Le RSA, un aller simple… edit

25 janvier 2022

En 2008 le Revenu de solidarité active (RSA) s’est substitué au RMI et à l’allocation de parent isolé (API) en se fixant trois objectifs : lutter contre la pauvreté, encourager le retour à l’emploi et aider à l’insertion sociale des bénéficiaires. Un rapport de la Cour des Comptes publié ce mois-ci[1] montre, malheureusement, qu’aucun de ces trois objectifs n’a été atteint, même si le résultat est plus nuancé sur le premier. Ajoutons que la tentative de simplification qui faisait également partie des objectifs de la réforme a été elle aussi déçue. Passons en revue les principaux résultats des investigations de la Cour qui conduisent à dresser ce constat d’échec.

Tout d’abord, rappelons que le RSA coûte cher : 15 Md€ d’euros annuels. Il est attribué à près de deux millions de foyers dans lesquels vivent plus de quatre millions de personnes. Entre 2008 et 2015, le nombre d’allocataires est passé de 1,3 à 1,9 million, soit une hausse de plus de 45 %, avant de se stabiliser pour atteindre un nouveau pic en novembre 2020 à 2,1 millions. Les allocataires sont plus souvent des femmes (54%), et surtout plus souvent des personnes seules sans personnes à charge (55%) ou des personnes seules avec une personne à charge (32%, souvent des femmes seules avec enfant). Les faibles niveaux de diplôme sont également fortement surreprésentés dans la population allocataire.

Le RSA protège de la grande pauvreté… mais ne fait pas sortir de la pauvreté

En effet, du fait même du faible montant de l’allocation (565€/mois pour une personne seule, à comparer aux 1063 euros du seuil de pauvreté monétaire à 60% de la médiane des niveaux de vie) le RSA ne protège pas de la pauvreté. Mais il protège de la grande pauvreté. 46 % des bénéficiaires du RSA vivent encore sous le seuil de pauvreté à 50% du revenu médian, mais ils ne sont plus que 16% à vivre avec moins de 40 % de celui-ci. Il réduit surtout l’intensité de la pauvreté (c’est-à-dire qu’il diminue l’écart entre le niveau de vie des allocataires et le seuil de pauvreté de la population générale). Cet effet protecteur est confirmé par les allocataires eux-mêmes. Interrogés par sondage, 78 % estiment que le RSA leur a « procuré un revenu minimum » et leur a « évité de tomber dans la pauvreté ».

Mais malgré cet effet protecteur de la grande pauvreté, le RSA est attribué à une population qui reste massivement pauvre aussi bien sur le plan monétaire que sur le plan des conditions de vie. Depuis 2010, remarque le rapport de la Cour, 65% des allocataires vivent de façon constante sous le seuil de pauvreté, une part plus de quatre fois plus élevée que celle de la population générale, et 51% sont pauvres en conditions de vie (un indicateur de privation d’un certain nombre de biens).

Après tout, il peut sembler logique que le RSA soit attribué à des gens pauvres, sauf si… cette situation de pauvreté perdure et que les bénéficiaires ne parviennent pas à s’en extraire. Or c’est bien à cette difficulté majeure qu’est confronté le dispositif.

Pourtant, le législateur, bien conscient du risque des trappes à inactivité, a créé le RSA-activité dont une portion se maintient lorsqu’il y a reprise d’emploi, pour favoriser l’insertion dans l’emploi. Ensuite, en 2016, le RSA-activité a été intégré à la prime d’activité. Ces réformes, en augmentant les incitations financières à l’activité, ont bien réduit les trappes à inactivité.

Malheureusement le problème reste entier car, pour employer un langage familier, l’intendance ne suit pas. C’est bien dans la mise en œuvre du dispositif, qui a été décentralisé aux départements, que le processus se grippe.

