Le PowerWall de Tesla présente-t-il vraiment un intérêt? edit

May 20, 2015

Avec la batterie Powerwall de Tesla, présentée fin avril, c’est la première fois qu’une solution de stockage électrique individuelle de masse fait son apparition. Mais cette solution présente-t-elle réellement un intérêt? Une réponse à cette question exige de sérier les questions, au rebours de la stratégie de communication de Tesla qui tend au contraire à les mêler. Est-ce une solution de stockage industriel ? Une solution pour « sortir du réseau » ? Pour réduire les émissions de CO2? Pour économiser sur les heures de pointe?

Est-ce une solution de stockage industrielle ? L’électricité en excès à certaines heures est déjà utilisée pour pomper de l’eau dans des réservoirs placés en hauteur, qui sera utilisée aux heures de pointe pour produire de l’électricité. D’autres technologies de stockage sont également utilisées :

Tableau : principales techniques de stockage (source : DGEC)

Ces dispositifs comblent les écarts entre la demande d’électricité et la production disponible à un moment donné, au même titre que l’effacement (capacité de certains clients à arrêter de consommer de l’énergie sur commande) ou les équipements de production flexibles (centrales au gaz pouvant démarrer ou s’arrêter rapidement en fonction de la demande). Or, avec un prix de 3000 $ pour 7 KWh, le coût du PowerWall est encore largement supérieur à celui des autres solutions de stockage (cf. le dossier du CEA).

Notons que le calcul est différent pour la batterie d’un véhicule électrique : cette dernière étant déjà « amortie » par son utilisation pour alimenter le véhicule, il ne coûte presque rien de l’utiliser « en plus » pour lisser les écarts offre/demande. Si votre voiture est branchée la nuit, elle pourra être utilisée sans surcoût pour aider le réseau à répondre aux pics, pourvu qu’elle soit chargée le matin !

Un utilisateur qui dispose de panneaux solaires peut théoriquement se dispenser d’abonnement et de raccordement au réseau : il achètera un PowerWall pour couvrir les écarts entre la production de ses panneaux solaires et sa consommation.

La consommation d’une maison de 150 m2 est d’environ 60 kWh par jour. La batterie devra couvrir le risque d’absence d’ensoleillement – disons trois jours de consommation. Après prise en compte des pertes, cela représente 225 kWh soit 32 batteries de 7 kWh (en effet, une seule batterie de 7 KWh suffit à peine à alimenter un réfrigérateur pendant trois jours). Une telle installation coûterait au moins 170 000 dollars en incluant le coût des panneaux solaires et la pose.

Pour amortir un investissement de 170 000 dollars sur dix ans, il faut économiser 20 000 dollars/an, plusieurs fois la facture électrique moyenne d’une maison de 150 m2. Même en réduisant la marge de sécurité à une journée – ce qui signifie accepter de se retrouver sans électricité après une journée de faible ensoleillement - l’investissement resterait non rentable. Au total, sauf dans les cas où le raccordement au réseau coûte très cher (par exemple, une île) ou pour des utilisations nomades (alimenter une rave party au milieu du désert), cette solution n’a donc pas d’intérêt économique.

N’est-il pour autant pas légitime de payer pour utiliser moins d’énergie thermique et sauver la planète ? En fait, un écologiste pragmatique fera mieux de se raccorder au réseau et d’utiliser son argent pour réduire les émissions de carbone par des voies plus efficaces (planter des arbres, financer des éoliennes raccordées au réseau, rouler en moto électrique : voir le rapport « Transition par l’Innovation » pour une liste d’exemple d’ « innovations vertes abordables », permettant de réduire les émissions à un coût modéré…). Sur 20 ans, notre maison de 150 m2 émettra 60 tonnes de CO2 si elle est raccordée à EDF. Or, avec 170 000 dollars, on peut annuler les émissions de carbone d’une cinquantaine de foyers en investissant son argent sur des solutions plus efficaces  (sur la base d’un coût de 50 euros/tonne de CO2 évité).

Evidemment, le jour où, comme beaucoup l’imaginent, les coûts du stockage auront fortement baissé, ces conclusions pourront s’inverser. Mais, même dans ce cas, il est probable que les capacités centralisées (au niveau du réseau, d’une ville ou un quartier) restent plus adaptées qu’une batterie individuelle, car elles réduiront les coûts de construction et mutualiseront davantage les solutions de stockage.

Sans sortir du réseau, le PowerWall permet-il de réduire sa facture en évitant les heures de pointe ? La réponse dépend du niveau des tarifs, qui varie d’un pays à l’autre. En France, sur la base de l’écart heures creuses/heures pleines, d’une durée de vie de la batterie optimiste de 10 000 cycles, et en tenant compte des coûts de raccordement et de financement, le prix du PowerWall doit être divisé par plus de trois pour qu’il soit rentable de les acheter.

Malgré cela, Tesla a tout de même le mérite de lancer une expérimentation grandeur nature de stockage électrique et  de « réseau décentralisé » au sein duquel les consommateurs peuvent être également producteurs. Il est difficile d’imaginer avec précision le point d’arrivée à long terme de cette démarche, et la seule façon pour le savoir est précisément de l’explorer. Néanmoins, dans un premier temps au moins, ce pari de long terme sera plutôt réservé à des utilisateurs avancés prêts à perdre un peu d’argent et à faire évoluer leur mode de consommation pour faire avancer la science.