Cette opportune justice climatique, ou l’Inde ambiguë edit
L’Inde a montré, à l’approche de la COP21, une attitude bien moins ouverte que son voisin chinois. Elle a ainsi refusé de chiffrer la baisse de ses émissions. Son ministre de l’Environnement, Prakash Javadekar, admettant d’ailleurs que les priorités de son gouvernement concernaient d’abord l’accès à l’électricité et la réduction de la pauvreté, malgré le fait que 13 des 20 villes les polluées au monde sont localisées en Inde. Cela dit, la volonté de l’Inde de moderniser son industrie et d’accroître son potentiel énergétique a coïncidé avec des objectifs de développement durable, puisque l’Inde a tout de même l’ambition d’installer une capacité de 100GW de solaire d’ici 2022.
À l’enthousiasme de départ – la COP21 est « déjà un succès » se réjouit la délégation marocaine et les organisateurs pensent possible que chaque jour amène un progrès – le Premier ministre indien vient de souffler le froid en rappelant que « le monde riche doit prendre une plus grande responsabilité quant au changement climatique ». « La justice demande que les courbes de carbone ne doivent pas limiter les nations pauvres dans leur croissance ». Soyons sérieux, plus personne de réaliste ne l’envisage. Alors pourquoi sur-jouer le retour à Copenhague 2009 et à ses blocages ? Le collectif mondial n’aurait-il pas perçu depuis la voie d’une croissance verte ? Pas compris que ce sont justement les pays émergents croissant le plus vite qui sont les porteurs de changement du mix énergétique ? Tout le monde est pourtant venu à Paris avec cette conscience claire, cette idée nouvelle qu’il est en effet de l’intérêt commun d’avancer là où c’est le plus efficace. Alors pourquoi antagoniser ? Effet tactique de négociateur ? Ou risque réel de nouveau blocage. Arrêtons-nous sur le point clé et le plus dangereux pour les négociations : si peu comprennent les « courbes de carbone », le concept de « justice » invoqué par M. Modi prétend parler à chacun, qui tel le reçoit à sa manière...
De Narendra Modi à Xi Jinping en passant par le réseau panafricain PACJA (Pan African Climate Justice Alliance), le thème de la « justice climatique » fleurit. L’avantage de ce terme est que personne ne peut être ouvertement contre la justice. Ce qu’il recouvre ? De multiples choses, allant d’un radical déplacement technique du débat, à des visées géo-stratégiques de refonte du système international.
Manifestement, à l’approche de la COP21, qui veut accoucher d’accords techniques, le débat prend de la hauteur. À condition de savoir ce que chacun entend défendre.
Un bref état des lieux inclut la nécessaire prise en compte du financement de l’adaptation au changement climatique pour le groupe africain des négociateur à la COP21 avec l’inclusion des thématique de la forêt, de l’eau, de l’emploi des femmes, pour la délégation marocaine qui prépare déjà à Paris « sa » COP22. La ministre marocaine de l’environnement Hakima El Haite déclarait ainsi jeudi soir lors d’un dîner au Sénat français que la COP de 2016 serait la « COP de l’innovation » aux Sud et avec les Sud, innovation technique et sociale et que de ce point de vue l’une serait dans la « continuation directe de l’autre ». Entendre : la COP21 est priée de préparer le terrain dès cette année aux revendications des Sud, de ne pas se révéler une COP des Nord… À l’autre extrémité du spectre, une Chine qui se fait de plus en plus la championne des Sud dans une recomposition de la gouvernance mondiale –ses représentants déclaraient au Forum Medays de Tanger dernier des 12-14 novembre que « la Chine et l’Afrique sont des alliés y compris pour leur sécurité », puis d’égrener les sujets de coopération notamment dans l’énergie et dans le financement de l’accès aux énergies renouvelables. À l’heure où le fonds vert peine à se financer le message est clair.
Mais il est un pays qui a toujours hésité dans son positionnement international, qui à Copenhague a négocié avec l’Europe puis a opéré un revirement de dernière minute vers la Chine d’alors : l’Inde. Le pays rêve aujourd’hui de coopération internationale technologique avec l’Occident dans son programme pour attirer les industriels y compris dans les technologies vertes : le programme « Make in India » ; il a aussi fait de son sommet Inde-Afrique des 26-29 octobre 2015 un indéniable succès, avec l’énergie durable au centre… même si certains pays comme l’Éthiopie -aidée par la Chine- ont sur lui une avance.
Quand l’Afrique entend réduire la vulnérabilité des Etats les plus pauvres, quand la Chine entend rassurer sur son implication environnementale, que veut l’Inde dans sa « justice climatique » ? La position indienne ne semble pas dénuée de vision industrielle comme en témoigne un décryptage des positions prises ces derniers mois.
