Éviter que le choc du coronavirus n’aboutisse à une hausse du chômage edit

16 mars 2020

L’impact économique du coronavirus est encore très incertain, mais il est déjà sûr qu’il sera considérable. Les dispositions déjà prises et celles à venir pour étaler dans le temps la contagion sont indispensables pour réduire la saturation du système de santé et en conséquence, à une échelle sans doute très significative, le nombre des décès. Il en résultera une forte perte de production, un stress économique pour un très grand nombre d’entreprises et le risque d’une transmission au secteur financier qui amplifierait le préjudice économique.

Les annonces des banques centrales, dont celles de la BCE le 12 mars, ainsi que celles des exécutifs dont en France celle du président de la République le 12 mars également et du Premier ministre le 14 mars témoignent de l’engagement et de la détermination de toutes les autorités pour faire face au choc du coronavirus et à toutes les incertitudes sanitaires et économiques qui se dressent devant nous.

L’arrêt d’un très grand nombre d’activités, indispensable pour des raisons sanitaires, va concrétiser une grande part de l’impact économique de ce choc. À ce stade, dans cette situation d’incertitude, des scénarios envisageant des pertes d’activité se situant, tant en France que dans les autres grands pays européens, dans une fourchette allant de -3 % à -15 % du PIB sont crédibles.

Dans de telles circonstances, de nombreux dispositifs ont été décidés dans l’urgence afin de soutenir financièrement les entreprises dans cette épreuve, en particulier les PME et dans les activités les plus touchées (transports, loisirs, commerces, restauration). Il convient de se demander si d’autres dispositifs ciblés sur le marché du travail pourraient aussi contribuer à éviter qu’un choc de cette ampleur n’aboutisse à une hausse du chômage qui se traduirait en détresse économique et sociale pour de nombreux ménages et familles. Les leçons du choc de 2008-2009 nous fournissent quelques enseignements utiles pour inspirer des actions à engager dès aujourd’hui.

En 2009, le PIB allemand a baissé de 6 % sans destruction d’emplois tandis qu’en France il a baissé de 3% avec 500 000 destructions d’emplois. Les synthèses des analyses de cette prouesse allemande (voir par exemple Barthelemy et Cette, 2011 et Boulin et Cette, 2013) montrent qu’elle s’explique pour 30 % par des dispositifs de chômage partiel (que les Allemands nomment d’ailleurs  « travail partiel », Kurzarbeit) subventionnés par l’État, pour 30 % par la contraction des heures supplémentaires et la mobilisation des comptes épargne temps (Arbeitszeitkonto) et pour les 40 % restants par la mise en œuvre d’accords collectifs (de branche ou d’entreprise) réduisant la durée du travail et les salaires contre des garanties d’emploi.

De tels accords ont vu le jour en Allemagne à partir de 1993, suite à l’accord conclu à Volkswagen qui avait sauvé cette entreprise. Ils sont souvent signés « à froid », en dehors de périodes de stress économique, leur mise en œuvre pouvant être décidée « à chaud » soit par le seul chef d’entreprise, soit avec l’accord des partenaires sociaux signataires de l’accord. De tels accords ont cependant également été signés à chaud en 2009 et 2010. Il est important de voir si, dans le choc actuel, la France est maintenant en situation de mobiliser des outils aussi performants que ceux qui ont permis à l’Allemagne de ne pas connaître de hausse du chômage, en 2009, au moment le plus fort, en termes d’activité, de la Grande Récession.

Le chômage partiel

Le dispositif de chômage partiel a, en 2009, été nettement moins sollicité en France qu’en Allemagne : au plus haut, il a alors concerné environ 0,3 millions de personnes en France contre 1,6 millions en Allemagne. Les raisons de ce faible succès du dispositif français étaient principalement liées à sa forte rigidité administrative, au regard de son attractivité financière assez faible.

La réforme portée par la loi du 14 juin 2013 a simplifié et augmenté l’attractivité (en particulier financière) du dispositif. De nouvelles transformations ont été annoncées le 9 mars dernier, qui concernent essentiellement deux aspects. Tout d’abord, la facilité du déclanchement de son recours, puisqu’une demande d’autorisation de l’entreprise à l’administration doit recevoir une réponse dans les deux jours (contre 15 précédemment). Ensuite, une revalorisation, puisque le taux de l’allocation versée à l’employeur passe à 8,04€, soit le niveau actuel du SMIC net (contre 7,74€ précédemment) pour les entreprises de 1 à 250 salariés et demeure à 7,23€ pour les entreprises de plus de 250 salariés.

Le président de la République a évoqué, dans son intervention du jeudi 12 mars, un renforcement supplémentaire massif du dispositif. Suite à cela, la ministre du travail a annoncé le 13 mars une amplification de grande dimension : à partir du 16 mars, les employeurs, quel que soit l’effectif de l’entreprise, seront remboursés à 100 % de l’indemnité versée au salarié. Ce dernier assouplissement est, dans les circonstances actuelles, extrêmement bienvenu. En effet, s’il est prioritaire de protéger les salariés les plus fragiles et les moins qualifiés, dont la rémunération est proche du SMIC, il parait indispensable de protéger aussi les autres salariés plus qualifiés. Pour eux-mêmes, bien sûr, afin d’atténuer leur stress financier. Mais aussi pour l’entreprise, afin de faciliter financièrement le choix de garder ces salariés, ce qui contribuera à de moindres licenciements et évitera le départ d’un capital humain important pour son redressement et son avenir post choc CV. Dans la situation actuelle, on ne peut que se féliciter de ces derniers changements qui paraissent totalement appropriés.

