Gaz et pétrole: quelles pertes de revenu pour la France? edit

14 février 2023

La hausse des prix du pétrole et du gaz naturel a commencé avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie : en 2021, les prix ont d’abord rattrapé leurs niveaux de 2019, en lien avec la sortie de la crise sanitaire, avant de les dépasser en fin d’année. Mais c’est en 2022 que la hausse a été la plus spectaculaire : en août 2022, le prix de marché du gaz sur le marché néerlandais (« TTF ») a atteint 350 €/MWh, contre 45 €/MWh un an plus tôt. Il est depuis redescendu de ses sommets, et en janvier 2023, le gaz s’échangeait sur les marchés quasiment au même prix qu’en août 2021. Pendant ce temps, le prix du pétrole a connu une évolution similaire, bien que de moindre ampleur.

Cette volatilité extrême ne doit cependant pas occulter le fait qu’en moyenne sur l’année 2022, la France, comme ses partenaires européens, a dû importer du gaz et du pétrole à des prix très supérieurs à leurs niveaux d’avant : le prix du gaz importé a été multiplié par sept en moyenne entre 2019 et 2022, et le prix du pétrole a, de son côté, augmenté de 80%. En payant plus cher l’énergie qu’elle importe, la nation française s’est appauvrie dans son ensemble. De combien ?

Pour calculer la perte directement liée au renchérissement des énergies importées, il suffit de multiplier la hausse des prix par les volumes importés en 2019. Selon nos calculs, on obtient une perte directe de l’ordre de 82 Md€, soit plus de 3 points de PIB. Si l’on prend en compte la baisse des volumes importés, la perte est plutôt d’environ 2,5 points de PIB, selon les données des Douanes. Ces montants sont très importants. Ils représentent par exemple l’équivalent de ce que l’impôt sur les sociétés rapporte chaque année à l’Etat. Cet argent n’est plus utilisable dans notre pays car il a été transféré aux pays exportateurs d’hydrocarbures. Qui a supporté la perte ?

En l’absence d’intervention publique, la perte aurait été proportionnelle à la consommation d’énergies fossiles de chacun : environ 59 % de la perte globale aurait été supportée par les entreprises, 37% par les ménages et 4% seulement par les administrations publiques – État, secteur social et collectivités territoriales. Toutefois, la plupart des ménages et des entreprises n’ont pas vu leurs factures bondir dans les mêmes proportions que la facture énergétique de la France : à travers le blocage des tarifs réglementés, la remise carburant, la revalorisation anticipée des retraites et prestations sociales, les différents chèques énergie et autres mesures de soutien, l’État a pris à sa charge 52% de la perte, en laissant 42% aux entreprises et seulement 6% aux ménages.

Cette estimation est « brute » au sens où le coût pour les finances publiques (40 Md€ dans notre estimation) a, par exemple, été en partie compensé par des recettes liées à la Contribution au service public de l’électricité. Nous n’avons retenu dans cette estimation que les mesures décidées par le gouvernement pour amortir l’impact de la crise énergétique, et non l’évolution automatique des recettes et des dépenses en fonction des barèmes, de l’activité et de l’inflation. L’estimation ne prend pas non plus en compte le fait que beaucoup d’entreprises ont bénéficié en 2022 de prix fixes liés à leurs contrats ou à des couvertures sur les marchés dérivés.

La partie de ping-pong a commencé

Naturellement, on ne va pas en rester là. En effet, il s’agit ici du choc initial, avant tout ajustement de la part des entreprises et des ménages. Or les entreprises ont commencé à répercuter le renchérissement de leurs coûts dans leurs prix de vente, ce qui déplace la charge vers les ménages et vers leurs clients étrangers. En retour, les ménages ont vu leurs salaires commencer à augmenter en 2022, ce qui ramène la charge vers les entreprises. Difficile de prédire comment se terminera le match : comment la perte sera répartie entre ménages et entreprises.

Mais ce n’est pas tout. Si les mesures de soutien déployées ont permis d’amortir l’impact de la crise énergétique en 2022, elles sont coûteuses pour les finances publiques. La hausse de l’endettement fait en partie peser l’alourdissement de la facture énergétique sur les générations futures. Ce n’est pas tenable ni souhaitable dans la durée.

La France étant importatrice nette d’hydrocarbures, la hausse du prix du gaz et du pétrole entraîne mécaniquement une perte de pouvoir d’achat global pour la nation. À moins de se passer entièrement des énergies fossiles, cette perte est inévitable, puisque de la France ne peut pas décider des cours internationaux des hydrocarbures. En revanche, l’État a un rôle clé pour répartir la perte de manière à en limiter l’impact aussi bien sur l’économie dans son ensemble (PIB, emploi, pouvoir d’achat, investissement) que pour protéger les plus vulnérables, au travers notamment des clauses d’indexation du Smic et des minima sociaux ainsi que des aides ciblées aux entreprises.

Le repli espéré des prix en 2023 devrait atténuer le choc sur le pouvoir d’achat du pays. Par ailleurs, côté volumes, la France a entamé une diminution de sa consommation d’énergie, de gaz notamment, à cause de la pression des prix mais aussi à travers des efforts en termes de sobriété. Un allègement de la facture énergétique de la France en 2023 faciliterait le retrait progressif des mesures de soutien, avec à la clé une répartition plus équilibrée de la perte entre l’Etat, les entreprises et les ménages, et une meilleure prise en compte des « vrais » prix de l’énergie dans les décisions des consommateurs, l’État concentrant son soutien sur les ménages et entreprises les plus vulnérables.