Climat: quel sera l’impact de la décision de Trump? edit

29 juin 2017

Le 1er juin, Donald Trump a fait connaître sa décision de sortir de l’accord de Paris signé par les Etats-Unis en 2015 et ratifié par Barack Obama en 2016. Cette décision a fait l’objet de diverses interprétations, très majoritairement négatives. Il reste difficile d’en estimer les effets réels. Ceux-ci seront certainement négatifs, mais leur ampleur sera limitée par le fait que le président des Etats-Unis, si puissant soit-il, ne peut s’opposer durablement à une évolution jugée irréversible par beaucoup de ses concitoyens, y compris dans les cercles proches du pouvoir politique et économique, et par beaucoup de décideurs dans le reste du monde.

A l’évidence, il aurait été préférable que le deuxième émetteur mondial de gaz à effet de serre (16,4% des émissions mondiales de C02 en 2015, derrière la Chine qui en représente 27,6%) restât dans l’accord. Que la première puissance économique mondiale ne participe plus à l’action collective est d’autant plus grave que cela peut inciter d’autres pays signataires de l’accord de Paris à suivre son mauvais exemple ou, de façon plus sournoise, à ne respecter la logique de cet accord que de façon formelle. Or il est clair que les engagements pris sont d’ores et déjà insuffisants. C’était d’ailleurs écrit noir sur blanc dans les textes signés à Paris, où la conférence des parties notait que « des efforts de réduction des émissions beaucoup plus importants que ceux associés aux contributions prévues déterminées au niveau national seront nécessaires pour contenir l’élévation de la température de la planète en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels ». Les objectifs n’ont des chances d’être atteints que si les politiques déjà annoncées sont renforcées ; et, au lieu d’aller vers ce renforcement nécessaire, on risque d’aller vers un relâchement des efforts.

Le problème du passager clandestin résolu

Rappelons que les Etats-Unis s’étaient engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 26 à 28% en 2025 par rapport à 2005. Après avoir nommé un nouveau président notoirement climato-sceptique à la tête de l’Agence de protection de l’environnement et avoir démantelé le Clean Power Plan du président Obama, Donal Trump ne fera certainement rien pour respecter cet engagement d’ici à novembre 2020, date à laquelle sa décision de quitter l’accord de Paris pourra prendra juridiquement effet. Il n’est d’ailleurs pas certain qu’il aurait cherché à le faire s’il avait cédé à ceux de ses collaborateurs qui lui conseillaient de rester dans l’accord de Paris. Comme le souligne Christian de Perthuis, fondateur de la chaire Economie du climat à l’université Paris Dauphine (PSL Research University) dans chacune de ses interventions publiques, l’annonce du 1er juin a au moins le mérite de la clarté. Sinon, la communauté internationale aurait pu avoir à traiter le problème du « passager clandestin », que tous les économistes connaissent bien. Le passager clandestin est celui qui bénéficie de l’action des autres sans rien faire lui-même. En matière climatique, toute action profite à l’ensemble de la communauté et celui qui ne fait rien en profite également sans avoir à durcir ses propres règles environnementales et sans avoir à engager de dépenses spécifiques. Dans le cas des Etats-Unis sortis de l’accord de Paris, il y aura bien un profiteur, mais qui ne sera pas clandestin : sa mauvaise volonté est évidente et elle est condamnée avec fermeté dans beaucoup de capitales.

Certains commentateurs affirment que le président des Etats-Unis se moque éperdument de l’opinion mondiale et que seule celle de ses électeurs lui importe. C’est d’ailleurs ce que Donald Trump lui-même a rappelé dans son discours : « J’ai été élu pour représenter les citoyens de Pittsburgh, pas ceux de Paris ». Mais Il ne faut pas oublier que l’opinion américaine est elle-même divisée sur le sujet. Et les chefs d’entreprise américains, qui dépensent beaucoup d’argent pour se donner une bonne image de marque à l’intérieur comme à l’extérieur de leurs frontières, s’inquiètent de l’impact des décisions prises par leur Président. Si beaucoup d’entre eux sont favorables à des industries pétrolières et charbonnières « great again », ils préféreraient une diplomatie un peu plus subtile.