Les accords de performance collective

Concernant le rôle d’accords collectifs offrant des garanties d’emploi contre une baisse négociée de la durée du travail et des salaires, l’expérience allemande a inspiré la création en 2012 des « accords compétitivité emplois » transformés par la loi du 14 juin 2013 en « accords de maintien de l’emploi ». Ces dispositifs étaient très verrouillés, malgré la position favorable des partenaires sociaux exprimée sur ce sujet dans l’article 18 de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 : « Afin de maintenir l’emploi, en cas de graves difficultés conjoncturelles rencontrées par une entreprise, il convient de se doter, à côté de dispositifs existants tels que le chômage partiel, de la possibilité de conclure des accords d’entreprise permettant de trouver un nouvel équilibre, pour une durée limitée dans le temps, dans l’arbitrage global temps de travail / salaire / emploi, au bénéfice de l’emploi. [… ] Les accords de maintien dans l’emploi […] constituent des outils supplémentaires à disposition des partenaires sociaux dans l’entreprise pour passer un cap difficile et consolider le dialogue social, sans en faire un cas général. » En conséquence, ces dispositifs n’ont connu qu’une mobilisation très marginale.

Les ordonnances travail de septembre 2017 puis la loi Pénicaud de mars 2018 ont totalement déverrouillé la chose par la création des « accords de performance collective » (APC). Dans le cadre d’un APC, l’évocation des « nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver ou de développer l’emploi », rend possible d’envisager par exemple une baisse des salaires dans l’entreprise, éventuellement (mais pas nécessairement) accompagnée d’une baisse de la durée du travail. De tels accords collectifs permettent de privilégier l’intérêt général à l’intérêt individuel, de façon totalement sécurisée puisqu’il est prévu que le refus d’un salarié peut constituer une cause réelle et sérieuse de son licenciement. Il est ainsi possible de concilier au mieux par de tels accords l’efficacité économique (garantie par la signature de l’accord par le chef d’entreprise) et la protection des travailleurs (garantie par la signature de représentants légitimés par une majorité des votes aux dernières élections professionnelles). Environ 500 APC auraient été signés à ce jour, ce qui témoigne d’un accueil et d’un démarrage favorables.

Les APC pourraient jouer un rôle très utile dans les entreprises très fragilisées financièrement au sortir du plus fort du choc du coronavirus et des dispositifs de chômage partiel. Il conviendrait cependant de les soutenir par des aides financières publiques afin de faciliter leur concrétisation.

Cette aide pourrait prendre la forme d’une prise en charge par l’État de tout ou partie, pour une période transitoire, de la baisse de salaire décidée dans le cadre d’un APC. Cela contribuerait à éviter des licenciements et une hausse du chômage, en favorisant de surcroît une mobilisation conjointe et active des partenaires sociaux dans les entreprises pour éviter les licenciements. Au-delà, et compte tenu de la faiblesse de la négociation collective dans les petites entreprises, on pourrait envisager que des APC types soient organisés au niveau de la branche avec une possibilité d’application directe dans les entreprises de petite taille (par exemple de moins de 50 salariés). Ce type d’articulation a été ouvert dans d’autres domaines, comme par exemple l’épargne salariale, via la récente loi PACTE.

Au-delà, l’indemnisation du chômage

Il est probable que, compte tenu de l’ampleur du choc du coronavirus, les mesures adoptées ou qui pourraient l’être n’empêchent pas des licenciements et une augmentation du chômage dont il faut espérer qu’elle ne soit ensuite que transitoire. Il convient donc de revenir sur des aspects concernant l’indemnisation des chômeurs. Dans le cadre de la récente réforme de l’assurance chômage, des dispositions ont durci depuis le 1er novembre 2019 l’indemnisation des chômeurs. Il serait utile de revenir sur deux d’entre elles qui paraissent inadaptées à la situation actuelle. Tout d’abord, pour bénéficier d’une indemnisation, il faut maintenant avoir travaillé 6 mois (au lieu de 4 précédemment) au cours des 24 mois (au lieu de 28) précédant le dernier jour travaillé. Ensuite, une dégressivité de l’allocation a été introduite au bout de six mois d’indemnisation pour les chômeurs qui avaient auparavant un salaire brut mensuel supérieur à 4500€. Cette dernière disposition ne reçoit aucune justification économique : la population concernée, très majoritairement celle des cadres, est en moyenne plus rarement au chômage et pour cette raison son effort contributif dépasse largement les prestations reçues. Autrement dit, elle « subventionne » déjà l’assurance chômage. La référence parfois faite à d’autres pays où les plafonds d’indemnisation sont assez bas n’est pas pertinente : dans ces pays, les contributions sont généralement elles aussi plafonnées, en relation avec les droits à indemnisation. Dans le contexte actuel de la mobilisation nationale et d’un renforcement des solidarités, il serait pertinent de revenir sur ces deux changements, de façon temporaire ou définitive. Au moment où ces lignes sont rédigées, il semblerait que des décisions soient prises en ce sens.

Il faut se féliciter de la formidable mobilisation actuelle de la BCE et du gouvernement français pour faire face au choc du coronavirus et limiter son impact économique et social, impact qui sera malgré tout très fort. Les quelques propositions qui précèdent concernent le marché du travail et visent à élargir la palette des nombreuses autres mesures qui seront nécessaires pour réduire autant que possible les effets sur l’emploi et le chômage de ce choc sans précédent.