Convergences à gauche? - 1 - L’économique et le social edit

5 janvier 2022

Dans une récente tribune publiée par le journal Le Monde, Christiane Taubira appelle la gauche à s’unir: «Nos convergences sont suffisantes pour nous permettre de gouverner ensemble cinq ans». En exposant ici les positions des différentes organisations de gauche ainsi que celles de la Primaire populaire, présentées dans trois volets (politique économique et sociale, institutions, politique extérieure et de défense), nous examinons les convergences et divergences entre les projets. Premier épisode : la politique économique et sociale.

Le débat sur la Primaire populaire est étrange : il ne porte que sur les participants (Mélenchon, Jadot ou pas, Hidalgo ou Taubira) et accessoirement sur les modalités (primaire ouverte ou primaire populaire). Mais il ignore les programmes et les contenus, comme s’il n’y avait pas d’enjeu de substance, comme s’il y avait équivalence entre les programmes des candidats, comme s’il y avait valeurs et représentations partagées dans tous les ordres de l’action publique entre tous les candidats.

Facteur aggravant, quand Anne Hidalgo évoque la Primaire populaire elle se garde bien d’évoquer la plateforme programmatique de cette initiative militante, comme si les dix ruptures qui en constituent le socle relevaient de l’évidence ou n’étaient guère engageantes pour les candidats. Toutes les digues auraient-elles disparu entre gauche de gouvernement et revendications radicales ?

Si toutefois on venait à prendre au sérieux cette plateforme du point de vue du projet économique et social, alors trois niveaux sont à distinguer.

Il y a d’abord entre Jadot, Hidalgo et Mélenchon une amorce de programme commun de « Tax & Spend » d’inspiration keynésienne, plutôt classique à gauche, fondé sur une logique de toujours plus en matière de dépense publique, c’est l’héritage keynésien ; en matière sociale, c’est l’expansion de l’État Providence chère aux social-démocraties européennes ; en matière de service public et de droits des salariés, c’est l’apport du socialisme français.

Un deuxième niveau est celui de la différenciation : là, les programmes divergent car il en va de l’identité propre de chaque sensibilité : sortie du nucléaire et partage du travail pour les uns, fiscalité confiscatoire et planification pour les autres, et touche d’originalité sur les enseignants pour les derniers.

Enfin, à l’étage de la Primaire populaire, les digues lâchent et c’est un programme de rupture radicale avec l’ordre économique des sociétés européennes modernes qui est proposé puisque le multilatéralisme, l’Europe et la bonne tenue des finances publiques sont jetés par dessus bord.

Tax & Spend

Passons rapidement sur le programme commun de Tax & Spend, qui est d’un classicisme absolu : +10 ou 20% de Smic, revalorisation immédiate à due concurrence de la rémunération indiciaire pour les fonctionnaires, hausse des pensions et des minima sociaux, baisse du temps de travail, hausse des budgets de protection sociale, Plan École, Plan Santé, Plan Justice… Le tout sans financements identifiés si ce n’est avec les recettes éprouvées de ce genre de programmes, à savoir rétablissement de l’ISF baptisé climatique, chasse à l’évasion fiscale, accentuation de la progressivité de l’impôt, recours à la dette qui ne coûte rien…

Divergences et concurrence

Les divergences entre sensibilités sociales et écologiques portent essentiellement sur trois questions : les retraites, l’avenir du nucléaire, et les enseignants.

En matière sociale la mesure-phare de Mélenchon est le retour à la retraite à 60 ans après 37,5 ans de cotisation. Cette proposition ressemble davantage à un marqueur politique qu’à un vrai projet, en ouvrant sur la préservation pour l’éternité des avantages acquis. Il s’agit d’une position de principe : aucun aménagement ne doit être accepté même si l’allongement de la durée de la vie est manifeste, même si les déséquilibres entre cotisants et retraités s’aggravent et même si le régime par répartition est menacé à mesures que ces déséquilibres augmentent. Pour Mélenchon, les conquêtes sociales forment un bloc, aucun aménagement n’est envisageable, la logique est l’additivité ! Dans son serment de Perpignan, Hidalgo qui a senti la menace s’est engagée quant à elle à ne pas toucher au régime actuel de retraite à 62 ans.

En matière écologique, la sortie du nucléaire fait partie des crédos de Mélenchon et de Jadot, mais pas d’Hidalgo. Le sujet, dans un contexte de renchérissement du coût de l’énergie, est enveloppé dans des considérations sur la longueur de la période de transition. Même Mélenchon a fini par reconnaître que des adaptations étaient envisageables quant à la date de sortie alors que son discours évolue de plus en plus vers les registres du catastrophisme.

