Irlande : pourquoi les marchés ne se calment pas edit

28 novembre 2010

Alors que l’Irlande a demandé l’aide européenne, les marchés ne se calment pas. Comment l’expliquer ? Cela tient en partie à des raisons propres à l’Irlande, mais également aux problèmes d’autres pays de la zone euro et, plus généralement, à la construction même de l’union monétaire. Les craintes qui se sont cristallisées avec l’appel au secours de l’Irlande portent davantage sur la façon dont la zone euro fait face à cette crise que sur les seules perspectives budgétaires d’un Etat représentant moins de 2% du PIB de la zone.

En Irlande, contrairement à la Grèce, ce ne sont pas des excès de dépenses publiques qui ont conduit à la crise, mais les difficultés du système bancaire. Dès le début de la crise financière, l’Etat irlandais a garanti presque toutes les dettes du secteur bancaire, ce qui représente plusieurs années de PIB. Ces garanties étaient sans conséquence tant que le risque ne se matérialisait pas. Mais les banques ont rapidement accumulé des pertes (notamment parce que de nombreux crédits immobiliers ne sont pas remboursés), et leur situation pourrait encore s’aggraver avec la détérioration de la conjoncture. C’est donc par ricochet, à travers les garanties publiques, que la soutenabilité des finances publiques irlandaises est aujourd’hui remise en question, suscitant la méfiance des investisseurs et probablement une impossibilité de se refinancer sur les marchés en 2011, lorsqu’une bonne partie de la dette actuelle viendra à échéance. L’Irlande a alors demandé et obtenu de bénéficier de l’aide combinée du Fonds européen de stabilisation et du Fonds monétaire international.

Or, non seulement cette décision ne semble pas avoir rassuré les marchés sur l’Irlande, mais l’anxiété a continué de se diffuser à d’autres pays périphériques - Portugal, Espagne. Cette fébrilité des marchés trouve son origine dans plusieurs facteurs.

Premièrement, la situation politique fragile de l’Irlande pourrait remettre en cause sa capacité à assurer un ajustement budgétaire très important. Deuxièmement, l'assainissement des finances publiques irlandaises pourrait être rendu encore plus difficile par une croissance faible, voire négative, résultant justement de la contraction budgétaire. Troisièmement (et c’est une conséquence des perspectives budgétaires incertaines), les marchés s’attendent, à plus ou moins longue échéance, à une restructuration de la dette publique irlandaise, avec à la clé des pertes pour tous les créanciers de ce pays. Enfin, ce qui est sans doute l’effet dominant, ces turbulences ont réveillé des craintes sur les finances publiques d’autres pays de la zone euro et, plus généralement, sur l’existence même de l’euro.

Les craintes portées aux finances d’autres pays de la zone euro ont trois origines : certains pays ont clairement un problème de finances publiques (déficit et dette trop élevés pour être soutenables au regard du coût du vieillissement notamment), d’autres ont un problème de compétitivité et donc de croissance (donc les fruits de leur croissance ne sont pas suffisamment élevés pour leur permettre de rembourser leurs dettes suffisamment vite), enfin certains ont des problèmes avec leur secteur bancaire, et comme les gouvernements ont (souvent) pris à leur charge les problèmes bancaires, ceux-ci se retrouvent sur leur bilan. Les trois pays aujourd’hui dans le cyclone – Irlande, Portugal, Espagne - présentent chacun au moins l’une de ces trois sources de non-soutenabilité. Tous trois ont une compétitivité qui s’est détériorée avec l’euro. En Espagne, comme en Irlande bien qu’à un moindre degré, le secteur bancaire est fragilisé par les conséquences de l’explosion du crédit dans les années pré-crise, la chute des prix immobiliers et la récession augmentant aujourd’hui les taux de non-remboursement. Au Portugal, c’est plutôt le manque de perspectives de croissance qui inquiète les marchés.

S’il est relativement aisé de repérer les problèmes budgétaires stricto sensu (à la grecque) ou de compétitivité (à la portugaise), il est beaucoup plus difficile d’évaluer les problèmes budgétaires issus des opérations de sauvetage des banques, parce que l’information détaillée sur la santé financière des banques n’est pas disponible (seuls les régulateurs nationaux y ont accès), mais aussi parce que les crises bancaires sont en partie auto-réalisantes : dans un pays perçu comme fragile, les banques ont du mal à se financer, ce qui affecte leur capacité à prêter aux entreprises et aux ménages ; la croissance se détériore, les prix de l’immobilier baissent, le taux de défaut des clients des banques augmente, le bilan des banques se détériorent, les marchés s’inquiètent encore davantage, etc. Comme les « tests de résistance » présentés cet été n’ont visiblement pas permis de détecter le risque bancaire irlandais, les craintes (justifiées ou non) sur la fiabilité du système espagnol se sont réveillées.

Dans ce contexte, les marchés se sont inquiétés de la solidité du plan de soutien européen : pourrait-il couvrir les besoins de financement de l’ensemble des pays de la périphérie, le temps qu’ils ajustent système bancaire et finances publiques ? Lorsque l’on cumule la capacité financière mise à disposition par le FMI avec celles proposées par les deux mécanismes européens (FESF et MESF), la puissance financière cumulée est suffisante pour couvrir les besoins connus des trois pays de la périphérie. Mais si une panique venait à saisir les marchés au-delà de ces trois pays, alors les financement viendraient à manquer.

Finalement, c’est moins la situation spécifique de l’Irlande que l’architecture de l’intégration européenne qui est en cause. La crise a démontré les insuffisances du Pacte de stabilité et de croissance en termes de surveillance, et ce point a d’ores et déjà été pris en compte par une révision majeure de la gouvernance européenne (voir notre article du 20 octobre sur Telos). Cependant il faut aussi penser à l’impensable : l’appartenance à la zone euro n’exclut pas l’éventualité d’un défaut souverain. C’est pourquoi les autorités européennes réfléchissent à un mécanisme de résolution des crises qui marcherait sur deux jambes : une jambe « sauvetage » (qui ressemblerait au mécanisme de soutien actuel) et une jambe de « restructuration » qui impliquerait le secteur privé. Le groupe de travail Van Rompuy est chargé de faire des propositions concrètes pour le prochain Conseil européen (16 décembre). D’ici là, l’incertitude sur les pertes à venir va continuer à inquiéter les marchés qui, incessamment, revoient dans un sens ou dans l’autre leurs hypothèses de travail, même si les Européens ont précisé qu’aucune dette émise avant 2013 ne serait restructurée (ce qui devrait de facto épargner les pays actuellement sous programme).

Pour vaincre la défiance des marchés, il est nécessaire non seulement de prouver la réalité des mécanismes de stabilisation mis en place il y a quelques mois, mais aussi de renforcer encore l’intégration européenne par une totale transparence des informations budgétaires et bancaires vis-à-vis des autorités européennes et, pour les Etats membres les plus fragiles, par une implication plus forte et plus rapide des partenaires européens dans la conduite de la politique économique. Cela impliquerait aujourd’hui d’obliger les régulateurs bancaires irlandais et espagnols à transmettre au niveau européen toutes les informations en sa possession sur les banques irlandaises et, dans le même temps, de permettre à la Commission européenne et à la BCE de réaliser à Lisbonne, à Madrid ou ailleurs des missions d’audit et de conseil, en amont d’une éventuelle demande d’aide auprès du fonds de stabilisation européen.