Crise de la démocratie locale: osons la médiation! edit
La France se fracture, la France se divise. Au fil des années, les écarts se sont creusés, les incompréhensions ont grandi, le décalage entre les citoyens, en général, et les personnes qui exercent des fonctions à responsabilité, en particulier, s’est accentué. Un climat de défiance à l’encontre de la parole publique, des responsables politiques et des autorités, voire des institutions se propage durablement, dangereusement. Ainsi, de plus en plus d’élus locaux se retrouvent en situation délicate, subissent des incivilités, des menaces et des agressions.
Le baromètre 2024 de la confiance politique[1] est, à ce sujet, on ne peut plus clair : outre un pessimisme affiché et une défiance généralisée, les Français expriment le sentiment que le système politique et social est injuste. Aujourd’hui, 70% des personnes interrogées affirment ne plus faire confiance à la politique, 68% estiment que l'actuel modèle démocratique ne fonctionne pas bien et 81% considèrent que les responsables politiques ne se préoccupent pas de leurs problèmes... Éloquent ! Et, même si pour 60% des Français le maire reste, en 2024, la personnalité élue préférée, nous devons toutefois observer que cette confiance ne cesse, inexorablement, de diminuer au fil des années.
Un recours utile, impartial et neutre
La crise de la représentation politique est donc très profonde. De plus en plus de citoyens ne se considèrent bien représentés que par eux-mêmes. Cette crise de la verticalité doit nous inviter à innover en matière de démocratie locale et nécessite de travailler, non seulement sur ses conséquences qui abîment le dialogue et la concorde, mais également sur ses causes qui conduisent à cette situation alarmante.
C’est dans ce contexte que, en tant que médiateurs institutionnels des villes de Marseille et de Paris, nous pensons que les collectivités locales doivent se saisir des modes amiables de résolution des différends et, en particulier, du rôle que peut jouer cette médiation institutionnelle en leur sein.
Aux fonctions qui sont les nôtres, à Paris comme à Marseille, nous voyons bien que la médiation obtient des résultats tangibles. Elle constitue un recours utile face à la colère, l’insatisfaction, l’incompréhension ou encore l’absence de réponse si mal vécue par nos concitoyens. C’est un recours pour des publics souvent vulnérables, des personnes très éloignées de la chose publique, des citoyens circonspects face aux édiles ou aux administrations. En effet, pouvoir compter sur un tiers, impartial et neutre, permet à l’administré d’être plus libre dans son expression et d’être partie prenante de son différend, acteur dans la construction de solutions.
Un dialogue d’égal à égal
La médiation institutionnelle permet également à l’administration de renouer le dialogue, de conjuguer égalité et équité auprès de tous les publics. Elle permet aussi d’enrichir pour les élus leur connaissance des difficultés rencontrées par leurs administrés. Ce baromètre en temps réel du ressenti de la population est essentiel.
Plus encore que la résolution des litiges individuels, les médiateurs territoriaux contribuent à identifier les difficultés structurelles à l’origine des saisines. Dans leurs rapports d’activité, ils préconisent des évolutions de règles ou de pratiques pour remédier à ces difficultés. Depuis la loi du 27 décembre 2019, relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, ces rapports sont publics et transmis à l’organe délibérant de la collectivité auprès de laquelle le médiateur exerce ainsi qu’à la Défenseure des droits.
Personnalité qualifiée et indépendante, le médiateur institutionnel pratique une écoute bienveillante. Son intervention consiste principalement à faire naître, par un dialogue contradictoire et l’analyse objective des situations, un accord librement consenti entre des parties opposées dans un rapport de force dissymétrique.
Cet art du dialogue d’égal à égal ne peut se réduire à une procédure et reconnaît pleinement l’individu, le citoyen là où l’administration a tendance à ne voir que des administrés ou, au mieux, des usagers. Parfois révélateurs de problèmes jamais exprimés, les cas qui nous sont soumis sont des signaux à prendre en compte pour ne pas créer de frustration ou de découragement.
Un outil de démocratie locale
Il est absolument nécessaire que soit mieux accueillie la parole des citoyens et, tout particulièrement, de ceux qui subissent les effets de la triple fracture sociale, culturelle et numérique. En ce sens, la médiation institutionnelle est un véritable outil de démocratie locale. Elle est aussi un outil de transformation continue du service public et de son amélioration.
Les citoyens ont le sentiment de ne plus être écoutés. Alors, réhumaniser l’administration doit être une priorité démocratique ! La médiation territoriale y contribue. Rencontrer une personne, c’est 50% de la résolution de son problème, car elle se sent reconnue en face de quelqu’un qui l’écoute, dans le cadre d’un échange attentif, respectueux et constructif. C’est l’apaisement des tensions et des conflits qui est recherché. Pour le bénéfice de tous, chaque partie en sort grandie.
À Paris, le choix a été fait de recourir à des représentants bénévoles du médiateur pour proposer un contact de proximité dans chaque arrondissement. La Ville de Marseille met actuellement en place un dispositif similaire, tout comme à Bordeaux et à Bourges, et ce, afin de démultiplier le temps d’écoute et de faciliter l'accès des citoyens à leurs droits.
Un créateur de lien social
Une autre de nos missions est celle d’alerter les pouvoirs publics sur l’injustice que peut entraîner l’application sans discernement d’un texte, très confidentiel parfois, à l’écriture quelquefois aride, et qui, de fait, met le citoyen dans la situation « du pot de terre contre le pot de fer ». Créateur de lien social, le médiateur est aussi, à sa façon, traducteur de notices administratives ou juridiques parfois difficilement compréhensibles.
En émettant des recommandations, des propositions de réformes réglementaires et de pratiques à destination de l’administration et de l’exécutif territorial, le médiateur institutionnel agit en acteur de la vie démocratique. Sa boussole : accompagner, épauler, orienter ou réorienter les personnes, contribuer à la construction de solutions partagées puis formuler aux administrations des préconisations d’amélioration et de modernisation du service rendu aux usagers. En bref, il s’agit de réconcilier les citoyens et les pouvoirs publics et de réduire le fossé qui ne cesse de s’agrandir entre eux.
C’est sur le terrain des villes que cette médiation peut le mieux s’exprimer et se réaliser. La carte de France actuelle de la médiation institutionnelle illustre cependant le chemin qui reste à parcourir pour qu’elle trouve toute sa place au sein de nombreuses collectivités. La démocratie est une institution fragile qu’il faut entretenir pour que les citoyens puissent s’y retrouver et y adhérer. Alors, osons la médiation !
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[1] Étude Opinionway, février 2024, pour le Cevipof (Sciences Po).