Sortir du grand débat par le haut edit

18 mars 2019

Le grand débat approche de son terme, l’intelligence artificielle est mobilisée pour traiter la masse considérable de contributions et de propositions. Dans les propos qui tournent en boucle sur les médias émergent souvent les mêmes propositions : rétablir l’ISF au nom de la justice fiscale, instaurer le RIC au nom d’une démocratie réelle, accroître la présence des services publics pour lutter contre la désertification des territoires ruraux et rurbains, alléger la pression fiscale pour redonner du pouvoir d’achat. Ces propositions s’ancrent elles-mêmes dans un diagnostic guère soutenu empiriquement mais qui est considéré comme acquis sur l’explosion des inégalités, la déformation du partage de la valeur ajoutée au détriment du travail et au profit du capital, le recul continu de l’Etat social, la panne de l’ascenseur social... Certes, dans le détail chacun de ces constats est discutable et Telos a publié récemment quelques notes pour interroger certaines représentations, on pense en particulier à l’article d’Olivier Galland sur l’ascenseur social. Cet exercice n’en aura pas moins été utile en portant au jour les croyances, les frustrations et les demandes qui travaillent en profondeur la société française. Il faut à présent que cet exercice débouche… sans aggraver les traits dysfonctionnels de nos systèmes fiscaux et sociaux.

La stagnation du pouvoir d’achat des ménages depuis une décennie, voire son déclin pour certaines catégories de la population, est au cœur du problème à traiter. L’État est doublement interpelé comme architecte du prélèvement fiscal et de la redistribution et comme employeur public. Sur un plan strictement économique deux attentes doivent être traitées : d’une part la demande d’une plus grande  justice et lisibilité fiscales, d’autre part le besoin d’une visibilité sur l’avenir en termes de pouvoir d’achat.

Concernant la justice fiscale, le Président a exprimé à diverses reprises qu’il ne reviendrait pas sur la réforme de l’ISF et sur le prélèvement forfaitaire sur les revenus du capital introduits dans la loi de finances en 2018. Rappelons que ces changements n’ont fait que rapprocher la France de la situation d’une très grande majorité de pays développés, en particulier des pays nordiques et scandinaves si souvent donnés en exemple pour leur justice fiscale et leur faible niveau relatif des inégalités de revenus. Certains considèrent que la fiscalité du capital serait devenue très avantageuse par rapport à celle des revenus du travail. Les apparences sont ici trompeuses. Rappelons que l’impôt sur les sociétés (IS), qui sera progressivement abaissé à 25 %, est un prélèvement sur des revenus potentiels du capital. Si l’on ajoute ce taux d’IS au prélèvement forfaitaire de 30 % sur les revenus du capital, on aboutit à un niveau de prélèvement supérieur d’environ 10 points de pourcentage au taux marginal le plus élevé s’appliquant aux revenus du travail (45 %). Ce raisonnement ignore la CSG et le CRDS qui concernent ces deux types de revenus. Comme l’avait mentionné l’OFCE, le taux marginal de l’ancien ISF (1,5 %) aboutissait à un prélèvement confiscatoire sur le capital : pour un rendement brut de 4,5 %, il ajoutait marginalement 33 points de pourcentage de prélèvement ! Soulignons que cette situation demeure concernant le capital immobilier, qui reste soumis à l’ISF.

Pour autant, il sera nécessaire de répondre à la demande de plus de justice fiscale. La création d’une nouvelle tranche marginale (de 50 % par exemple) au-delà d’un seuil élevé de revenus (par exemple 500 000€ annuels) pourrait répondre à cette attente. Rappelons cependant que, au sein des 36 pays de l’OCDE, la France est sans doute celui dans lequel les taux de prélèvements moyens et marginaux sont déjà les plus élevés… Cette mesure peut être complétée utilement par un renforcement du prélèvement sur les successions. Là aussi une tranche supplémentaire pour les très grosses successions permettrait d’envoyer un double signal : d’une part le capital serait plus lourdement taxé au moment de sa transmission ce qui est une mesure de justice sociale, d’autre part les classes salariées supérieures ne seraient pas seules à payer par un impôt élevé via l’impôt sur le revenu, les grosses fortunes seraient aussi mises à contribution.

Mais le sentiment d’injustice fiscale est sans doute en grande partie lié à l’illisibilité actuelle de notre système fiscal. À ce titre, il nous semblerait souhaitable d’engager un vaste processus visant à éclaircir la logique des prélèvements pour faciliter le consentement à les payer. Dans de précédents travaux, nous avions proposé une réorganisation allant dans ce sens. Elle repose sur trois composantes concernant les prélèvements finançant les politiques sociales (soit largement plus de la moitié des dépenses publiques). Tout d’abord, les dépenses non contributives (dépenses de santé hors indemnités journalières et politiques familiales essentiellement) pourraient être financées par des prélèvements à taux constant sur l’ensemble des revenus. La CSG est sans doute le meilleur candidat pour jouer ce rôle. Ensuite, les dépenses contributives (retraites, indemnités chômage, indemnités journalières santé essentiellement) devraient garder leur logique assurantielle dont on s’est récemment éloigné et être financées par des prélèvements à taux constants sur les revenus du travail, via des cotisations employeurs et salariés. Enfin, les dépenses redistributives (les minimas sociaux et les politiques du logement essentiellement) pourraient être financées par des prélèvements eux-mêmes progressifs, comme l’IR. Une telle organisation très lisible contribuerait à nos yeux à une meilleure acceptation des prélèvements. Nous en sommes loin, et les choix récents de baisser les cotisations chômage des salariés et de financer cette baisse par une augmentation de la CSG n’ont pas éclairci le paysage et le consentement à payer, bien au contraire. Demander à des retraités de financer l’assurance chômage à laquelle ils ont contribué durant leur précédente vie de salariés et correspondant à la couverture d’un risque auquel ils ne sont plus exposés est difficilement explicable… Ce changement a sans doute été ressenti comme profondément injuste par de nombreux retraités qui sont allés manifester ce mécontentement sur les ronds-points, un gilet jaune sur le dos…

Concernant la lisibilité en termes de pouvoir d’achat, un pacte social pourrait utilement être établi avec deux populations spécifiques et numériquement très importantes : les retraités et les agents des fonctions publiques. Ces deux catégories ont connu sur les dix dernières années une paupérisation quasi continue, avec une revalorisation des pensions pour la première et du point d’indice salarial pour la seconde inférieurs à la hausse des prix. Cette situation ne peut être prolongée sans risques sociaux répétés. Il est en effet difficilement acceptable pour de nombreuses personnes que la paupérisation de populations aussi larges soit le moyen privilégié pour modérer la dépense publique, plutôt que des réformes ambitieuses. Il nous semblerait logique de prendre avec ces deux populations l’engagement sur le futur d’une  revalorisation annuelle ne pouvant être inférieure à l’inflation. Mais sans doute un tel engagement devrait accompagner l’annonce de modalités plus précises que celles faites jusqu’ici concernant les réformes des retraites et de l’État. En clair, ces engagements devraient faire partie des composantes des réformes envisagées.