Du boomerang considéré comme une arme de dissuasion edit
Le réapprentissage de la pratique du compromis parlementaire se fait lentement et dans la difficulté à l’Assemblée nationale. Les premières séances d’examen du projet de loi de finances pour 2026 font davantage ressortir des votes traduisant des majorités de circonstance que la recherche de points d’équilibre entre ce qui souhaitable pour les uns et tolérable pour les autres.
Mais il ne faut pas perdre de vue qu’à la fin de l’exercice, ceux des parlementaires qui ont choisi la voie de la participation constructive à la discussion budgétaire seront confrontés à un dilemme majeur. Pour concrétiser les concessions qu’ils ont obtenues, les députés socialistes devront voter un budget qui comportera toujours « des horreurs », selon les mots d’Olivier Faure, c’est-à-dire nombre de mesures qui leur répugnent. Et inversement, pour s’assurer qu’un budget sera bien voté, les parlementaires de la droite et du centre devront approuver un texte qui aura intégré des mesures fiscales très éloignées de leurs options politiques et économiques. Choix d’autant plus cornélien qu’il interviendra sous les assauts de la coalition Insoumis-RN, que le général de Gaulle aurait qualifiée de méphistophélienne (« je suis l’esprit qui dit toujours non », disait Faust).
De même que c’est à la fin de la foire qu’on compte les bouses, c’est donc au terme de la discussion budgétaire qu’on s’apercevra de l’erreur cardinale que fut l’engagement de renoncer à l’usage de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution. Car cette procédure, que l’analphabétisme constitutionnel et le psittacisme politico-médiatique ont diabolisée et réduite à un instrument de contrainte et de passage en force, est aussi celle qui permet de ne pas voter formellement pour un texte sans toutefois s’y opposer.
Pour le comprendre, il faut revenir à l’expérience du premier gouvernement ne disposant pas de la majorité absolue à l’Assemblée nationale sous la Ve République, celui de Michel Rocard entre 1988 et 1991. Malgré cette absence de majorité absolue, ce gouvernement a eu une œuvre législative très significative, avec près de 70 lois – hors conventions internationales – adoptées chaque année. C’est le résultat de ce que Jean-Paul Huchon, alors directeur de cabinet du Premier ministre, avait baptisé une « majorité stéréo », ces textes étant votés tantôt avec le concours du groupe communiste, tantôt avec l’aide des députés centristes.
Mais il arrivait parfois que, malgré le travail intense de négociation mené par le conseiller parlementaire Guy Carcassonne, aucun des groupes d’opposition ne soit prêt à voter le projet du gouvernement ou à s’abstenir pour le laisser passer. Le Premier ministre n’avait donc pas d’autre solution pour faire adopter son texte que de recourir à l’article 49.3 de la Constitution. Ce qu’il a fait 28 fois en trois ans, sur une quinzaine de projets de loi.
Mais le plus significatif est que, face à ces 28 recours à l’article 49.3, les oppositions n’ont déposé de motion de censure que dans cinq cas seulement. Pourquoi cette retenue ? Parce qu’elles considéraient que s’il ne leur était globalement pas possible de se prononcer favorablement sur tel ou tel texte, elles avaient obtenu suffisamment de concessions dans le débat parlementaire pour ne pas entraver son adoption par la présentation d’une motion de censure. Ce fut le cas pour des réformes aussi significatives que la création du Conseil supérieur de l’audiovisuel (ancêtre de l’ARCOM), la loi de programmation militaire 1990-1993 ou la réforme du statut de la régie Renault.
En un mot, elles prenaient acte qu’il n'y avait pas, sur le texte en discussion, d’autre majorité que relative.
S’être privé de cette possibilité rend la recherche d’un équilibre politique permettant l’adoption du budget extrêmement délicate et hasardeuse, tant pour le gouvernement que pour les députés : un engagement de non-censure en contrepartie de la prise en compte dans le budget de certaines des mesures de justice sociale et fiscale souhaitées par les socialistes aurait fait courir beaucoup moins de risques à la perspective de l’adoption du projet de loi de finances dans les délais constitutionnels.
Les outils du « parlementarisme rationnalisé » sont encore plus nécessaires dans un contexte d’absence de majorité parlementaire et de fragmentation politique peu propice au compromis. Bref, renoncer au recours à l’article 49.3 est à peu près aussi avisé que considérer le boomerang comme une arme de dissuasion…
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)
