Le défi asiatique du développement durable edit

Nov. 7, 2007

La phase actuelle de réchauffement climatique coïncide avec l’émergence économique et industrielle de vastes régions en développement. Il en découle une querelle autour de plusieurs malthusianismes. De la taille des populations en émergence naît une inquiétude dans les économies développées, et avec elle une vision antagonique de l’accès aux ressources. Légitimée par le maintien pour tous d’un environnement global, elle recouvre parfois une conception asymétrique des efforts de chaque nation. Ce sont les émergents qui perturbent le monde. A cette approche répond assez directement la position inverse : la défense d’un ambigu « droit au développement », souvent promue par les plus riches des pays concernés. Le risque majeur, dans un système de négociations articulées sur les relations internationales, est l’oubli de la nécessaire réflexion sur la réinvention du développement.

On veut ici au contraire suggérer que, dans la situation présente, pragmatisme et vision écologique peuvent coïncider. Il y a intérêt à la collaboration entre nations développées et émergentes. Et ce pour une raison simple et objective : la situation démographique, technologique et financière du monde contemporain.

L’investissement environnemental le plus efficace doit être recherché en priorité là où les opportunités sont les plus fortes, où des nouvelles infrastructures se mettent en place pour le plus grand nombre, qui vont structurer à long terme la demande et donc l’empreinte énergétique de l’humanité. Or dans les décennies à venir, l’essentiel de la croissance et de l’accumulation du capital physique aura lieu dans le monde émergent.

Celui-ci vit en ce moment et pour quelques décennies sa « fenêtre d’opportunité démo-économique », c’est-à-dire une proportion d’actifs maximale pour une proportion de dépendants jeunes comme vieux minimale ; là se trouve l’essentiel de la population active mondiale aujourd’hui. Et la révolution technologique en cours favorise son essor. Plus qu’une menace, on peut y voir des opportunités environnementales et économiques, qui seront nécessairement communes.

C’est évident sur le plan environnemental, car nous avons conscience qu’il existe en bien des points un environnement « global » ; ce devrait l’être sur le plan économique, puisque le monde développé possède – pour le moment –  une bonne partie du stock de capital mondial, dont l’excès ne peut s’investir, hors spirale immobilière, que là où sont la force de travail et la demande mondiales ; ceci avec un niveau de rentabilité qui n’est plus à démontrer.

Comment mettre en œuvre cette communauté d’intérêts  ? Pour des raisons complémentaires, la Chine et l’Inde seront pour nous de précieux partenaires, au sens plein et mutuel du terme.

L’environnement chinois est plus dégradé que celui de son voisin. Pour continuer à se développer, la Chine doit trouver un nouveau modèle car elle a elle-même saturé les marchés mondiaux. Le pouvoir central sait que seule l’avenir passera par une politique de « croissance qualitative ». La Chine sait qu’elle risque sinon de ne pas utiliser au mieux sa fenêtre d’opportunité démo-économique, qui n’arrive qu’une fois dans l’histoire de chaque pays. Or la légitimité du parti communiste chinois est d’ordre économique : il est prêt à agir, il en possède le doigté, les finances. Et il le fait : la Chine aura en 2010, bien avant la France, sa première ville écologique, une ville nouvelle de 500 000 habitants, Dongtan.

À ce pragmatisme, les pays de l’OCDE doivent répondre par une vision : co-développer et cofinancer le processus. Le monde développé redoute cette évolution inédite ; à Dongtan, pourtant, ce sont des entreprises britanniques qui ont été associées et fournissent l’expertise.

L’exemple de l’Inde suggère plus encore que nous, entreprises et citoyens de l’OCDE, avons précisément tout à gagner à œuvrer avec eux.

Cent millions d’urbains supplémentaires sont attendus dans les 20 ans à venir, et 200 millions de ménages indiens auront partiellement renouvelé leur logement. Si les techniques et matériaux de la maison écologique sont aujourd’hui prohibitifs, c’est précisément cette masse, ces nouveaux marchés, qui permettront l’entrée de l’écologie dans l’ère industrielle en abaissant les coûts. C’est toujours le nombre qui permet à une révolution technique de se transformer en révolution industrielle. L’Asie est une chance unique de financer à moindre coût unitaire la « révolution industrielle écologique », et pour les pays de l’OCDE, leurs entreprises et leurs emplois, c’est une opportunité pour se positionner en bonne place. Voilà en tout cas la piste collective la plus sérieuse sur la baisse de la demande énergétique.

Bien sûr, il ne faut pas se leurrer : la Chine et l’Inde seront des économies charbon, c’est leur ressource principale. Cela va nous forcer à réduire la part non renouvelable de notre consommation énergétique. Le protocole de Kyoto reste essentiel mais sera insuffisant. Faut-il quand même persévérer dans le malthusianisme ? Non, au contraire. Pour une raison d’échelle, l’Asie est le lieu le plus rentable pour investir dans les techniques de charbon propre et le piégeage cher aux Américains, pour développer toutes les énergies renouvelables chères aux Européens, et en abaisser ainsi le coût industriel pour tous, citoyens et usagers, tout en maintenant la compétence technologique des entreprises grandes et moyennes de nos territoires. Les Etats font monter les enchères énergétiques mais les entreprises déjà montrent qu’elles savent collaborer – entre Chine et Inde ou encore au sein du triangle constitué de la Russie gazière, l’Inde du charbon, l’Europe nucléaire. Les entreprises indiennes réalisent une percée dans les énergies renouvelables, avec sur la scène mondiale, déjà, des coups de théâtre, et d’autres imminents…

Autre ressource, a priori locale, l’eau a un lien fort à la demande énergétique. L’Asie est en stress hydrique chronique, non parce qu’elle est trop peuplée, mais parce qu’elle utilise des systèmes dont l’esprit date de l’Europe du XIXe siècle : chercher de l’eau à des dizaines de kilomètres, puis retransporter encore cette eau usée et enfin la traiter complètement. La composante énergétique de cette eau est énorme. Combiner des ressources locales, des « cycles courts » (c’est-à-dire retraitement local et réutilisation), des usages différenciés, est non seulement possible au aujourd’hui mais sera plus économique pour tous – y compris pour les pays de l’OCDE – quand la masse de l’Asie émergente aura fait baisser les coûts.

Avantage de l’Inde démocratique, les exemples commencent à se multiplier. Les modèles des villes durables européennes se co-inventeront en Asie ; la question n’est plus que politique, mais c’est aussi à cela que servent les prix Nobel.