Le Polexit n’aura pas lieu! edit

13 octobre 2021

Entre la Pologne et l’Union européenne, la tension est de nouveau à son comble. Bien souvent annoncé, le Polexit est pourtant hautement improbable.

D’un côté, le gouvernement polonais annonce par la voix de son Premier ministre que la Cour constitutionnelle conteste la supériorité du droit communautaire sur les droits nationaux. De l’autre, le gouvernement français annonce un « Polexit de facto ». Le Polexit est-il un risque majeur et imminent pour l’Union ? L’illibéralisme polonais se conjugera-t-il au souverainisme britannique pour déclencher un « effet domino » ? Ou bien le spectre du Polexit se dissipera-t-il bientôt ?

Ce qui est en jeu aujourd’hui c’est moins une répétition du Brexit qu’une incompréhension durable entre Est et Ouest sur la nature du projet européen. Pour les Polonais, qu’ils soient partisans du PiS ou opposants résolus au démantèlement de l’État de droit, l’heure n’est pas au dépassement des identités nationales. Réduire la Pologie au Parti Droit et Justice (PiS) et les aspirations polonaises à un Brexit d’Europe centrale serait conjuguer l’illusion à la condescendance.

Une longue stratégie de tension

Les tensions actuelles commencent le 7 octobre dernier, quand le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, a annoncé que le Tribunal constitutionnel polonais avait récusé la supériorité du droit européen sur le droit national. Le questionnement juridique a son importance : le Tribunal constitutionnel a rendu un avis et non un jugement sur une affaire précise. Mais il faut prendre un point de vue plus large que celui du droit : l’annonce de Morawiecki ravive une série de conflits ouverts depuis 2015 entre, d’une part, la Commission européenne, la France et l’Allemagne, et, d’autre part, la République de Pologne soutenue au moins partiellement par des Etats membres du Groupe de Visegrad.

En effet, depuis le retour du PiS au pouvoir, la Pologne a tenu à marquer sa différence vis-à-vis de Berlin, Paris et de Bruxelles à de nombreuses reprises, sur la question des valeurs, de l’égalité des droits et de l’Etat de droit. Ainsi, elle a refusé l’accueil des migrants en 2015 avec le soutien du groupe de Visegrad (ou V4 constitué de la Tchéquie, de la Hongrie et de la Slovaquie) et de l’Autriche. Elle s’est prononcée contre l’égalité des droits pour les LGBTQ+ avec le soutien de ce même groupe. De manière fondamentale, la réforme de la justice engagée par le PiS est entrée en contradiction avec les principes de l’Union. En réaction, la Commission a déclenché la procédure de l’article 7 contre la Pologne sur le respect des droits fondamentaux et a décidé le blocage des fonds du plan de relance (54 millards d’euros). Ce n’est donc pas un hasard si, pendant la campagne des élections européennes de 2019, la présidence Macron et Renew (Renaissance) ont désigné le PiS et la Ligue italienne comme les adversaires politiques.

Aujourd’hui encore, la tension semble à son comble entre l’Union européenne et la Pologne, comme elle l’est entre le gouvernement PiS et une large partie de la population qui manifeste, tant à l’intérieur qu’au sein des diasporas. Etant donnée la forte implantation du PiS dans le paysage politique polonais et la durée des tensions entre Union européenne et Pologne, faut-il redouter un Polexit ? Ce serait confondre une stratégie de la tension avec un projet de rupture. Ce serait également confondre la Pologne dans son ensemble avec le PiS. Enfin, ce serait négliger ce qui importe véritablement aux Polonais et se tromper de pays : la Pologne n’est pas le Royaume-Uni.

Brexit et Polexit: comparaison n’est pas raison

En matière d’Union européenne, comparaison n’est pas raison et la menace d’un Polexit est bien différente de la réalité d’un Brexit, pour des raisons à la fois politiques, économiques et diplomatiques.

En premier lieu, le Brexit a été lancé par les Britanniques eux-mêmes, il est plus précisément le résultat d’un jeu de pouvoir au sein du Parti conservateur anglais, alors que le Polexit est une menace agitée par Paris et Berlin, déplorant le comportement du PiS. De fait, le soutien populaire à l’Union européenne est massif dans l’opinion polonaise, et ne s’est pas démenti ; il est de l’ordre de 80%. Si la jeunesse est fortement mobilisée, comme souvent à l’évocation de l’Europe, l’appel à manifester touche jusqu’à Wanda Traczyk-Stawska, 94 ans, ancienne combattante de l’insurrection de Varsovie en 1944. Le PiS ne défend pas cette ligne, tâchant aujourd’hui de minimiser la portée de son acte. Il a pourtant contribué à remettre en selle Donald Tusk, revenu il y a trois mois reprendre la tête du parti Plateforme civique (PO) ; l’ancien Premier ministre (2007-2014) et Président du Conseil européen (2014-2019) sait que les prochaines élections sont loin (elles sont prévues pour 2023) mais qu’il est parfois utile de partir tôt.