Un faible retour à l’emploi

On le voit d’abord dans les chiffres de retour à l’emploi des allocataires. La Cour note en effet que le taux de retour à l’emploi des bénéficiaires du RSA est très faible (3,9% par mois), plus faible que celui de l’ensemble des demandeurs d’emploi (8,2%) et plus faible que celui de tous les autres publics bénéficiant de dispositifs spécifiques.

Le rapport rend compte d’une étude de la DREES sur le suivi d’une cohorte d’entrants au RSA, qui montre que sept ans après leur entrée dans le dispositif, 34% des allocataires y sont toujours présents (voir graphique). Seuls 17% d’entre eux en sont totalement sortis et ont retrouvé un emploi, mais des emplois relativement précaires. 24% sont sortis du RSA et de la prime d’activité mais sont sans emploi. Surtout, l’on voit qu’à partir de la troisième ou quatrième année, les situations se figent et n’évoluent plus beaucoup. La Cour peut donc écrire que « la promesse du RSA n’est pas tenue pour près des deux tiers de ses bénéficiaires » du fait qu’il ne leur permet pas d’accéder à l’emploi, accès à l’emploi qui constitue le véritable rempart contre la pauvreté.

Suivi d'une cohorte d'entrants au RSA

Source : DREES

Une autre statistique corrobore ce diagnostic : le taux de sortie du RSA, c’est-à-dire la proportion d’allocataires présents dans le dispositif en année N-1 qui en sortent en année N, est faible et est resté stable entre 2010 et 2018 (entre 27% et 24%, 24% en 2010).

Un accompagnement déficient

Ces faibles taux de retour à l’emploi et de sortie s’expliquent en partie au moins par les défauts de l’accompagnement. Théoriquement les allocataires sont soumis à des droits et des devoirs, le droit d’être accompagné dans leur démarche d’insertion sociale et professionnelle, le devoir de réaliser eux-mêmes une démarche d’insertion. Or une part des allocataires (18%) ne bénéficie d’aucun accompagnement et pour les autres il est déclenché dans un délai trop long (trois mois en moyenne). Mais surtout le type d’accompagnement proposé (il peut être « social » pour les personnes les plus éloignées de l’emploi, ou professionnel) semble très mal calibré, mal adapté au profil des bénéficiaires. Une illustration frappante, relevée par la Cour, est la variation, d’un département à l’autre, du taux de personnes orientées vers Pôle Emploi : il varie de 0% en Corrèze et 4% dans la Marne et dans le Var à 65% dans l’Allier. La Cour constate, à propos de l’accompagnement vers Pôle Emploi, « qu’une part significative des personnes orientées vers ses agences n’est en réalité pas préparée à l’emploi et justifierait plutôt d’un accompagnement social ».

Mais l’accompagnement social lui-même montre de graves lacunes. Normalement les personnes qui en bénéficient doivent signer un Contrat d’engagement réciproque (CER) précisant les obligations des parties. Or seule la moitié des bénéficiaires l’ont fait et, ajoute la Cour, lorsqu’il existe le contrat semble peu suivi. Il s’apparente dans bien des cas à une coquille vide : un très faible nombre d’actions proposées (souvent moins de deux par contrat) et des actions « souvent peu tangibles » se rapportant « à de simples préceptes comportementaux », un faible nombre d’entretiens d’accompagnement (moins de trois par an dans les départements étudiés par la Cour). Au bout du compte, la Cour formule ce jugement lapidaire : « le CER n’est aujourd’hui qu’une formalité sans réelle portée ».

