Régulation financière : et si on regardait du côté de l’OMC edit

14 novembre 2008

Bretton Woods ou pas, l’enjeu de la réunion du G20 qui s’ouvre le 15 novembre est bien celui du multilatéralisme financier. Normes comptables, agences de notation, paradis fiscaux et réglementaires, coordination des superviseurs, marchés dérivés, hedge funds, codes de conduite, les sujets ne manquent pas. L’idée est de s’entendre sur quelques principes qui, espère-t-on, éloigneront le spectre d’une nouvelle crise financière à grande échelle. En admettant que les vingt grandes nations (ou tout autre nombre compris entre sept et vingt) s’entendent sur un « plus petit commun dénominateur » de la régulation, qui sera chargé de superviser les superviseurs nationaux ? Cette question n’est pas posée clairement aujourd’hui parce que la définition de règles communes paraît déjà un objectif extrêmement ambitieux. Il n’existe pas aujourd’hui d’institution pouvant jouer un rôle d’arbitre de la finance internationale, mais un tel arbitre existe bel et bien dans le domaine commercial.

De nombreux économistes pensent que le FMI devrait, avec le Forum de stabilité financière, occuper une place centrale dans le dispositif. Mais il s’agit de fixer les règles du jeu, éventuellement de « tirer la sonnette d’alarme », non de sanctionner tel ou tel comportement déviant. Or, la crise actuelle trouve en partie son origine dans une course au moins-disant réglementaire à laquelle se sont livrés des pays à forte spécialisation financière, essentiellement en s’abstenant de réglementer de nouvelles activités issues du contournement des réglementations existantes... S’attaquer, de manière coordonnée, à ces failles de la réglementation est certainement une bonne chose. Mais la réglementation étant coûteuse à court et moyen terme pour le secteur financier, les superviseurs nationaux pourraient être peu incités à faire du zèle dans leur mise en application.

Alors qu’il n’y a pas, aujourd’hui, d’institution pouvant réellement jouer un rôle d’arbitre de la finance internationale, un tel arbitre existe bel et bien dans le domaine commercial. C’est l’Organe de règlement des différends (ORD) de l’OMC. On s’est beaucoup gaussé de l’OMC, jeune institution impuissante à achever un Cycle dont le contenu n’avait de toute façon plus aucune importance avec la hausse des prix agricoles, et qui n’arrivait pas à convaincre les principaux pays en développement d’adhérer à ce « Cycle du développement ». Mais l’ORD ou, plus précisément, le mémorandum d'accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends, est un dispositif tout à fait unique dans le paysage de la coopération internationale. Quel en est le fonctionnement ?

Les pays membres de l’OMC se sont constitués en Club de membres ayant de bonnes pratiques. Tout membre peut s’élever contre les mauvaises pratiques d’un autre membre. La question de la participation est ici centrale : seuls les membres du Club peuvent se plaindre et ce sont aussi les seuls susceptibles d’être poursuivis. Le Club n’impose donc pas ses normes et sa discipline à ceux qui n’en sont pas membres. Même si une masse critique est nécessaire pour que le Club fonctionne, ce sont les vertus du système qui doivent attirer de nouveaux membres. C’est ce qui s’est passé dans le domaine du commerce puisque l’OMC compte aujourd’hui 150 membres, contre seulement 23 signataires du GATT en 1947 – à peine plus que notre fameux G20.

Quand l’un des membres du Club considère qu’une action d’un autre lui porte préjudice et s’écarte des principes généraux de transparence, de traitement national et de non discrimination, il peut engager une procédure. Dans le cas Airbus-Boeing, par exemple, chaque partie a porté devant l’ORD ce qu’elle considère être des pratiques anti-concurrentielles mettant en cause la viabilité de ses propres productions aéronautiques. Ainsi, l’Union européenne a incriminé des subventions, des crédits d’impôts, des marchés de la NASA, tandis que les Etats-Unis se sont plaints des aides publiques européennes au secteur.

Bien que la plainte soit déposée par un membre, plusieurs membres déposent souvent des plaintes sur un même sujet contre un même membre, et chaque plaignant peut de surcroît être rejoint par des tierces parties se sentant également concernées (cela a été le cas par exemple pour les aéronefs).

Avant la création de l’OMC, en 1995, les plaintes débouchaient rarement faute de calendrier contraignant et parce que l’éventuelle sanction devait être prise par consensus entre les membres. Depuis 1995, des règles précises existent pour traiter chaque procédure, assorties d’un calendrier, de sanctions et de possibilités d’appel. La sanction (il faudrait maintenant un consensus pour la rejeter) n’est toutefois pas le but poursuivi, puisque les consultations menées pendant le traitement du cas permettent de régler le différend dans plus de la moitié des cas. Et surtout, si les consultations n’aboutissent pas, l’objectif est le retrait de la mesure. La sanction n’est envisagée que si la mesure n’est pas retirée ou si son retrait ne peut être envisagé qu’après un long délai.

En pratique, l’ORD constitue des groupes spéciaux remettant des rapports qui sont adoptés et tranchent les différends. Les groupes spéciaux sont composés « de personnes très qualifiées ayant ou non des attaches avec des administrations nationales » et « choisi(e)s de façon à assurer l'indépendance des membres » (art. 8 .1 et 8.2). Aucun ressortissant d’un pays membre partie à un différend ne peut être membre de ce groupe (art. 8.3).

De tels principes pourraient-ils s’appliquer au domaine de la finance et à la préservation de la stabilité globale du système financier ? La faible représentativité du Forum de stabilité financière, organisé autour des pays du G7, devient une force s’il s’agit de créer un club ouvert de pays s’engageant à respecter un code de conduite et de lui adjoindre un ORD-finance, sur le modèle de l’ORD-commerce. Un membre du club pourrait alors porter plainte contre un autre membre qui ne respecterait pas certains engagements (par exemple, dans le domaine des produits titrisés), introduisant de ce fait une distorsion de concurrence et un risque systémique. La sanction éventuelle ne serait pas forcément financière. Et comme pour le commerce, l’objectif est seulement d’éliminer le comportement déviant. Sans une institution indépendante du type ORD-finance, il y a peu de chances que les contrevenants à d’éventuels principes de bonne conduite soient jamais inquiétés, sauf à faire entièrement confiance à la « pression des pairs ». Charger le FMI de ce travail serait sans doute une erreur car le Fonds, qui a vocation à apporter des financements d’urgence, aura toujours du mal à sanctionner un important bailleur de fonds.

Après les centaines de milliards de dollars consacrées au sauvetage des banques, la re-nationalisation partielle du système y compris dans les pays les plus libéraux, l’effondrement des bourses, l’intervention directe de l’Etat dans la distribution du crédit, la convergence rapide des taux d’intérêt vers le bas, les annonces de plans de relance parfois massifs (en Chine), on ne nous reprochera pas d’avancer des idées iconoclastes pour soigner la finance mondiale.