Euro: comment éviter la catastrophe? edit

11 juin 2012

L’introduction d’un dispositif de type euro-obligation (ou eurobond), qui mutualiserait tout ou partie des dettes publiques de la zone euro  et en garantirait le remboursement, se heurte  à trois difficultés majeures, difficilement surmontables à court terme : (1) la solidarité entre Etats-membres implique une co-décision des politiques nationales, donc une forme intégration politique ; (2) une telle initiative suppose de modifier non seulement le traité européen (et sa règle de non-renflouement d’un Etat par ses partenaires), mais aussi les constitutions nationales (pour intégrer le niveau européen en matière décisionnelle et de solidarité) ; (3) le niveau de confiance entre Etats-membres est probablement trop faible aujourd’hui pour qu’une solidarité puisse s’exercer à grande échelle. Pour les opposants à l’euro-obligation, la mutualisation des dettes reviendrait à récompenser les mauvais élèves et à encourager les comportements dispendieux.

Cependant, ne rien proposer à court terme risque d’aboutir tout simplement à l’éclatement de la zone euro. Le Conseil des Sages allemands en a pris conscience en proposant la création d’un « fonds d’amortissement » des dettes souveraines. L’idée est de mutualiser progressivement la partie des dettes souveraines en excès par rapport à la norme de 60% du PIB. Le remboursement de ces dettes serait sécurisé par le fléchage de recettes fiscales nationales et la mise en garantie d’actifs publics. Les dettes émises par le fonds pour le compte des Etats seraient alors garanties solidairement, c’est-à-dire qu’en cas de défaillance d’un Etat-membre les autres Etats se substitueraient pour servir sa part de la dette. S’il fonctionne, ce système contribuerait à rétablir la confiance entre les Etats-membres, facilitant ultérieurement la mise en place d’une Europe fédérale. Néanmoins, outre les problèmes profilage (seuil de dette, rythme de remboursement…), la création d’un fonds de remboursement ne réglerait probablement la question du refinancement de certains Etats à court terme. Face à un surendettement global, sécuriser une partie de la dette déplacerait le risque vers la partie non-sécurisée, laquelle deviendrait plus difficile à placer sur le marché.

Une autre proposition, émanant elle aussi  d’Allemagne, consiste à créer non pas des euro-obligations, mais des obligations synthétiques, sortes de paniers d’obligations publiques nationales. Un fonds serait créé avec pour mission d’acheter, sur le marché, des obligations nationales, en proportion du poids de chaque Etat-membre dans l’économie de la zone euro, puis de revendre par lots ces obligations, sous la forme d’une obligation synthétique qui serait un panier de ces différentes obligations nationales. Simple intermédiaire, le Fonds n’aurait pas besoin de financements publics. En cas de défaut d’un Etat-membre, la perte serait répercutée sur l’obligation synthétique. Il n’y aurait donc aucune mutualisation du risque. Néanmoins, l’obligation synthétique serait par construction moins risquée qu’une obligation grecque ou espagnole. Ce risque faible permettrait de garantir son refinancement auprès de la BCE, laquelle pourrait de surcroît encourager son développement par un traitement favorable lors des opérations de refinancement. Le développement de cette obligation synthétique irait en effet dans l’intérêt de la BCE en permettant une diversification progressivement du risque souverain dans les bilans bancaires. Peu exigeante en termes institutionnels et politiques, cette solution pourrait être mise en place rapidement. Mais elle ne résoudrait toujours pas le problème de surendettement de certains Etats.

Une idée serait alors de combiner obligation synthétique, fonds d’amortissement et restructuration de certaines dettes pour faire disparaître du marché les obligations souveraines nationales telles que nous les connaissons aujourd’hui. En-dessous de 60% du PIB, les obligations nationales seraient combinées dans les obligations synthétiques, selon une clé de répartition fonction du stock de dette existant (certains pays affichant encore une dette inférieure à 60% du PIB) ; au-delà, elles entreraient dans le fonds d’amortissement. Sur le marché ne s’échangeraient alors plus que deux sortes de titres : des titres synthétiques (sans garantie mutuelle) et des titres du fonds d’amortissement (avec garantie mutuelle), ces deux types d’actifs pouvant être refinancés auprès de la BCE. Les Etats-membres auraient interdiction d’émettre des titres de dette en-dehors de ces deux dispositifset la BCE n’accepterait plus les titres nationaux en collatéral des refinancements bancaires. L’interdiction des émissions nationales se substituerait favorablement à la surveillance a posteriori opérée par le pacte de stabilité, qui a prouvé son inefficacité. Elle suppose cependant de mettre en place des mécanismes de flexibilité, fonction de la conjoncture, sur le rythme de réduction des dettes incluses dans le fonds d’amortissement. On peut aussi imaginer que le Mécanisme européen de stabilité soit utilisé pour financer temporairement un pays soumis à un choc spécifique, sous conditionnalité stricte.

Le taux d’intérêt appliqué à chaque Etat-membre serait égal au taux de l’euro-obligation modulé en fonction de  l’endettement total de l’Etat considéré. Cela permettrait de maintenir des écarts de taux d’intérêt entre Etats emprunteur sans avoir à subir les paniques du marché dans ce domaine.

La mutualisation d’une partie des dettes au sein du fonds d’amortissement reviendrait à offrir aux détenteurs de titres troublés d’échanger ces derniers contre des obligations beaucoup plus sûres. Logiquement, cet échange devrait se faire avec une décote sur la valeur faciale des titres, laquelle pourrait être appliquée au fur et à mesure du basculement des dettes dans le nouveau système, à l’échéance des titres ou bien en cours de maturité. Elle permettrait de l’endettement excessif de certains pays et ainsi de rendre le dispositif crédible. Quant au fonds émettant l’obligation synthétique, il acquerrait initialement les titres nationaux au prix du marché (avec éventuellement des décotes), puis refinancerait les Etats à l’émission.

A l’issue du processus, le risque souverain se trouverait mieux réparti dans le système bancaire européen, ce qui renforcerait sa résilience à un éventuel défaut souverain. Les risques de comportements opportunistes seraient atténués par la limite de 60% du PIB imposée aux pays pour participer à l’obligation synthétique, l’impossibilité, sauf crise grave, d’accroître la dette contenue dans le fonds de remboursement, les conditions associées à ce fonds, les spreads de taux d’intérêt et l’interdiction faite aux Etats d’émettre sur le marché des titres nationaux. Et la BCE pourrait devenir moins réticente à pratiquer, le cas échéant, un véritable assouplissement monétaire par acquisition d’un titre public « zone euro » qui pourrait préfigurer un futur Eurobond.