L’accompagnement est plus structuré à Pôle Emploi mais son effectivité pose également question : faible intensité de l’accompagnement, nombre d’entretiens avec des conseillers plus faible que pour les autres demandeurs d’emploi. La Cour note une forme de « sélectivité inverse » qui conduit à écarter des formules d’accompagnement les plus intensives les personnes les plus en difficulté dont font partie un grand nombre d’allocataires du RSA. In fine, la Cour fait un constat accablant : « une faiblesse caractérisée des actions d’accompagnement, une contractualisation souvent de pure forme et un suivi individuel des « droits et devoirs » quasi inexistant. »

Le RSA évolue ainsi « vers une simple allocation de survie, marquant l’échec des ambitions affichées en 2008 lors de sa création. ». Ce diagnostic devrait faire réfléchir ceux qui plaident pour étendre le bénéfice du RSA aux jeunes de moins de 25 ans. Tel qu’il fonctionne aujourd’hui, les jeunes n’en tireraient aucun bénéfice en matière d’insertion dans l’emploi et il ne serait pas satisfaisant de considérer que les jeunes, même ceux qui sont en difficulté, sont voué à rester éloignés de l’emploi tout en étant faiblement entretenus par la collectivité. Cette idée d’étendre le bénéfice du RSA au moins de 25 ans est d’autant moins judicieuse qu’il existe une mesure qui leur est destinée – la Garantie jeune – qui procure des revenus proches de ceux du RSA, mais fonctionne beaucoup mieux en termes d’accompagnement. Renforçons éventuellement la Garantie jeune, élargissons peut-être le périmètre des bénéficiaires, mais ne lâchons pas la proie pour l’ombre. Souhaitons que le « Contrat d’engagement jeune », qui remplacera la Garantie jeune à partir du 1er mars 2022, aille bien dans ce sens.

Le constat très négatif de la Cour des comptes conduit plus largement à se poser la question de la validité des objectifs que s’est fixé le législateur en instituant le dispositif. Dans son allocution de présentation du rapport, le Président de la Cour, Pierre Moscovici, plaide en faveur d’une réforme du financement pour que le Département soit à la fois le financeur et le décideur, gage selon lui d’une meilleure efficacité. Ensuite, il plaide pour la mise en œuvre effective des principes d’accompagnement qui sont au cœur de la philosophie du RSA. Il s’agit, conclut-il de « redonner leur pleine signification aux droits et devoirs prévus par la loi ». Mais il ne fournit pas le mode d’emploi et on peut rester sceptique sur la mise en œuvre de ces recommandations.

Si le RSA est devenu une « simple allocation de survie », n’est-ce pas qu’il souffre d’une ambiguïté liée à l’hétérogénéité de son public ? Théoriquement, le « RSA est un dispositif qui vise la population en âge et en capacité de travailler », mais manifestement une partie substantielle des allocataires est dans l’incapacité de le faire ce qui rend inopérants les objectifs affichés. Une enquête par sondage téléphonique réalisé par BVA en mars 2021 montre que la première difficulté avancée par les allocataires concerne des problèmes liés à la « santé, au handicap ou à l’invalidité » (par 26%) et la seconde des problèmes de « découragement et de confiance en soi ». À propos des difficultés de santé, les plus citées, le rapport note que cela pose la question de la frontière entre le RSA et l’Allocation adulte handicapé (AAH). Ces personnes dont les difficultés font « temporairement obstacle à leur engagement dans une démarche de recherche d’emploi » sont orientées vers un « parcours social » dont on a vu que la substance était faible. D’autres, malgré leurs grandes difficultés, sont malgré tout orientées vers Pôle Emploi qui ne sait qu’en faire. On a le sentiment que cette confusion et ce mélange de publics hétérogènes finit par contaminer l’ensemble du dispositif et peut-être décourager ceux qui sont en charge ne mettre en œuvre les mesures devant favoriser le retour vers l’emploi. Si le RSA veut retrouver son sens initial, ne devrait-il pas être réorienté prioritairement vers les publics qui, malgré leurs difficultés, ont des chances raisonnables de retour vers l’emploi, quitte à imaginer d’autres dispositifs de prise en charge pour ceux qui en sont le plus éloignés ? Il semble urgent en tout cas de clarifier ses missions.

 

[1] Cour des comptes, Le Revenu de solidarité active. Evaluation d’une politique publique, janvier 2022. Le rapport ainsi que la synthèse sont téléchargeables sur le site de la Cour des comptes