Il y a également un volet économique qui rend le Polexit hautement improbable : depuis 2015, la Pologne a connu un rattrapage vis-à-vis de l’Ouest du continent sans équivalent dans l’histoire, et davantage encore dans les régions géographiquement proches de l’UE. Ce « miracle » économique polonais doit naturellement beaucoup aux fonds européens, à la libre circulation de la main-d’œuvre et des capitaux ainsi qu’ à l’ouverture de l’économie polonaise. Le pays est devenu une des usines de l’Europe. Réciproquement, il ne faut pas négliger que l’économie européenne doit beaucoup à la Pologne : c’est une des économies européennes dont les perspective de croisssance structurelle sont nettement positives. La Pologne est encore un vaste marché en croissance et un vivier de main-d’œuvre qualifiée pour toute l’Europe.

Enfin, le précédent du Brexit a un côté répulsif : il a fallu près de cinq ans pour trouver un accord, alors que le Royaume-Uni est une administration multiséculaire qui a pu régner sur un immense empire. En dépit de la capacité de négociation d’un Etat membre du Conseil de sécurité des Nations unies, les difficultés sont nombreuses, du renouveau du nationalisme écossais à la question irlandaise, en passant par les pénuries actuelles – qui évoquent plutôt la Pologne d’hier que le rêve de Global Britain !

Ni sa géographie ni ses ambitions ne prédisposent la Pologne à tenter de faire cavalier seul, ce qui lui a historiquement été défavorable. D’ailleurs, si elle suivait vraiment ce chemin, qui sait comment elle pourrait peser sur les choix européens de l’extérieur, ou trouver des conditions de départ n’impliquant pas de dommages sérieux pour les intérêts polonais ? La Pologne paie déjà une partie de l’agressivité du PiS quand c’est la Lituanie qui fait figure d’intermédiaire dans la crise biélorusse ; elle vient de voir un allié, le Premier ministre tchèque, Milos Babis, ne plus être en mesure de rester le maître du jeu à Prague. Cet été, l’achèvement du gazoduc Nord Stream, suite à des tractations germano-américaines, a été vécu comme un camouflet géopolitique. Nul doute que disposer de plus de gaz russe pour l’Europe ne fait pas partie des souhaits des dirigeants polonais ! Mais si la Pologne a du mal à peser face aux Russes en étant à l’intérieur de l’UE, qu’en serait-il si elle était à l’extérieur ? À Varsovie, c’est une perspective qu’on ne peut imaginer.

En d’autres termes, l’hypothèse d’un Polexit est une erreur d’appréciation sur la place de la Pologne et, à travers elle, des Etats membres d’Europe centrale et orientale : la Pologne est un acteur important de l’UE et de l’OTAN à la frontière orientale du continent, mais elle sait également que ses relations avec le Russie sont durablement mauvaises. Et qu’elle a besoin de l’Union européenne pour lui résister.

Tensions prévisibles, rupture improbable

Selon toute vraisemblance, pour des raisons internes, le gouvernement actuel sera contraint d’amender sa position, sauf à encourir le risque de l’impopularité liée à la montée d’une anxiété sociale et politique dans cette crise. Faut-il, dès lors, en conclure que cette stratégie de la tension a peut-être trouvé son point culminant ? Rien n’est moins sûr. Si elle peut servir de ligne rouge pour les plus modérés, rien ne dit que la crise actuelle ne peut pas amener à une surenchère interne au sein du PiS, comparable à ce qu’on a pu observer pour les conservateurs britanniques.

Les tensions risquent donc de perdurer, et une éventuelle alternance est encore loin. Les prochaines élections générales auront lieu en 2023. En revanche, si la rupture avec l’UE est improbable, le gouvernement polonais risque de continuer à se chercher des boucs-émissaires à l’extérieur. Ce n’est bon ni pour l’Europe, qui a besoin d’une Pologne constructive, ni pour la Pologne elle-même et ses ambitions.