Réduire la place accordée à toutes les énergies fossiles

De ce point de vue, il ne faut pas attacher un trop grand crédit au soutien apporté par certaines entreprises, y compris dans les secteurs pétrolier et charbonnier, à l’accord de Paris : la sincérité de ces déclarations est douteuse et les arrière-pensées sont évidentes. Pour ces dirigeants, il aurait été préférable de rester dans l’accord pour se donner l’image de défenseurs de l’environnement – image jugée indispensable aujourd’hui –, quitte à faire discrètement tout son possible pour freiner le mouvement de décarbonation de l’économie. La stratégie des grands groupes pétroliers d’Amérique du Nord est claire : préserver autant que faire se peut la place du pétrole et pousser au maximum le gaz au détriment du charbon. Ce qui peut d’ailleurs se défendre, au moins dans un premier temps : la façon la plus rapide et la plus efficace de faire baisser les émissions de CO2, c’est de remplacer les centrales thermiques au charbon par des centrales au gaz. Mais cette stratégie a ses limites. Quand on regarde l’évolution de la demande mondiale d’énergie jusqu’en 2040 telle que la voit ExxonMobil, on constate une baisse très faible de la place des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) : 82% du total en 2015 (le reste allant au nucléaire et aux énergies renouvelables), 81% en 2025 et 77% en 2040. Un tel scénario est absolument incompatible avec l’objectif d’une hausse de la température inférieure à 2°C. Les travaux publiés en avril dernier à Londres par l’Energy Transitions Commission, organisation internationale regroupant des producteurs et utilisateurs d’énergie, des chercheurs et des financiers, montrent que cette part devrait en fait tomber en 2040 vers 50% du total.

Il faut être réaliste : le problème numéro un est bien celui du charbon qui a l’avantage (ou le défaut…) d’être présent dans la plupart des pays du monde, y compris dans les pays émergents qui vont avoir besoin de produire beaucoup plus d’énergie dans les prochaines décennies (deux milliards d’habitants de notre planète n’ont pas encore accès à l’électricité, ne l’oublions pas). Mais si le charbon a encore de beaux jours devant lui en Chine (bien que le déclin soit amorcé), en Inde (où sa consommation devrait encore augmenter dans les prochaines années malgré un développement rapide des énergies renouvelables) ou en Indonésie, sa place est irrémédiablement appelée à reculer dans les pays développés, surtout là où, comme aux Etats-Unis, le gaz est abondant et compétitif. Il paraît peu probable que Donald Trump puisse réussir à relancer cette source d’énergie dans son pays. La situation est en fait beaucoup plus préoccupante en Australie qui, tout en ayant signé et ratifié l’accord de Paris, compte beaucoup sur ses exportations de charbon et ne fait pas beaucoup d’efforts pour en réduire sa propre consommation (en ce domaine, l’Australie risque de nous fournir un très bel exemple de passager clandestin). Pourtant la nécessaire lutte contre le recours excessif au charbon ne doit pas occulter une autre réalité : pour que les objectifs climatiques soient atteints, il faudra laisser du gaz et du pétrole dans le sol. Pour les entreprises productrices, c’est un vrai défi à relever et elles auraient besoin pour aborder cette phase de transition de gouvernements plus prêts à les aider à évoluer que de les encourager à rester dans leur périmètre actuel.

