En matière de logement l'enfer est pavé de bonnes intentions edit

1 juin 2006

L'intervention de la puissance publique en matière de logement est une longue tradition qu'on peut rattacher à la construction de logements ouvriers par les patrons du 19e siècle ou à la création du prélèvement du « 1% logement » sur les salaires par un de ces mêmes patrons dans les années 1950. C’est pendant la Première Guerre mondiale que les loyers ont été bloqués pour la première fois, blocage qui n'a été levé, partiellement, que par la loi de 1948. Et il ne se passe pas de mois qu'une nouvelle initiative ne fleurisse : du quota de 20% de logements sociaux par commune de la loi SRU en 2000, au récent projet de permis de louer en passant par les dispositifs Besson, Méhaignerie, Périssol ou Robien d'encouragement à l’investissement locatif, ou le « bouclier logement » du programme socialiste. Cette intervention n’est pas une spécificité française. Même les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne consacrent aux aides au logement une part de leur budget voisine de celle de la France.

On ne peut se passer de logement. C’est aussi un bien « tutélaire », c’est-à-dire que certains n’en consomment spontanément pas assez parce qu’ils ne prennent pas en compte les bienfaits que leur consommation individuelle procure à la collectivité. On peut donc vouloir loger les démunis au nom de la dignité humaine et de l’efficacité. Le marché locatif met par ailleurs en relation des propriétaires et des locataires en situation d’information très imparfaite et asymétrique. Le pouvoir de monopole du bailleur peut donc réclamer une protection du locataire. La question de la propriété foncière et des droits afférents à ce bien non renouvelable qu’est la terre éloignent aussi le marché du logement de son prototype pur et parfait. Autant de raisons d’une intervention raisonnée des pouvoirs publics.

Mais cette action est parfois contreproductive. Prenons l’exemple du projet récent de création d’un permis de louer. Sous prétexte que certains propriétaires offrent des logements non décents, le gouvernement envisage d’instaurer un permis de louer, applicable pour les logements de plus de trente ans dans les communes de plus de 50 000 habitants. Les sénateurs eux-mêmes ont remarqué, tout en votant le texte, qu’une telle mesure, outre la création d’une bureaucratie municipale coûteuse et vite débordée, va faire sortir du marché une partie des logements locatifs. Par conséquent, face à une demande soutenue, les loyers vont monter. Le permis de louer s’inscrit ainsi dans une longue lignée de mesures de renchérissement des logements. On a par exemple fait sortir du marché légal les chambres de service de moins de 9 m², créant, au mieux, un marché noir, au pire le regroupement de ces chambres en appartements destinés à une toute autre population que les étudiants ou immigrés récents qui les occupaient. Ceci au moment même où on voudrait développer les services aux personnes très âgées, pour lesquels il faudra des logements « de proximité ».

Les normes de taille, de sécurité, pour bien intentionnées qu’elles soient, augmentent les prix, et donc les loyers. On peut maintenant circuler en fauteuil roulant dans toutes les salles de bain des HLM neufs. Avant de se réjouir de ce résultat, on pourrait en évaluer le coût et chercher si l’aménagement d’une fraction de ces logements n’aurait pas suffi. Les ascenseurs anciens, après des années de bons et loyaux services vont devoir être mis en conformité à des normes strictes, non sans avoir engraissé des cabinets d’audit, des réparateurs et des syndic de co-propriété, pour un bénéfice sans doute nul en termes de vie humaine sauvée, puisque les accidents sont en général dus à des dégradations volontaires. Il est plus facile de créer une norme nouvelle que de surveiller l’entretien dans les immeubles sensibles.

Face à ces renchérissements, en partie artificiellement créés, le programme socialiste propose, à l’image du « bouclier fiscal » qui protège contre des impôts excessifs, un « bouclier logement » pour permettre de se loger à un coût décent. « Les ménages locataires ne devraient pas consacrer plus de 25% de leurs revenus à se loger ». Notons d’abord que cette norme de 25% est proposée sans justification. Pourtant un locataire qui dépense le tiers de son revenu à se loger, mais qui habite en centre ville ou à proximité de transports publics bon marché, est sans doute en meilleure posture financière qu’un propriétaire de grande couronne parisienne qui dépense 25% de son revenu en charges d’emprunt et la même fraction en transport. C’est toute la question de l’étalement urbain, encouragée indirectement par les pouvoirs publics. Le prêt à taux zéro réservé aux logements neufs a pu contribuer à pousser les ménages modestes à faire construire un logement loin des centres-villes là où le prix du foncier est plus faible. Les normes de densité des constructions dans les zones urbaines poussent aussi à la périurbanisation et augmentent les prix dans les zones protégées.

Mais revenons au bouclier logement… Comment atteindre son but ? Bloquer ou fixer les loyers ? C’est à terme le tarissement assuré de l’offre locative privée. Augmenter les allocations de loyers ? Une série d’études convergentes montrent aussi bien en France qu’aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne qu’elles augmentent les loyers et profitent donc en partie au propriétaire bailleur, ce qui les rend d’autant plus coûteuses pour le contribuable. Fournir des logements sociaux ? On peut rêver qu’il s’agit alors de remédier à une grande injustice actuelle du système des HLM : la non variation du loyer en fonction des revenus du locataire. Actuellement on rentre en HLM quand ses revenus sont inférieurs à un plafond, mais on y reste à vie, au même loyer. Le système de surloyer demandé au-delà d’un certain niveau de revenu ne suffit pas. On a estimé que plus du tiers du bénéfice procuré par la location d’un logement social allait à des ménages de la moitié la plus riche de la population. Il serait juste que le loyer augmente avec le revenu pour rejoindre le loyer de marché à partir d’un certain seuil. Les détails de la mesure seraient à étudier mais elle pourrait se combiner avec cette idée du taux d’effort de 25%. Même si, nobody is perfect, on n’échapperait pas alors à l’aspect de désincitation au travail de cette aide, on peut le penser de second ordre par rapport à l’injustice actuelle. On pourrait aussi faire apparaître sur les quittances de logements sociaux, le transfert de la collectivité dont bénéficient les locataires, calculé par différence avec le prix de marché d’un logement similaire. Rien n’empêche ensuite de faire figurer ce revenu sur la déclaration fiscale. Même si pour la plupart des locataires sociaux, l’impôt payé ne sera que peu modifié, cette mesure serait à la fois d’information et de justice. Tout ce qui contribue à l’information sur le marché du logement est à encourager.