Discipline budgétaire: une leçon allemande edit
Le 15 novembre dernier, la cour constitutionnelle allemande a interdit au gouvernement d’utiliser 60 milliards d’euros pour financer son programme de lutte contre le changement climatique. Cette somme était ce qui restait d’un fonds constitué en 2021 pour faire face à la pandémie. Le jugement pourrait aussi affecter quelque 200 milliards supplémentaires mis de côté pour aider à la reprise économique. Les 60 milliards représentent 1,4% du PIB, les 200 milliards 4,5%, ce n’est pas rien. Cette décision illustre la manière dont l’Allemagne est arrivée à contrôler sa dette publique. En creux, elle explique pourquoi la France n’y arrive pas.
En 1991, la dette publique de l’Allemagne représentait 38% de son PIB, celle de la France 36%. Aujourd’hui, on en est à 65% et 110%, respectivement. Les gouvernements français qui se sont succédé durant ces trois décennies nous ont expliqué que les déficits budgétaires étaient nécessaires pour préparer l’avenir. Si c’était vraiment leur motivation, ils ont échoué. Le revenu par tête de la France équivaut aujourd’hui à 80% de celui de l’Allemagne, contre 92% en 1991. Quant au taux de chômage, il a chuté en Allemagne de 5,2% à 3,1% pendant qu’il passait de 8,1% à 7,4% en France, et cette réduction est récente, le résultat des réformes impopulaires de Macron (en 2017, le taux de chômage était de 9,4%).
Mais préparer l’avenir n’a jamais été la vraie motivation, hélas. En matière budgétaire, chaque année, chaque gouvernement ne pense qu’à augmenter ses dépenses pour satisfaire les innombrables demandes de tous les groupes de pression, en évitant autant que possible d’augmenter les impôts. Et même ainsi, ils ont tous échoué. Chaque année le budget est resté en déficit. Les dépenses publiques absorbent la moitié du total des dépenses, contre environ 40% en Allemagne, sans que le service public ne fournisse plus ou de meilleurs services aux Français. Tous les gouvernements se laissent aller, même ceux d’Emmanuel Macron qui avait pourtant promis de réduire la dépense et restaurer l’équilibre budgétaire.
La raison de cette triste situation est que la notion de discipline budgétaire est parfaitement étrangère aux responsables politiques français et à leur électorat, alors qu’elle est au cœur de la politique allemande. Partant du principe qu’aucun gouvernement ne peut pas résister à la tentation d’emprunter pour dépenser, l’Allemagne a adopté en 2009 une loi constitutionnelle dite loi de frein à l’endettement. La loi établit une règle simple : le déficit ne doit jamais dépasser 0,35% du PIB.
La simplicité étant une source de rigidité, trois aménagements ont été prévus. D’abord, le déficit prend en compte les fluctuations cycliques : un ralentissement économique réduit les rentrées fiscales, qui gonflent en période de croissance rapide. La loi décrit comment calculer le déficit corrigé de ces fluctuations cycliques, qui est soumis au plafond de 0,35%. Ensuite, si on constate un glissement après l’exécution du budget, le montant correspondant est inscrit dans un compte de contrôle, qui ne peut jamais excéder 1% du PIB. Si un excès se produit, il doit être vidé au plus vite grâce à des surplus budgétaires, sous la surveillance tatillonne de la cour constitutionnelle. Enfin, la règle peut être temporairement suspendue en cas de circonstances exceptionnelles. Dans ce cas, l’excès de déficit n’est pas inscrit dans le compte de contrôle. De fait, il est oublié.
La pandémie a permis de déclencher la clause de circonstances exceptionnelles, mais elle se termine à la fin de cette année. C’est au nom de cette clause que les sommes incriminées ont été budgétées. Ce sont ces montants, ou ce qui en reste, que le gouvernement avait prévu de dépenser dans les années qui viennent pour une bonne cause, la lutte contre le changement climatique. La cour constitutionnelle ne s’est pas laissé attendrir. La loi, c’est la loi, a-t-elle décidé.
Traversons le Rhin. La loi allemande sur l’endettement avait été adoptée après une recommandation de la Commission européenne qui demandait à chaque pays de la zone euro d’adopter sa propre règle budgétaire, compatible avec le pacte de stabilité, et de l’inscrire « si possible » dans la Constitution. C’était sous la présidence de Nicolas Sarkozy. La réponse de la France a été minimaliste : la limite européenne de 3% a été adoptée dans une loi organique, qui n’est donc pas inscrite dans la Constitution. On ne voulait pas d’un « gouvernement des juges ». Fort bien, mais que se passe-t-il quand la limite des 3% est dépassée ?
On a créé en 2012 un Haut Conseil des Finances Publiques, chargé de vérifier la sincérité des projets budgétaires et leur compatibilité avec les engagements du pacte de stabilité. Formellement, ce Haut Conseil est indépendant et il est abrité par la Cour des Comptes qui lui fournit l’aide dont il a besoin. Mais ses avis sont consultatifs. Il est probable que quasiment personne n’a jamais entendu parler de ce Haut Conseil, et encore moins de ses avis. On peut se rassurer que la Cour des Comptes rende aussi un avis annuel sur l’exécution du budget, mais cet avis est également consultatif, d’autant que, de toute façon, il est trop tard après coup pour corriger le tir en cas de besoin. Autrement dit, la version française du frein à l’endettement allemand est impuissante face au gouvernement. Ceci explique cela (la dette publique).
Ces temps-ci, les responsables politiques français se pressent autour des micros pour sonner le tocsin face à la hausse rapide de la dette publique et, avec la hausse des taux d’intérêts, de la charge de la dette. Fini le quoi qu’il en coûte – mais oubliée la facture – il est temps de s’attaquer à la dette ! Pourtant, personne ne semble comprendre que rien ne changera de manière durable tant que le processus budgétaire ne sera pas encadré par une loi plus sérieuse et qui permette au conseil constitutionnel de censurer le gouvernement.
Les médias n’ont guère mentionné la décision allemande, comme si cela n’avait aucun intérêt. Ils vont peut-être se raviser car le gouvernement allemand vient de signaler qu’après cette censure, il ne pourra pas contribuer ce que l’on attend de lui pour financer une rallonge au budget de la Commission Européenne, ce qui va concerner la France.
Ni les politiques, ni la haute administration ne sont prêts à céder une once de pouvoir au nom de la discipline budgétaire. Ils savent bien qu’il est dangereux de laisser la dette publique grimper année après année, mais c’est un problème à régler demain, alors qu’aujourd’hui les besoins de dépense sont impérieux, urgents et, bien sûr, exceptionnels. Il n’y a pas de limite bien définie à l’endettement des États, mais des crises qui émergent soudainement presque par hasard.
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