tour des élections générales constitue un avantage majeur… mais pas décisif.
Une campagne décisive
En dissolvant le Parlement au matin du 29 mai, Pedro Sánchez a, une fois encore, surpris tout le monde par son sens tactique. Il ouvre la campagne au lieu de laisser le temps au bilan de celle qui s’achève. Il neutralise les critiques internes au sein du PSOE – elles existent – et oblige le parti à marcher derrière lui. Il acte la fin du gouvernement de coalition avec Podemos espérant se faire, le temps d’une campagne, une virginité politique dont il a bien besoin et abandonne l’extrême gauche à son sort. Le PSOE est désormais en mesure d’être pleinement hégémonique à gauche. Et même s’il devait perdre le pouvoir, il aurait alors sauvé le PSOE en tant que parti et donc le placerait en position idéale pour l’alternance suivante. D’ailleurs, rien n’est plus frappant que la lente restauration du bipartisme en Espagne. En 2015, on le croyait mort. Il est redevenu la logique principale du système.
La campagne va être extrêmement crispée et à nouveau très personnalisée. Sánchez mettra en avant sa dimension présidentielle (qui plus est l’Espagne exerce, à partir du 1er juillet, la présidence de l’UE) et cherchera à minorer Alberto Nuñez Feijóo qu’il présente comme un leader à peine capable d’aller au-delà de sa Galice natale. Santiago Abascal, le leader de VOX, sait que du résultat dépend son avenir : déterminant, il donnera à son parti la dimension gouvernementale qui lui manque ; sinon il devra soutenir un gouvernement minoritaire du PP du seul fait qu’il ne peut permettre à la gauche de gouverner. Pour le PP et son leader, il faut le 23 juillet obtenir au minimum 140 députés (la majorité absolue est à 175) pour être en position favorable. En extrapolant les résultats du 28 mai, cette barre est franchie (142) mais c’est sans compter sur la campagne et ses effets.
Enfin, dernier élément de suspense : tant en 2015 et 2016 qu’en 2019, il avait fallu répéter les élections, les premières n’ayant pas permis de dégager des majorités parlementaires viables. Rien ne dit que 2023 échappera à cette règle. Or, si d’aventure ce scénario se reproduisait, qui exercerait les fonctions de chef de gouvernement ? Pedro Sánchez… avec tout ce que cela donne comme avantage médiatique et politique.
Deux mois d’intense activité politique nous attendent en Espagne. Les jeux sont faits… rien ne va plus !
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