Enfin, en proposant de doubler le salaire des enseignants et en suggérant que les soignants pouvaient y avoir droit aussi, Hidalgo a largué les amarres avec la gauche de gouvernement, à l’étonnement de Mélenchon qui ne s’attendait pas à ce type de concurrence.

On peut observer, dans ce deuxième niveau des propositions, une forme de convergence, mais celle-ci n’ouvre pas sur la possibilité de gouverner ensemble car les options des uns et des autres ne sont à l’évidence guère susceptibles d’être mises en pratique.

L’emportement radical

Mais le pire en matière d’esprit de responsabilité est encore à venir avec la plateforme citoyenne à laquelle chaque candidat doit adhérer s’il veut participer à la Primaire populaire.

Ce programme ne vise rien de moins que la prise en charge de tout un chacun à partir de 18 ans avec un revenu de solidarité, la garantie de la sécurité alimentaire, un volume minimum gratuit pour l’eau, l’électricité le gaz, un emploi et un salaire « justes » pour toutes et tous… Bref une nationalisation du revenu de tous les résidents sur le territoire français.

Dans le détail, la plateforme de la Primaire populaire plaide pour la socialisation des dettes des agriculteurs afin de favoriser la transition vers une agriculture bio, le plafonnement des marges de la grande distribution, la remise en cause des accords de libre échange, la planification écologique avec une relance verte qui serait porteuse de centaines de milliers d’emplois non délocalisables… Bref une étatisation complète de l’économie.

Dans l’entreprise les salariés devraient occuper 50% des sièges au conseil d’administration et bénéficier d’un pouvoir de veto salarié au CES et au CHST d’entreprise. Bref l’autogestion ou la cogestion imposées.

Conscients des différences de sensibilités entre candidats de la Primaire populaire, mais acquis à l’idée d’une réduction de la durée du travail, les auteurs de la plateforme laissent le choix des moyens en matière de réduction du temps de travail : semaine de quatre jours, 32 heures… ou davantage de congés payés et la retraite à 60 ans.

Il va de soi qu’aucune considération de finances publiques n’intervient dans ce programme si ce n’est le recours aux solutions miracles habituelles avec un « vrai » ISF, une « vraie » progressivité de l’impôt et une « vraie » lutte contre l’évasion fiscale.

Où est la gauche de gouvernement?

Peut-on imaginer les partis de gauche à vocation gouvernementale adhérer sans réserve à cet imaginaire radical ? On trouve pourtant une synthèse enchantée de la plateforme citoyenne et des programmes des autres candidats sous la plume de Christiane Taubira qui, sur le ton de l’évidence et dans un langage sirupeux, rassemble toutes ces propositions sous une forme euphémisée au nom de l’attachement de la gauche à la justice sociale, à l’École, à la santé et plus généralement aux services publics. À ce jeu l’unité est facile : qui voudrait limiter les moyens à nos chers écoliers, qui s’opposerait à la résorption des déserts médicaux, qui s’opposerait à l’élimination des passoires thermiques ?

Mais quand on considère les propositions les divergences l’emportent. En matière économique et sociale, les gauches de 2022 sont moins caractérisées par une convergence des projets (au sens de propositions qui seraient applicables) que par une concurrence de propositions à vocation différenciante, pour la plupart peu applicables car elles ignorent délibérément les dures réalités du financement, de la soutenabilité économique, ou des arbitrages sociaux (entre actifs et inactifs, catégories de fonction publique, pouvoir d’achat et transition écologique). Il n’y a rien là qui permette de « gouverner ensemble cinq ans », comme fait mine de la croire Christiane Taubira, mais simplement tous les éléments d’une course à l’échalote électorale, dont l’horizon est moins l’accès au pouvoir que – pardonnez-nous l’expression – la conquête de parts de marché.

C’est particulièrement inquiétant pour le PS, qui s’éloigne d’une culture de gouvernement – au contraire, on le notera avec amusement, d’un PCF faisant preuve de plus de responsabilité.

En rejetant avec une belle unanimité les « deux droites » incarnées par Macron et Pécresse alors que des passerelles étaient envisageables entre les tenants du « quoiqu’il en coûte » et ceux d’une forme atténuée du « Tax & Spend », le PS largue de fait les amarres avec la culture de gouvernement et se livre aux tenants de l’alteréconomie.

(Prochain épisode : Le régime politique)