Qui voudrait être gouverné par une «majorité Pierre Dac»? edit

13 décembre 2023

Disons-le d’emblée : le projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration, qui a fait l’objet d’une motion de rejet adoptée par l’Assemblée nationale le 11 décembre, comportait beaucoup de dispositions critiquables du point de vue de leur efficacité, discutables sur le plan constitutionnel et inquiétantes au regard des conditions d’accueil des étrangers dans notre pays. Mais les associations humanitaires et de solidarité avec les migrants qui appelaient au rejet du projet de loi auraient tort de se réjouir : grâce à cette motion présentée par le groupe écologiste et adoptée par une majorité des contraires, le texte qui sortira au terme du processus parlementaire comportera les mêmes dispositions, ainsi que d’autres tout aussi critiquables, discutables et inquiétantes.

Si le gouvernement a incontestablement essuyé un revers majeur dans cette affaire, la vérité est qu’elle ne laisse que des perdants – à l’exception du Rassemblement national. En dessaisissant l’Assemblée nationale, la « majorité Pierre Dac » (« contre tout ce qui est pour et pour tout ce qui est contre ») a discrédité un peu plus l’institution parlementaire. Les franges les plus extrêmes – Insoumis, RN – se comportent comme les élus trumpistes à la Chambre des représentants des Etats-Unis, qui se moquent bien de paralyser les institutions et de priver de financement budgétaire de nombreuses administrations publiques : comme les parlementaires « MAGA », ils ne sont pas là pour jouer leur rôle au sein de ces institutions mais pour les subvertir de l’intérieur.

Quel était l’objectif de cette motion de rejet ? Montrer que le gouvernement ne peut compter que sur une majorité relative au Parlement ? Mais c’est quelque chose que l’on sait depuis juin 2022 ! Faire payer au Gouvernement le recours répété à l’article 49.3 de la Constitution ? Empêcher le débat sur un projet de loi est une bien étrange façon de protester contre une procédure que l’on accuse par ailleurs de museler le Parlement ! Contraindre le gouvernement à renoncer à son texte ? Même à l’approche du 25 décembre et du Père Noël, qui pouvait sérieusement y croire ? Pour LFI, l’objectif inavoué, mais parfaitement cynique, était autre : obliger le gouvernement à s’aligner un peu plus sur les positions de LR et du RN pour dégager une majorité en commission mixte paritaire, montrant ainsi qu’il est tout à fait de droite et non pas dans la position centrale qu’il revendique – et tant pis pour l’aggravation des conditions d’accueil et de séjour des migrants ! Pour le RN, l’objectif était plus transparent : démontrer que lui seul est susceptible de faire aboutir un projet de loi sur l’immigration, d’autant plus qu’il n’y a plus guère, entre les positions de LR sur l’immigration et celles du RN, que l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarettes…

Le plus tristement dérisoire, dans cet épisode, est que tout cela se fait prétendument au nom du respect des droits du Parlement, y compris de la part de députés qui revendiquent une République plus parlementaire que le régime actuel. Mais comment cette République pourrait-elle fonctionner alors qu’ils témoignent d’un refus absolu de toute position de compromis, ce qui est pourtant l’essence même du fonctionnement d’un système parlementaire, surtout en l’absence de majorité absolue comme c’est le cas de la plupart des régimes parlementaires. Il est d’ailleurs singulier de voir que les mêmes groupes, au Parlement européen, pratiquent abondamment l’art de la négociation et du compromis qui est le carburant essentiel de cette institution, et s’y refusent obstinément dans le Parlement national.

Quant au Gouvernement, il aurait été mieux inspiré de comprendre que sa majorité relative ne l’autorise plus à pratiquer le « en même temps » pour un même texte, sauf à provoquer une coalition des contraires – CQFD. Il semblerait que l’idée de scinder ce projet en deux textes, l’un qui aurait pu être adopté avec le concours de la droite, l’autre avec celui de la gauche, ait été un instant caressée mais abandonnée en raison des oukases prononcés contre cette méthode par le président du Sénat. Si tel est bien le cas, cela montrerait que, décidément, l’ancien monde se joue habilement du nouveau…

Il reste qu’avec tous ses défauts et toutes ses imperfections, la Constitution actuelle, avec son article 49.3, même raboté par une révision pusillanime, est infiniment préférable au gouvernement d’une « majorité Pierre Dac », qui nous ramènerait immanquablement aux temps d’Henri Queuille, d’André Marie et de Maurice Bourgès-Maunoury…