Des Américaines à Paris edit
Le voyage de Nicolas Sarkozy aux Etats-Unis, ponctué par un discours devant le Congrès, visait bien sûr à réchauffer les relations diplomatiques entre les deux pays. Mais les arrière-pensées économiques n’auront échappé à personne : il convient à tout prix d’éviter que les entreprises américaines se désintéressent de la France. Il faut donc s’employer à les rassurer sur l’orientation générale et le rythme des réformes : « Je veux mettre la France en situation, dans le respect de son identité si singulière, de gagner toutes les batailles de la mondialisation. ». Place aux chiffres.
Si les Etats-Unis ont compris une chose sur la mondialisation, c’est bien qu’il faut en parler de façon ouverte, chiffres sur la table, en donnant un large accès aux statistiques permettant d’avoir une vue très précise de ce que font les firmes multinationales américaines. Il n’y a pas d’équivalent en effet au travail de compilation statistique sur les firmes multinationales réalisé par le Bureau of Economic Analysis (BEA), même si la Suède, et dans une moindre mesure l’Allemagne et la France disposent de données utilisables. Certes le Parlement européen a adopté en juin dernier une réglementation en ce sens (Règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux statistiques communautaires sur la structure et l’activité des filiales étrangères), soulignant au passage que « les informations fournies au titre de la législation communautaire existante ou disponibles dans les États membres sont insuffisantes, inadéquates ou insuffisamment comparables ». Mais il va falloir patienter avant de pouvoir utiliser les données correspondantes. En attendant, la publication ce 16 novembre des chiffres du BEA révisés pour 2005 permet de connaître précisément la place occupée par les firmes américaines dans l’économie française, de la remettre en perspective au niveau européen et international, enfin d’en examiner l’évolution au cours de la période récente.
Les multinationales américaines (hors secteur bancaire) emploient 31 millions de personnes dans le monde : 22 millions aux Etats-Unis et 9 millions dans leurs filiales étrangères. En dépit des inquiétudes suscitées par la mondialisation et l’émergence des « pays ateliers » comme la Chine, 80% de la valeur ajoutée des filiales étrangères des firmes américaines reste réalisée dans les pays riches, au premier rang desquels l’Europe. Enfin, dans un monde où la compétition technologique s’intensifie, on retiendra que 86% de la Recherche et Développement des firmes américaines s’effectue sur le sol des Etats-Unis. Nous parlerons plus bas des 14% restants.
Comment la France se positionne-t-elle dans ce contexte ? Avec 49 milliards de dollars de valeur ajoutée par les filiales des multinationales américaines localisés dans l’hexagone, contre 75 en Allemagne et 136 au Royaume-Uni, la France reste en 2005 la troisième localisation la plus importante en Europe, devant l’Irlande (37 milliards). Cela représente quand même 22 milliards d’euro de salaires (et charges) distribués aux 584 000 salariés français de ces filiales. La France compte donc autant que le Japon, en valeur ajoutée, et compte plus que toute l’Amérique du Sud ; deux fois plus que le Mexique s’agissant de l’Amérique centrale ; deux fois plus que l’Afrique ; et… trois fois plus que la Chine. Et en emplois ? Rassurons-nous : il y a (encore) plus de salariés dans les filiales des firmes américaines installées en France que dans celles installées en Chine.
Comment expliquer cette bonne position ? Avant de nous enflammer sur l’attractivité de la France rappelons-nous qu’il s’agit d’un grand pays, et donc que l’effet de taille joue. Rapporté au Produit Intérieur Brut (PIB) français, grandeur directement comparable puisque c’est bien la somme des valeurs ajoutées, ces 49 milliards font en réalité pâle figure. Bien sûr il est inutile de se mesurer au Dragon celtique, dont près du cinquième de la richesse est créé par les filiales des firmes américaines. Nous ne parlons pas anglais et notre fiscalité sur les sociétés fait figure d’épouvantail en regard de l’Irlande. Oublions pour les mêmes raisons le Royaume-Uni et les 6% des son PIB réalisées par les filiales américaines. Non, comparons-nous à la Suisse (5%), à la Belgique (5%), aux Pays-Bas (4%), à la République Tchèque (3%). Loin derrière l’Argentine, la Thaïlande, les Philippines, … au total une trentaine de pays, dont l’Allemagne, la France se situe au niveau du Portugal.
Comment cette position a-t-elle évolué au cours des dernières années ? Si l’on remonte à 1998, et si l’on raisonne à prix constants, la France recule en termes absolus (de 10%) et a fortiori en termes relatifs, dans la mesure où l’activité à l’étranger des firmes américaines croît de 15% sur la période. Dans le même temps le Royaume-Uni est stable en termes absolus, tout comme l’Espagne, et l’activité en Irlande augmente de plus de moitié. L’activité en République Tchèque augmente de 70%, l’activité en Pologne quadruple. En Europe, seule l’Allemagne s’écroule sur la période, avec un recul de près de 20% en termes absolus.
Seule note positive, la Recherche et Développement (R&D). Nous l’avons dit, l’essentiel de la R&D des firmes américaines se fait sur le territoire américain. Mais en 2005, les dépenses de recherche à l’étranger des firmes américaines ont augmenté de 10%. L’essentiel est réalisé en fait au Canada, au Royaume-Uni, au Japon, en Allemagne, en France, à Singapour et en Chine. Ces sept pays concentrent les deux tiers de cet effort de R&D délocalisé. La bonne nouvelle est qu’en France, ces dépenses ont augmenté sur l’année de 15%, contre 12% en Allemagne, 8% au Japon, et seulement 6% au Royaume-Uni et 1% aux Pays-Bas. C’est certes moins que les 22% de croissance en Chine, mais ce dernier pourcentage s’applique à des niveaux très différents. En termes absolus, les dépenses américaines de R&D ont augmenté deux fois plus en France qu’en Chine en 2005.
Cette évolution désigne là où désormais réside l’avantage français et combien il est nécessaire de le renforcer par des politiques ambitieuses.
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