Durant son discours à l’occasion de la 70e session des Nations Unies fin septembre, Narendra Modi a mis en avant l’importance de l’accès juste à l’énergie, vieux thème opposé par l’Inde aux émetteurs historiques de CO2, et la volonté de l’Inde d’associer croissance et développement durable. Depuis quelques années, le gouvernement Modi encourageait déjà le « Make in India », en favorisant l’investissement étranger sur son sol. L’Inde a d’ailleurs gagné 16 places dans le classement du World Economic Forum en termes de compétitivité globale, passant de la 71e place en 2014 à la 55e place cette année. Aujourd’hui, le chef de file indien encourage surtout un « make green in India », se positionnant clairement dans la course aux technologies vertes.
Le séjour de Modi aux Etats Unis a, dans cette perspective, ciblé la rencontre des PDG des grandes entreprises telles que Facebook, Google, Apple et Microsoft, mais aussi de Tesla Motors, le 26 septembre. Bien plus que les luxueuses voitures électriques de l’Américain, ce sont des batteries Tesla PowerWall, conçues pour stocker l’énergie, et plus généralement d’efficacité des énergies renouvelables, que le Premier ministre et Elon Musk ont discuté.
Sachant que le gouvernement vise une capacité de 100 GW d’ici 2022, l’Inde a tout intérêt à attirer la compagnie américaine afin de commercialiser ses batteries, ou même de les produire sur son territoire, réduisant de ce fait leur coût relativement cher. Elles sont une solution innovante qui garantira l’accès à l’énergie dans les milieux ruraux et une liaison facile au réseau central.
L’horizon ambitieux que l’Inde a fixé pour ses programmes nationaux en termes d’énergie renouvelable, ne lui donne pas beaucoup de temps et l’oblige à redoubler d’efforts durant les prochaines années. Selon une étude de « Bridge to India », la capacité solaire installée aurait ainsi atteint 4,1 GW durant ces premier mois de 2015-2016. Loin de l’objectif très ambitieux de 100 GW, le marché solaire indien est cependant en constante évolution, et la politique du Premier ministre indien représente dans ce contexte un gain de temps d’investissement et une volonté de faire de l’Inde un eldorado pour les IDE du capitalisme vert.
Tesla n’est donc qu’une étape dans une longue démarche de recherche d’alliances : le 5 octobre, la visite de la chancelière allemande Angela Merkel à New Delhi a intensifié la volonté des deux pays de renforcer un partenariat sur le climat et les énergies renouvelables. L’un des principaux sujets discutés et qui a abouti à un accord entre les deux Etats concernait les facilités administratives que l’Inde consacrera aux industriels allemands pour investir dans le secteur des énergies renouvelables. L’Inde réussira-t-elle à convaincre les géants de l’industrie renouvelable de prendre part au « Make green in India » ?
Lors de son déplacement à Londres mi-novembre M. Modi a garanti le respect par son pays de la propriété intellectuelle (PI) ; lâche-t-il l’Afrique ? Non, car ceci va dans le sens de l’histoire puisque la déclaration du 5 novembre de Dakar pour la PI en Afrique, adoptée par les ministres africains en charge de la PI vient de marquer un nouveau pas vers le développement de la PI en Afrique (voir à ce sujet le rapport Henry, Ruet, Wemaere pour l’INPI français sur la PI comme moteur du développement durable). Laissera-t-elle tomber sa revendication que le fonds vert achète des brevets et les transfère gratuitement aux pays du Sud ? Rien n’est moins sûr.
L’enjeu réel, utilement habillé par le thème de la justice climatique, est bien pour l’Inde la capitalisation industrielle. Si elle a besoin d’alliés, elle ne perd pas de vue sa trajectoire technologique propre. Avec la COP21 les négociations entrent bien dans une nouvelle ère où les positions de chacun doivent être reconnues et appréciées. Il n’est pas sûr dès lors que le mot du Ministre des Affaires Étrangères français, appelant à des résultats rapides sans attendre le mythe de la « dernière nuit » des négociations soit entendu.
Il est même certain que le terme de la « justice climatique » prépare des débats ambigus à Paris. Si le gouvernement indien porte légitimement pour ses industriels et pour son peuple la responsabilité de positionner son accès aux futures technologies des batteries de stockage, clé de voute de sa politique d’accès au solaire et de mitigation de sa dépendance au charbon, il est en revanche historiquement responsable de clarifier sa position face à la COP21 et aux besoins du Sud dans son ensemble.
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