Un mauvais service rendu à l’industrie américaine

Les problèmes ne se retrouvent pas seulement parmi les entreprises du secteur de l’énergie. Prenons l’exemple de l’automobile. En apparence, les constructeurs américains sortent gagnants de la dernière décision de Donald Trump : ce n’est pas l’Etat fédéral qui va discuter le niveau d’émission de gaz à effet de serre de leurs véhicules. Mais le Président pourrait se demander pourquoi Tesla, le petit fabricant de véhicules électriques (84.000 voitures produites en 2016) a aujourd’hui une capitalisation boursière supérieure à celle de General Motors, qui produit 10 millions de véhicules par an, ou de Ford : 61,8 milliards de dollars le 21 juin pour le premier contre respectivement 51,5 et 43,9 milliards pour les deux autres. Peut-être les analystes estiment-ils que l’avenir de Tesla est plus assuré que celui des deux anciens géants ? Si Ford inquiète parce que sa dépendance à l’égard de son marché intérieur est jugée trop forte, est-ce lui rendre service que de ne pas l’inciter à développer encore plus vite les motorisations qui s’imposeront demain à l’échelle mondiale ?

C’est précisément ce genre d’interrogation qui conduit à éviter de porter un jugement trop négatif sur les conséquences de la décision de Donald Trump. Car, aux Etats-Unis, il y a conscience d’une évolution inéluctable qu’il faut savoir accompagner voire anticiper pour ne pas avoir à la subir plus tard. Les réactions des entreprises, en Californie notamment, et celles de plusieurs Etats et municipalités laissent penser que, malgré leur Président, les Etats-Unis ne resteront pas complètement à l’écart du mouvement de décarbonation. De même, en Chine et en Europe, on affirme haut et fort la volonté de continuer à avancer sur cette voie. Ailleurs, au cours des derniers mois, les nouvelles ont été plutôt encourageantes, de la part notamment de l’Inde, déjà citée. Et, ce que l’exécutif fédéral néglige, d’autres instances s’en préoccupent : ainsi, le 31 mai, contre l’avis de la direction, les actionnaires d’ExxonMobil ont adopté à 62,3% des voix une résolution mettant l’entreprise en demeure de proposer des stratégies compatibles avec l’objectif d’une hausse de la température inférieure à 2 °C. Déjà, le 12 mai, les actionnaires d’Occidental Petroleum avaient voté majoritairement en faveur d’une résolution forçant l’entreprise à évaluer et à rendre publics à partir de l’an prochain les impacts à long terme du changement climatique sur ses activités. Par ailleurs, des enquêtes judiciaires sont en cours sur le comportement et la communication d’ExxonMobil. En mai 2016, les procureurs généraux de seize Etats ont annoncé qu’ils allaient unir leurs moyens pour enquêter sur les mensonges présumés du groupe et ont lancé un avertissement sans ambiguïté : « Les entreprises qui trompent les investisseurs et les consommateurs à propos des dangers du changement climatique devraient rendre des comptes, doivent rendre des comptes ».

Bref, même le président de la première économie mondiale a un pouvoir de nuisance relativement limité face à une évolution qui compte de plus en plus de soutiens aux Etats-Unis et dans le monde. Donald Trump commet une erreur de politique économique flagrante, ainsi que l’a rappelé le 2 juin Angel Gurria, secrétaire général de l’OCDE : « Une action vigoureuse en faveur du climat – notamment une transition vers les financements verts pour un avenir durable – conjuguée à des réformes budgétaires et structurelles, stimulera la croissance à court et à long terme ». Ce constat a la force de l’évidence et il finira par l’emporter, même aux Etats-Unis, quoi que fassent les climato sceptiques et les lobbies conservateurs.

Cependant, ce qui s’est passé le 1er juin n’est pas anodin. Est-il vraiment normal de devoir compter plus sur Wall Street ou les collectivités locales que sur les instances fédérales pour assurer le respect de l’intérêt général dans une grande démocratie? De surcroît, même si les actes négatifs de Donald Trump sont en partie compensés par l’intervention d’autres acteurs, ils n’en restent pas moins dommageables : compte tenu du fait que les gaz à effet de serre mettent très longtemps à quitter l’atmosphère, il est important de limiter les émissions le plus tôt possible. En ce domaine, le temps perdu ne se rattrape pas. Il ne faudrait pas que d’autres Donald Trump apparaissent ailleurs dans le monde.